CHAP 12
Le samedi soir, Kimy vint me chercher et toutes les deux nous attendions Daven qui devait venir nous prendre avec Lindo. J'avais accepté de venir, mais en posant une condition. Je ne pouvais pas empêcher Gino d'aller au run, mais j'avais exigé de Daven qu'il nous trouve un autre chauffeur. Et je le regrettais déjà amèrement car le père de Lindo lui avait emprunté sa voiture. Il ne nous restait que le scooter de Daven et celui de Falco pour nous y rendre. Le froid glacial me saisissait et ce n'était pas sur un deux roues que j'allais pouvoir me réchauffer !
J'en fis la remarque à Kimy :
— Il aurait pu nous trouver une voiture quand même. On va se les geler en scooter !
— Tu te fous de moi là, j'espère ! me dit-elle exaspérée. Redis-moi, juste pour voir, qui a fait toute une comédie pour avoir un AUTRE chauffeur !
Avant même que je ne lui réponde, le bruit d'un moteur de voiture se fit entendre au loin dans la rue et je vis le regard de Kimy s'animer. Pourquoi y prêtait-elle attention, alors que nous attendions des scooters ?
Brutalement, je compris :
— T'as pas fais ça ? Dis-moi que c'est pas toi ? l'implorai-je.
— C'est pas moi ! affirma-t-elle.
Je n'avais pas vu Gino depuis le dimanche précédent, les bienfaits de Raoul s'amenuisaient, je le ressentais, et j'allais me retrouver dans sa voiture, près de lui ! Je me pris la tête entre les mains, paniquée. Je m'étais préparée à l'entrapercevoir, mais pas une seconde je n'avais envisagé l'hypothèse d'une proximité si proche.
La voiture de Gino, car c'était bien elle, s'arrêta près de nous. Kimy me prit la main fermement et me dit :
— C'est le temps de la route. Ça va bien se passer, allez viens !
Sans me lâcher la main, elle me poussa à l'intérieur, tel un sac trop lourd pour elle...
— Ça va les gars ? s'enquit-elle.
— Ouais ! affirma Daven sans pour autant se perdre dans les détails.
— Fait chaud dans ton auto Gino, c'est appréciable, hein Lili !
Je ne répondis pas mais lui administrai un coup de coude bien senti dans son bras. Un son étouffé sortit de sa bouche, mais cela ne l'empêcha pourtant pas de pouffer de rire.
Me trouvant juste derrière lui, je me calai dans la banquette et m'enfonçai le plus profondément dedans afin d'éviter d'apercevoir son reflet dans la glace du rétroviseur.
Daven discutait avec son cousin et Kimy essayait de faire de même avec moi mais c'était à sens unique. Si Gino arrivait à aligner trois paroles à la suite, moi en revanche, j'en étais complètement incapable car le son de sa voix et son odeur qui flottaient dans l'habitacle, me troublaient.
— Et vous savez où ça se passe ? interrogea Kimy.
— Dans la zone Nord ! lui répondit Daven.
— Donc, c'est une course fermée, conclut-elle. Tant mieux, je les préfère à celles ouvertes.
J'étais de son avis car les courses dites "ouvertes" étaient les plus dangereuses. Elles se passaient la nuit, comme pour "les fermées", mais directement dans la circulation, d'où le danger de tels runs.
Ce ne fut qu'arrivée sur place, que je commençai à me sentir mieux. J'aperçus Fati à travers la vitre et dès que Gino se fut garé, je bondis hors de la voiture et pris un grand bol d'air froid. Dans le but de m'éloigner de lui, je me dirigeai rapidement vers elle, quand une voix, que je reconnus sans aucun mal, m'interpella, c'était Amin.
— Alors tu passes devant moi en faisant ta belle et tu t'arrêtes même pas pour me dire bonjour ? Espèce de malpolie ! me dit-il en souriant.
Il ne donnait plus l'impression de m'en vouloir, ce qui était étonnant car nous ne nous étions pas revus depuis la fête chez les Dhoms, nous n'avions donc pas eu l'occasion d'accorder nos violons. La seule explication plausible qui me vint à l'esprit quant à son changement de comportement, fut qu'il avait déjà eu vent de ma dispute avec Gino...
