Chapitre 6 : L'élève de l'ombre

- C'est ici.

Aria ralentit jusqu'à se trouver devant une porte. La salle de classe S2. Arthur semblait surexcité, trop pour ne pas rester calmement devant l'obstacle qui le séparait du reste de la classe. Ça faisait tellement longtemps qu'il n'avait pas été dans ce genre d'établissement ! Son père l'avait toujours traîné à la chasse avec toute son équipe. Et même si il lui avait enseigné la base des connaissances et cours importants, faire parti d'un groupe scolaire était totalement différent. Un peu comme une famille, une vraie cette fois, bien plus joyeuse et inconsciente qu'un clan de tueurs déterminés.
Aria dévisagea son camarade un instant, puis toqua à la porte. Quand elle entrerait dans la salle, elle devra se faire oublier. Hors de question de sympathiser avec un Delsow, ce serait trop risqué.

- Entrez !

La jeune fille poussa un soupir, et poussa la porte. Aussitôt, vingt-cinq paires d'yeux volèrent jusqu'à elle. Elle jura entre ses dents et s'avança. Aria n'aimait pas qu'on la reluque ainsi. Même si son immense capuche la protégeait en partie, les regards qu'elle percevait étaient loin d'être amicaux. Si la plupart des filles l'ignoraient en silence, d'autres, plus rudes, se moquaient ouvertement d'elle. Se retenir de les envoyer bouler jusqu'en Enfer était difficile. Néanmoins, l'adolescente n'avait pas le choix. Elle rejoignit sa place, au fond, près de la fenêtre. Se faire remarquer de par une force ou une vitesse trop importante, pouvait la conduire à sa mort.

- Jeune homme, vous êtes...?

- Arthur Delsow, ravi d'être dans votre classe monsieur !

Des ricanements saluèrent sa présentation soudaine. Sans se soucier d'eux, Arthur rejoignit l'enseignant près du bureau, et chercha des yeux une place.

- Je vois, marmonna l'adulte. Le nouvel élève... Assis-toi là-bas, la place est libre.

Aria grimaça. Évidemment, la seule place disponible ne se trouvait pas loin d'elle. En face à droite, comme si le destin s'acharnait sur sa personne déjà lourdement chargée. Faire attention à ses gestes et ses paroles était déjà suffisamment fatiguant. Et voilà qu'un chasseur se trouvait à moins d'un mètre d'elle ! Sa voisine de devant, Anaïs, rougit lorsque le jeune homme la rejoignit, tout sourire. Pourquoi cette réaction ? Aria haussa les épaules, lasse de leurs comportement à tous. Les humains étaient des imbéciles, aucune créature surnaturelle ne les comprendrait jamais.

- Mlle Colleca, vous viendrez me voir à la fin de l'heure pour votre heure de colle, vos retards sont devenus trop fréquents.

Quoi ?  Aria serra les poings, le regard froid. Et Daya, il ne la punissait pas ? Juste parce que cette fille était dotée d'une paire d'airbags version XXL ! Un pouvoir redoutable contre ceux du sexe opposé. Et M. Noubin, même en étant enseignant, n'y échappait pas. Aria se força à se calmer. Tout ça pour une retenue, ce n'était qu'une heure ou deux après tout. L'injustice était toutefois dure à avaler. Daya aurait dû être punie aussi, vu ses retards encore plus exorbitants que sa propre poitrine. Enfin, il fallait s'y habituer. Et même, il y avait peut-être une autre raison.

- Bien, finit par répondre Aria, les yeux rivés dehors.

- Regardez-moi quand je vous parle.

