70. Tout est illuminé


— Laura.

Un monde flou, un corps lourd. Quelque chose frôla sa joue, son front, l'arrachant à la nuit.

— Je suis désolé de te réveiller mais je dois partir... et je voulais te parler une dernière fois. Te dire adieu.

Une voix posée, un visage trouble.

Elle dégagea une main molle de sous les couvertures et tâtonna devant elle, rencontra une peau tiède, l'arc d'un nez busqué, la caresse de boucles soyeuses.

— Michael.

Elle le distinguait à peine, perdu dans la brume.

— Je suis morte.

— Non. Tu es dans ton lit, dans ton appartement. J'ai fait réparer la porte.

Un appartement ? La porte ? De quoi parlait-il ?

Les images orageuses des dernières heures affluèrent brusquement, en un torrent qui menaça dans l'emporter. Elle suffoqua. Une main ferme sur son épaule l'arracha au chaos et ancra son esprit dans l'instant.

— N'essaie pas de te relever, tu n'es pas encore en état. Mais je dois vraiment rentrer et je ne voulais pas que tu t'éveilles seule.

Elle relâcha sa respiration. Son corps picotait, parcouru par mille fourmis voraces. Elle porta la main à son ventre, le trouva bandé, s'autorisa une légère pression, ne ressentit ni douleur, ni engourdissement.

Elle songea à la villa décrépite, aux zombies, au démon qui s'était désintégré en tisons légers. Aux plumes magiques. Au chacal.

— Tout... tout... ce dont je me souviens... ça s'est vraiment passé ?

— Oui, je le crains.

Elle ferma les yeux une seconde, une deuxième, les rouvrit sur le même univers étouffé.

— Aaron...

— Il va bien, il est rentré chez lui après une journée d'observation à l'hôpital... comme tous ceux qui étaient encore vivants dans cet antre démoniaque. Le reste a brûlé. C'était la meilleure manière d'assainir les lieux.

— Et... et Jill ?

— Elle va bien, elle aussi. Les possédés ont tout oublié et leur esprit a comblé les trous... Ton ami prêtre pense avoir été retenu par une organisation criminelle. Ce qui est très bien comme ça.

— Il était possédé, lui aussi ?

— Non. Mais il n'a pas vu grand-chose. Pas assez pour bouleverser ses certitudes.

Pas de témoins, en somme. Sauf elle.

— Et moi je suis morte.

— Non. L'Égyptien t'a sauvée.

Elle frôla à nouveau ses tripes emmaillotées.

— Et tu l'as laissé vivre.

Un léger soupir siffla à son oreille, distant.

— Je pensais que ça te ferait plaisir, déclara l'archange, d'un ton un peu penaud.

Elle étouffa un éclat de rire, qui envoya un bref éclair de douleur dans ses épaules.

— Mais je l'ai laissé vivre, oui. Et s'il garde un profil bas, sans doute pourra-t-il continuer à exister encore un certain temps.

— Pourquoi ?

Il ne répondit pas tout de suite.

— J'ai été contaminé par les lieux, comme cela arrive toujours si on n'y prend pas garde. Je n'ai pas été très prudent. Tu as fait le reste. Tu m'as bousculé, mis en colère. Je me suis servi de toi pour le retrouver. J'ai fait des choses indignes, qui ne me sont pas permises. Je me suis ouvert... à des sensations imprévues, bonnes et mauvaises. Maintenant je dois rentrer d'urgence, pour que les choses rentrent dans l'ordre, je ne peux plus tergiverser.

Petit à petit, les couleurs lui revenaient, les formes, une silhouette assise sur le couvre-lit. Le papier peint à rayures. L'abat-jour en papier de riz.

— Tu vas devoir mentir à ton patron, alors ?

— Non. Il sait tout, je ne peux pas Lui mentir. Et je ne le voudrais pas.

— Alors tu crois... que tu vas avoir des ennuis ?

— Non. Si les choses se sont produites de cette manière, c'est, j'en suis convaincu, qu'Il l'a voulu. Qu'Il le comprend. Par contre... les chances sont élevées que j'oublie tout ce qui s'est produit ici. Que je l'oublie lui, que je t'oublie toi.

Il lui serra doucement la main.