— Je t'avais pas vu, excuse-moi, lui répondis-je simplement. Et je faisais pas ma belle, je ne fais jamais ma belle ! le repris-je comme si j'étais vexée par sa remarque.
Il avait l'air vraiment content de me voir mais cela ne dura pas lorsqu'il vit Gino qui approchait.
— T'es venue avec ! lança-t-il mécontent.
— Plutôt avec sa voiture, tempérai-je.
Fati nous rejoignit aussitôt suivie de Kimy et des deux cousins.
Daven toujours avec son éternelle délicatesse accompagnée de sa moquerie agaçante nous regarda un par un et avec un petit sourire narquois, nous dit :
— Bon, je suppose que c'est pas nécessaire de refaire les présentations. Vous vous rappelez certainement qui est qui !
Fati fut la première à réagir et nous entraîna Kimy et moi, avec elle.
— C'est pas tout ça, lança-t-elle aux garçons qui se dévisageaient entre eux. Nous on est venues voir une course et elle va bientôt commencer. Alors à plus tard les gars !
Daven en profita pour se défiler et nous rattrapa en courant, laissant lâchement son cousin et son ami qui se dévisageaient.
— Tu vas pas les laisser en plan ! lui reprocha Kimy.
— Si, et qu'ils en profitent pour régler leur problème une fois pour toutes ! Moi j'ai autre chose à faire que de compter les points !
— Ah ouais, comme quoi ?
Daven hésita jusqu'à ce qu'il aperçut le deuxième frère de Fati.
— Comme aller voir Younes. À t'à l'heure les filles !
— Lâcheur ! maugréa Kimy.
Daven s'éloigna alors que Fati était déjà en quête de l'endroit le plus approprié pour regarder la course. Il fallait que ce soit impérativement en hauteur, pour ne rien en rater.
— C'est la misère, y'a pas grand-chose qui peut nous servir de perchoir ! constata-t-elle contrariée.
Autour de nous, il n'y avait que des entrepôts et avec le monde que le run avait attiré, notre champ de vision s'annonçait très limité. Quand son visage s'éclaira...
— J'ai trouvé ! s'écria-t-elle soulagée.
Du doigt, elle nous indiqua une voiture qui se trouvait à quelques mètres de nous.
— On va pas monter là-dessus ! contesta Kimy.
Fati ne l'écouta pas, elle grimpa sur le capot de la voiture, puis sur le toit.
— C'est parfait, dit-elle. D'ici on verra le départ et l'arrivée. Quoi demander de plus !
Kimy n'hésita pas longtemps :
— Après tout, pourquoi pas ! approuva-t-elle en s'élançant sur les traces de Fati.
Avant de les rejoindre, je ne pus m'empêcher de jeter un coup d'œil derrière moi pour voir où était Gino ; il avait déjà rejoint Daven et tous les deux étaient penchés dans le moteur de la voiture de Younes qui, certainement, leur expliquait les dernières modifications qu'il avait apportées à celui-ci. Amin, quant à lui était en pleine discussion avec les cousins de Daven qui venaient d'arriver. Rassurée, j'emboîtai le pas de mes amies qui étaient déjà grimpées sur le mirador miniature.
Je n'eus même pas le temps d'en commencer son ascension, qu'un puissant coup me projeta sur le sol. Étourdie par l'atterrissage rude, je relevais la tête sur un jeune homme énervé qui m'injuria copieusement avant de diriger sa colère vers mes amies :
— Eh, vous faites quoi là ?
Mes deux amies, qui lui tournaient le dos, firent volte face en même temps.
— Y'a un problème ? s'enquit Fati sur la défensive.
— Oui, y'a un problème. Il se trouve que vous êtes sur le toit de MA voiture ! lui répondit-il agacé.
Fati, très loin d'être impressionnée lui demanda :
— Et alors ?
— Et alors vous allez dégager de là et tout de suite !
— Ben, viens nous dégager, on t'attend, on bouge pas ! le nargua-t-elle tout en faisant des pas de danse insolents.