La jeune fille tourna lentement la tête vers lui. Avec le tissu qui dissimulait son visage dans l'ombre, le professeur n'y voyait pas grand-chose. Cependant, quelque chose lui fit froid dans le dos. Il se détourna, s'empara d'une craie, et reprit son cours là où il s'était arrêté. Mieux valait ne pas s'attarder sur cette mystérieuse élève. Il avait beau connaître son âge et son statut, il ne se sentait pas à l'aise avec elle. Comme si, derrière ses airs passifs, elle représentait un danger. C'était ridicule, et pourtant, il ne parvenait pas à calmer ses doutes.

Aria retint un sourire moqueur, et reprit son observation du monde extérieur. Ce professeur était une poule mouillée. Ou alors, il avait un sixième sens lui permettant de sentir le mal. Quoiqu'il en soit, il ne serait pas un allié. Tout comme le garçon. Sauf que lui était clairement du camp opposé. L'adolescente lui jeta un coup d'œil. Il semblait aussi heureux qu'un gamin avec un nouveau jouet. Pire encore, sa voisine ne cessait de piailler pour attirer son attention. Elle était clairement sous son charme. Aria serra les dents, écœurée. Cette idiote était déjà en train de baver devant ce Delsow. Elle ne le connaissait même pas. Alors c'était ça, l'amour ? Des sentiments reposant uniquement sur le physique ? Et dire que nombre de jeunes filles en rêvent. Drôles de songes.

- Si tu veux, je te montrerai les différents lieux utiles à ton intégration ici ! proposa Anaïs, pleine d'espoir.

- C'est gentil, mais je compte les découvrir seul. Mes habitudes d'explorateur solitaire refont surface !

Il y a vraiment des fous dans ce monde, pensa Aria, méfiante. Explorateur solitaire, hein ? Il avait oublié chasseur sanglant à son précieux titre. Elle devrait le tuer. Si elle le tuait, il y aurait un assassin de moins dans les rangs des Delsow. Mais elle ne pouvait pas. Si elle agissait ainsi, ils comprendraient. Ils sauraient qu'un démon, ou même tout un clan, serait lié à la disparition de leur coéquipier. Et alors, ce ne serait qu'une question de temps, avant que les de Taan ne soient localisés et détruits. Personne ne risquerait aussi gros. Mieux valait rester discret et vivre sans un mot. Vivre, ou survivre.

- N'oubliez pas l'exercice cinq à finir pour le prochain cours ! Aria, pas si vite !

L'élève désignée s'arrêta sur le seuil de la porte. On entendit un soupir agacé, mais elle finit par obéir. Ses camarades sortirent en vitesse, désireux d'aller prendre l'air avant de subir de nouveaux cours. Tous, sauf elle. Évidemment.

- Je sais que je fais peur, ironisa l'adulte, mais au point de vous faire fuir dès la sonnerie ! Vous devriez assumer votre punition, ce sont vos actes qui m'ont obligé à faire ça.

"Je sais que je fais peur", "vous faire fuir". Aria souffla quelques secondes, les yeux fermés pour effacer de son esprit le visage de son professeur. Elle était censée rire face à tant de bêtises en quelques phrases ? La seule personne qui inspirait la crainte ici, c'était elle. Quand à la punition, elle aurait préféré s'en passer. Mais bon, il fallait bien respecter le système des humains, non ? C'était ça, ou attirer l'attention.

- Vous viendrez demain après-midi dans mon bureau.

- Ça ne va pas être possible, je dois aller chercher ma petite soeur.

M. Noubin haussa les sourcils, pas convaincu. Il imaginait mal cette élève faire une telle chose. Réservée et froide comme elle était, elle serait plus du genre à laisser pleurer une fillette sans rien faire. Alors, son excuse à propos d'aller chercher sa soeur serait un mensonge ? Elle se payait sa tête !

- Vous viendrez demain, n'essayez pas de vous dérober.

- Je vous aies dit que je ne pouvais pas.

