PROLOGUE
La brise glacée accompagnait les fées dans leur vol impétueux.
L'ombre de leurs ailes plongeait l'épaisse forêt de chênes dans le noir, défiant la lumière du crépuscule. Une fine pluie soufflait dans le ciel, martelant leur membrane colorée et endolorie par l'expédition. Le Nord de l'Akitare s'effaçait derrière elles.
Dans un mouvement collectif les femmes dévièrent à gauche, volant sur le flanc avant de s'approcher doucement du sol. Les arbres se firent seul témoin de l'atterrissage.
La cahute de leur amie se dressait fièrement devant elles. Petite et robuste, même les plus ardentes tempêtes n'en venaient à bout. Tout comme leur peuple, surtout comme l'hôte de la maisonnette qui attendait bras croisés sur le palier. Sa carrure frêle n'abordait aucun empennage : seuls ses cheveux blonds cascadaient dans son dos. D'un geste las de la main elle invita les autres à entrer.
Une lumière tamisée éclairait la pièce submergée de coussins, de tables et de canapés. Une petite cuisine tapissait les murs boisés en laissant échapper une odeur de thé et de romarin. Les fées, désormais débarrassées de leurs ailes, prirent place. Plusieurs cartes gisaient ci et là, la plus âgée de la troupe en saisit une. Son regard suivait les courbes tracées au fusain qui lui arrachèrent un froncement de sourcils.
— On revient de Taurasia, rien non plus. Tu peux le rayer de la carte, déclara l'une des femmes.
— Et rajoute du rhum à ton thé.
La maitresse de maison reposa son plateau. Les nouvelles étaient encore plus mauvaises qu'il y a deux jours, pensa-t-elle. Sa tasse fut la plus remplie d'alcool quand elle retourna s'asseoir auprès de ses soeurs-fées.
— Erena, les rayons du soleil ne t'ont donné aucune nouvelle ?
— Aucune, ils sont bien silencieux depuis des jours. A croire qu'ils se sont rangés du côté adverse, répondit ladite Erena.
Voilà des semaines qu'elles traquaient ce monstre.
Un soupir franchit ses lèvres rouges. La pression de la couronne sur sa tête ne cessait de lui rappeler l'importance de cette mission. Son peuple comptait sur elle, mais aussi son royaume. Capturer et punir le Phénix . C'était simple, primordial, mais plus compliqué que prévu.
La fatigue accablait la petite assemblée. Le bruit du café grognait avec joie pour le soulagement général.
— Un Phénix qui se reproduit c'est pas la mort, si ? demanda une jeune fée, c'est compréhensible. Il devait se sentir seul.
— Compréhensible oui, et punissable par la même occasion. Les phénix sont puissants et condamnés à être seuls. Qui sait ce qui arriverait avec deux phénix vivants en même temps.
Sans attendre de réponses, la fée se resservit du café.
Personne n'y avait un jour songé. Impossible de se reproduire en étant l'unique survivant de son espèce. Mais pas impossible de se créer une descendance.
Erena caressa du bout des doigts son ventre arrondi, imaginer perdre son enfant était horrible. Se dire qu'elle allait faire subir cela à quelqu'un encore plus.
— Ne perdons pas espoir. Nous finirons bien par le trouver, affirmait-elle sans grande conviction. Dès demain j'envoie des troupes à l'Ouest de Zelnas. S'il rentre chez lui les soldats l'attraperont tôt ou tard.
La nuit suivante on obéit aux ordres d'Erena. Une ligne de gardes brandissait leur lance en direction de la forteresse.
L'horizon virait au rouge, imitant le sang à leurs pieds. Le vent glacé caressait le bout de leur arme sans pour autant les déstabiliser. Ni la fatigue, ni l'odeur immonde d'iode n'en venait à bout. Même le soleil ne résistait pas, il partit se coucher et embrassa les plaines derrière eux.
Un soldat aux épaules encore frêles observa le ciel, méfiant. Redoutant de croiser le regard du monstre. Au-dessus de son casque les nuages flottaient dans la grisaille, pas le moindre oiseau ne passait. Les carcasses d'arbres rongés par les flammes illuminaient la forêt devenue un champ de bataille. A sa droite un peloton s'aventurait à l'intérieur de la bâtisse. La froideur des murs s'enroulait autour de leur armure, ankylosait leurs membres. Ils s'attendaient à ce qu'il fasse plus chaud dans la demeure du Phénix.
L'espèce existait depuis des siècles, bien avant la Guerre. Les nuées de phénix dominaient les cieux et se plaçaient au sommet de la chaine alimentaire. Ils instaurèrent malgré eux la peur. Jusqu'à aujourd'hui. Shivani, le roi, était le seul survivant.
L'oiseau vivait reclus, loin de toute civilisation.
Difficile d'effrayer toute une civilisation quand on est seul.
— Il fait un de ces froids ici ! On est au bon endroit au moins ? demanda un soldat, non parce que pour la maison de l'oiseau de feu il fait frisquet.
— Vu que toute la forêt est rôtie comme un porc sur une broche, aucun doute. Il vit ici.
Les recherches reprenaient. Une fine couche de mousse jaune recouvrait le toit ouvert ci et là. La forteresse tombait en ruine, la poussière trônait dans toutes les pièces, sur les rebords des fenêtres, sur les bibelots ; partout. Comme laissée à l'abandon.
— Mais ça ressemble vraiment à un oiseau ou c'est une métaphore ?
— Métaphore, tu connais ce mot, se moqua le plus vieux des hommes, c'est ni l'un ni l'autre. Le Phénix est fait de fer, son squelette, son crâne, ses serres. On l'appelle oiseau de feu parce que le premier phénix a forgé ses enfants dans les cendres de véritables piafs. Shivani n'est pas le seul à s'être créé une descendance. Il est plus cultivé que ses prédécesseurs.
— Était, rectifia un soldat.
La lueur de sa lanterne éclaira une masse sombre qui gisait au sol. Les os métallisés de Shivani reposaient dans une flaque écarlate, comme les cadavres de la cavalerie à l'extérieur. Les griffes aiguisées du phénix enlaçaient le manche d'un poignard.
— On l'a tué ?
— Avec un couteau dans le ventre ? Impossible, il serait revenu à la vie. La seule personne qui peut tuer un phénix, outre une magie puissante, c'est le phénix lui-même.
— Ça n'a aucun sens, pourquoi se tuer sans se battre.
— Il savait sûrement qu'il perdrait.
— Alors ça y est ? C'est fini ?
— Oui.
La bonne nouvelle remonta rapidement jusqu'à la capitale. Jusqu'à Erena qui s'empressait d'avertir ses soeurs fées pour fêter la bonne nouvelle. Elles avaient rendez-vous à la cahute où l'alcool et les rires accompagnaient le bonheur de la victoire.
La méfiance n'effleura personne ce jour-là.
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