Piqué au vif, il entreprit de monter sur le capot de sa voiture mais il glissa. Je m'étais relevée, aidée par une fureur qui prenait possession de mon corps. Aveuglée par celle-ci, je le relevai d'une main et le soulevai en le tenant fermement par son blouson puis je le plaquai sur le capot. Je ne me contrôlai déjà plus. Je levai mon poing resté libre et le frappai si fort que j'entendis comme un bruit d'os qui se cassent. Il avait suffi d'un seul coup pour que le sang s'échappe de sa bouche.
Animée par une pulsion dévastatrice, je lui cognai la tête à plusieurs reprises sur le capot. Dans mon champ de vision, il n'y avait plus que lui et moi.
Puis je sentis qu'on m'encerclait. Me débattant, je réussis sans mal à me retourner pour me trouver face à un deuxième homme qui me balança une gifle cinglante mais qui fort heureusement ne m'ébranla que légèrement. Ne sentant pas la douleur mais ayant la rage dans le ventre, je lui sautai dessus et alors que nous tournions sur nous mêmes, je réussis à le coincer contre la voiture et lui administrai une succession de coups de poing sur le visage mais aussi au le ventre. Je ne m'arrêtais plus, je continuais encore et encore à le frapper jusqu'à ce que quelque chose me retienne. Mon bras n'allait plus jusqu'à lui. Je refis un essai, mais j'étais toujours bloquée. Je ne voyais pas ce qui me retenait parce que je n'arrivais pas à me défaire de son visage à lui. Au loin, des voix me parvenaient, elles paraissaient paniquées. Quelque chose me fit virevolter, et je me retrouvais face à Gino, qui avait l'air furieux. Furieux et stupéfait à la fois...
— LILI ! TU FAIS QUOI LÀ ? me hurla-t-il dans les oreilles.
Pourquoi criait-il comme ça ? Pourquoi tout le monde me dévisageait aussi gravement ?
— LAISSE-MOI ! ripostai-je en tentant de me libérer de son emprise.
Quand il sentit que j'essayais de me dégager, ses mains se firent plus pressantes autour de mes bras.
— Arrête ça tout de suite ! éructa-t-il en me secouant fortement.
Je le suppliai instamment de cesser de crier et de me lâcher :
— Tu me fais mal, arrête !
—Qu'est-ce qu'il te prend de te comporter comme ça, on dirait une folle furieuse !
En reprenant mes esprits et mon souffle, je vis deux garçons à terre, dans un sale état. Ils tentaient de s'asseoir et geignaient de douleur. Les visages autour de moi étaient décomposés. Quant à celui de Gino, il était complètement livide.
Je ne posai pas de questions parce que j'avais compris que j'étais, une malheureuse fois de plus, la cause de ce tumulte invraisemblable.
Je baissai les yeux et vis que sur mes mains, une couleur brunâtre recouvrait mes doigts par endroit.
Daven prit la parole et essaya de dédramatiser la situation :
— Sérieusement les filles, vous pouviez pas rester tranquilles. C'est chiant d'être toujours derrière vous à recoller les morceaux. On vous demande pas l'impossible quand même ?
Fati désigna un des deux garçons qui se relevait doucement :
— C'est lui qui a commencé !
L'intéressé se redressa soudain et tenta de se défendre :
— Mais elles étaient sur le toit de ma voiture ! J'allais pas les laisser faire non plus !
— On s'en fout de ton auto, et reste donc assis, t'es bien comme ça ! lui ordonna Daven tout en lui faisant une balayette de telle sorte que le garçon tomba à plat sur son postérieur.
Je ne comprenais plus rien, mon cerveau fonctionnait au ralenti. Gino me prit le bras et m'entraîna à l'écart. Il m'emmena jusque dans une petite ruelle située à quelques mètres de là.
À l'abri des regards, il tenta de me calmer en me parlant avec une certaine douceur dans la voix. J'étais prise de tremblements incontrôlés qui l'inquiétèrent. Il me prit le visage entre ses mains et me força à le regarder.