M. Noubin cessa de fouiller dans ses cours. Aria le regardait. Lève les yeux. Sans même entendre son ordre silencieux, il obéit. Et oublia ce qu'il aurait dû faire. Trouver une feuille de colle. Sermonner son élève. La lueur qu'il vit au fond de ses yeux était bien trop puissante. Envoûtante. Magique. Mortelle. Où était-il ? Que faisait-il ? Qui était-il ? À ces instant, rien d'autre ne lui venait à l'esprit que se noyer au fond de ces prunelles. Une couleur magnifique, d'un beau bleu aux différentes nuances, et qui l'emprisonnait.

- Ne m'attendez pas demain après-midi. Je ne viendrais pas.

Doucement, le lien qui captivait l'adulte s'évapora. Aria le sentait redevenir normal, alors qu'il clignait des yeux, hagard. Mieux valait ne pas trop s'attarder ici. L'ado se précipita vers la sortie sans un regard en arrière. Au diable ce prof ! Son sac tambourinait sur l'épaule à chaque mouvement, alors qu'elle se rappelait encore de ce regard vide. Il l'avait regardé dans les yeux. C'était lui, le fautif. Évidemment, en tant que démone, il était facile de gagner au jeu des punitions. Il avait joué, et avait perdu. Chez les démons, c'était la règle. Dommage que le système d'éducation humain soit différent.

Aria descendit les escaliers en vitesse, et se dirigea vers les portes centrales du hall. Partir. Les autres étudiants étaient éparpillés dans la cour. Ils ressemblaient à des moutons. Faibles, dociles et peu avisés. La jeune fille se sentait noyée, presque souillée, alors qu'elle traversait l'immense terrain en zigzaguant entre les masses de personnes. Heureusement que son coin préféré n'attirait jamais personne ! Non loin des poubelles, qui lui servait en quelques sortes de bouclier, et éloigné des points de regroupement principaux. Parfait ! Que... Elle ralentit, jusqu'à complètement s'arrêter. Un élève semblait parler au téléphone. Dans son coin. Elle se rapprocha, méfiante. Pire encore. Le Delsow !

- Écoute papa, ça ne m'intéresse pas vraiment pour l'instant. Mais non, je n'ai pas perdu l'instinct de chasse ! Je veux juste me concentrer sur les études. Non, il n'est pas question de choisir entre une arme et des bouquins. Mais... Ha papa je n'ai plus de réseau, ça va raccrocher... Je...

Le garçon s'empressa de mettre fin à la conversation, soulagé d'avoir réussi à esquiver le monologue habituel. Son père était obsédé par les traques, c'était de plus en plus insupportable. C'est simple, il ne pensait qu'à ça ! Tuer des créatures nocives à ses semblables ne l'embêtait pas, mais vivre de temps en temps une existence normale n'était pas de trop. Si sa mère avait été là, elle aurait pu l'aider, le soutenir, s'opposer aux décisions égoïstes de son père...
Soudain, il sentit une présence non loin de lui. Il ne pouvait même plus être tranquille. Mais c'est quoi, cet établissement de fous ? D'abord, le surveillant qui semblait draguer tout ce qui bouge, la cas social, ensuite sa voisine dont il avait eut du mal à se débarrasser... Heureusement qu'il était habitué à repérer les proies. Ainsi, il pouvait éviter les personnes qu'il n'avait pas vraiment envie de voir.

Alors, remarquer la silhouette élancée de sa camarade de classe, Aria, était un jeu d'enfant. La cas social, justement. Elle le regardait à travers sa large mèche de cheveux bruns, cachant soigneusement son oeil gauche. Elle le fixait d'un air neutre. Puis, sans prévenir, elle tourna les talons et s'éloigna de lui. C'est qu'elle marchait vite en plus ! Elle semblait vouloir partir d'ici, vu sa démarche rapide et déterminée. Où comptait-elle aller ? Arthur se mit à sourire, moqueur. Il ne lui restait qu'une seule option pour animer au mieux sa journée, pour oublier son père, ses problèmes, et ses rêves.

Il allait la suivre.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top