— Alors je voulais juste... m'excuser pour ce qui s'est passé. Je m'y suis mal pris. Là d'où je viens, personne ne me demande jamais de comptes... La hiérarchie est respectée par tous. Et nos... décisions... tombent sous le sens. Personne ne les discute, personne ne doute. Nous nous comportons comme il le faut. Mais vous, les humains... Vos émotions sont trop complexes, vous avez chacun votre personnalité propre, les choses que vous acceptez, celles que vous réprouvez... Du tempérament... Je n'ai pas la chance de descendre sur Terre très souvent, je n'ai pas l'habitude d'interagir avec vous. J'imagine que cela explique ma maladresse, si cela ne l'excuse pas.

Il lâcha un rire bref, presque désabusé. Sa voix paraissait de plus en plus distante, comme s'il s'éloignait tout en n'ayant pas bougé.

— J'essaie de me justifier, pardonne-moi. Je savais que tu désirais t'impliquer dans cette affaire. Et comme il me semblait que le risque pour moi était très faible, et que je pourrais veiller sur toi, je t'ai laissée me suivre et mener ton enquête. J'étais disposé à te faire plaisir, en somme. J'ai été stupide, parce que je ne pensais pas que les choses iraient si loin, que tu t'affranchirais à ce point de ma protection. Je ne pensais pas que tu étais si téméraire. J'aurais dû mettre le holà bien plus tôt.

— Tu ne savais pas que j'avais couché avec le démon.

— Je savais que tu résonnais de quelque chose, qu'il y avait une... forme de contamination. Mais je pensais que c'était l'Égyptien, vu votre proximité des semaines précédentes... Pour moi, leurs empreintes sont très semblables.

Il soupira.

— Mais ce n'est pas vraiment de ta faute. La vérité, c'est que... je n'existe que pour servir des êtres que je connais à peine. Alors, j'ai eu envie d'en côtoyer un... Pour un peu de temps, quelques jours, ça me semblait sans conséquences. Je voulais que tu m'accompagnes. Que tu me montres pour qui je suis... Même si nous avons eu nos difficultés, je suis heureux... honoré que ça ait été toi.

Elle ne sut que répondre, il s'éclaircit la gorge.

— À présent, tout est rentré dans l'ordre. Le démon est mort, New Tren est sauvée pour cette fois, et je rentre chez moi.

L'émotion saisit la jeune femme à la gorge, elle se cramponna à la main qui ne l'avait pourtant pas lâchée.

— Michael... Sam... Il m'a... J'étais...

— Tu ne dois pas t'inquiéter, Laura. Son empreinte est partie avec lui. Il n'en reste rien, chez aucune des personnes qu'il a touchées.

— Mais... comment suis-je supposée vivre avec tout ce que je sais ? souffla-t-elle.

— De la même manière qu'avant. Sans peur.

Elle secoua la tête, sentit les larmes lui monter aux yeux.

— Et tu peux retourner vers Anubis. Il sait ce qu'il te doit et il a à coeur de réparer ses erreurs.

Il avait promis d'être là à mon réveil, songea Laura.

L'épuisement la frappa à nouveau, comme une vague assassine.

— Je t'ai laissé des journaux sur la table, pour que tu puisses prendre connaissance de la résolution de l'affaire. Nous avons dû procéder... à quelques ajustements.

Elle dérivait, les ombres semblaient plus nombreuses. La voix de Michael perçait le brouillard, là où sa silhouette avait disparu.

— Je ne te dirai pas d'être prudente, tu ne le seras pas mais... profite, alors. Profite de la vie.

Elle perçut son mouvement, tandis qu'il se penchait vers elle. Il posa un baiser sur son front, une étincelle de bienveillance éblouissante, qui la parcourut en un courant merveilleux.

— J'ai été ravi de faire ta connaissance. C'était la première fois que je faisais connaissance et il était temps.

— Michael, attends... moi aussi, je voudrais que tu... Je... Je suis désolée... Si j'ai...

— Chut. Ferme les yeux.

Elle lui obéit sans se défendre.

— Adieu. Bonne route.

Elle sentit la chaleur s'intensifier, puis s'évanouir. Quand elle rouvrit les yeux sur son plafond trouble, il avait disparu.

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