— Qu'est-ce qui va pas chez toi ? dit-il réellement soucieux de me voir dans un tel état.
Comme je ne lui répondais pas, il me prit dans ses bras et m'embrassa sur le sommet du crâne.
J'essayai de réfléchir. Depuis ma rencontre avec Gino, mon corps ne fonctionnait plus de la même façon. J'avais l'habitude de mes réactions imprévisibles, mais avant lui, elles étaient moins fréquentes. Raoul m'avait prévenu, je ne devais pas me mettre en danger inutilement. Je venais pourtant de le faire. Il n'aurait pas été très fier de son élève. Honteuse, j'enfonçai ma tête dans le torse de Gino pour cacher les larmes qui dévalaient le long de mes joues en m'efforçant de contenir les sanglots qui ne demandaient pourtant qu'à sortir. Je sentis ses bras se refermer sur moi et une main se perdre dans mes cheveux. Il attendit patiemment que je me calme puis me dit :
— Ça va mieux ?
J'opinai de la tête.
— On va la voir cette course ?
— Oui, murmurai-je un sanglot dans la voix.
J'essuyai mes joues puis nous retournâmes à l'endroit de l'incident juste à temps pour voir le démarrage.
La tension était montée d'un cran. Le froid glacial que j'avais instauré, bien malgré moi, avait complètement disparu, remplacé par une ambiance qui, à mesure que le début de la course approchait, devenait de plus en plus survoltée.
Je repérai mes deux amies, elles étaient toutes les deux perchées sur le toit de la voiture, au milieu des autres. Ils avaient tous investi le perchoir qui s'étendait du capot au coffre.
Un seul faisait bande à part. Daven qui, installé à l'intérieur de la voiture, démontait l'autoradio avec une aisance déconcertante, tout en pestant contre ceux qui la faisaient bouger à force de sauter.
Kimy me vit et m'appela. Pourquoi à ce moment là je regardai Gino et attendis son approbation ? Probablement parce que j'avais déjà oublié que nous n'étions plus ensemble. Mais le plus étrange était que lui aussi paraissait l'avoir oublié car il approuva d'un signe de tête, et ce, le plus naturellement possible.
Pendant un court instant, nous avions reformé notre "NOUS". Nous avions recréé notre sphère.
Celle dans laquelle nous inscrivions les sentiments qui nous unissaient l'un à l'autre.
Celle dans laquelle je me sentais si bien...
Je commençais à m'apercevoir que suivre la voix de la raison n'était pas si aisé. Arriverai-je à maintenir le bon cap ? En regardant Gino, je me dis que non, je n'y arriverai pas.
Je passai devant Daven qui venait juste d'en finir avec l'autoradio et qui sortait de la voiture. Il m'adressa un sourire entendu, puis je rejoignis mes deux amies qui me firent une place au milieu d'elles. Daven s'approcha de son cousin et malgré le bruit autour de moi, je l'entendis dire :
— Je t'avais pas menti en disant qu'elle valait dix bonhommes quand elle se mettait en colère. Lili, c'est Xynthia, la même ! conclut-il.
Gino ne répondit pas. Mais la comparaison avec une des pires tempêtes que la France ait connue, ne le fit pas sourire.
Les moteurs se mirent à ronfler. Les voitures allaient bientôt s'élancer dans les ruelles de la zone. Kimy et Fati dansaient sur le toit de la voiture et agitaient leurs écharpes comme le feraient des poms-poms girls pour soutenir leur équipe favorite, en l'occurrence, Younes. Les gars, quant à eux, étaient déchaînés et faisaient des bonds sur la carrosserie de cette pauvre voiture.
Je demandai à Kimy :
— Ils sont où les mecs de la caisse ?
— Pfft, ils se sont barrés, ils ont eu peur ! me dit-elle en riant.
Je me tournai vers Gino et vis qu'il s'était adossé sur le mur de l'entrepôt. Il fumait une cigarette sans me lâcher des yeux.
Dieu qu'il était beau...
Quelle était-elle déjà, la voix de la raison ?
Je ne voulais pas m'en souvenir...
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