65. Descente aux enfers
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Les strophes de la ritournelle perlèrent sur les lèvres de Laura, mais Sam ne parut ni les entendre, ni en frémir. La fureur qu'elle avait contemplée sur son visage parfait avait disparu. Seul le sang qui maculait sa main gauche et son costume trahissait la nature de ses dernières activités. Elle se fit la réflexion qu'en dépit de tout, il demeurait beau comme un ange, là où Michael aurait aisément pu jouer le rôle de Satan.
Sam s'assit sur le lit puis tapota la place à côté de lui comme s'il avait affaire à un enfant. Elle recula vers la porte.
— J'ai toujours aimé ton tempérament un peu rebelle.
— Tu n'as jamais rien aimé du tout. Tu m'as séduite pour atteindre Ubis.
Il haussa les épaules.
— Je n'avais pas vraiment le choix, il devenait pénible. Je pensais devoir me contenter de l'assistant, puis tu as débarqué... Une aubaine. Tu n'es pas exactement de première qualité, mais je préfère quand même les femmes.
L'image de Paul entre les bras de cette créature s'imposa, absurde. Laura attrapa la poignée de la porte, dans son dos, mais elle refusa de tourner.
— Tu ne voulais même pas parler de lui...
— Ça n'était pas nécessaire.
Il assortit cette dernière phrase d'un sourire retors.
— Tu m'as livré l'information critique au moment opportun et j'ai pu agir comme il le fallait.
Laura se souvint du récit de l'Égyptien, de la mort de l'ange qui avait provoqué sa métamorphose et le débarquement en fanfare de Michael. C'était incompréhensible : pourquoi Sam était-il resté à New Tren après avoir, lui-même, appelé son futur exécuteur ? Elle ne posa pas la question, il n'en dit rien, se contentant de tapoter à nouveau le lit à côté de lui.
— C'est vraiment dommage. Si tu avais été plus intelligente, si tu avais su reconnaître combien j'étais supérieur à tout ce que tu avais déjà rencontré dans ta misérable existence, je t'aurais peut-être préservée de tout ça.
Il haussa les épaules, l'air de ne rien en penser.
— Mais de toute façon, c'est beaucoup trop tard pour regretter quoi que ce soit.
— Je ne t'aimais pas, Sam...
— Oh, je sais. J'ai toujours su que je partageais tes pensées avec une multitude de parasites.
Il avait espéré qu'elle s'enchaîne à lui sans réciproque et l'aurait sans doute jetée dès qu'il n'aurait plus eu besoin d'elle. Elle l'avait pris de vitesse en quittant le navire la première, chose qu'il n'avait pas anticipée. Il avait beau dire, il ne s'était pas rendu compte de l'attachement superficiel qu'elle avait eu pour lui. Mais après tout, comment espérer qu'un démon distingue l'amour de l'affection ?
Elle réalisa trop tard qu'il s'était levé.
Il l'agrippa, la traîna jusqu'au lit puis la poussa en arrière. Il ne rencontra aucune des difficultés qu'avaient dû gérer ses hommes de main. Son désir s'imposa tant aux vêtements qu'au corps lui-même et il fut en elle en quelques secondes seulement. Surprise par la rapidité douloureuse de son intrusion, Laura poussa un cri puis se mordit les lèvres pour ne pas hurler. Après tout, elle avait déjà fait l'amour avec lui plus d'une fois, et les choses avaient été merveilleuses.
Bien sûr, tout avait changé.
Sam ne fit aucun effort, rendit l'acte extrêmement pénible, comme s'il prenait le contrepied de tout ce qu'il savait d'elle. Démunie face à l'assaut, Laura tenta de s'arracher à l'instant, mais son corps se contractait, se refusant à cette bête non humaine, à l'inacceptable, et elle sentit la souffrance qui refluait dans ses muscles, ses os, qui écrasait ses poumons et son cœur.
Son cœur.
Il s'emballa comme un cheval fou, puis se braqua face à l'obstacle. Impuissante, Laura devina sa poitrine agitée de soubresauts et anticipa la défaillance finale. Tout se brouilla dans une douleur intense. C'est à cet instant que Sam vint, et son sperme, cette bouillie noire informe qu'elle avait trouvé au creux de Linda, la brûla au plus profond d'elle-même. Il se retira et elle survécut.
Il lui fallut plusieurs secondes pour reprendre ses esprits. Sa carcasse pesait sur le matelas défoncé comme si elle ne lui appartenait plus. C'était mieux. Laura aurait tout donné pour ne plus être qu'esprit, loin de ce corps, loin de cet endroit, loin de cette pourriture qui, tranquille, se rhabillait comme si de rien n'était.
— Nous sommes un peu désaccordés, remarqua-t-il.
Elle lui aurait arraché les yeux si seulement elle avait eu des bras, des mains, des doigts, pour le frapper. Il se rassit, contempla sa fureur avec son sourire insupportable, en rajustant le col de sa chemise.
— Michael va te tuer, souffla-t-elle, la voix rauque, la lèvre ensanglantée d'avoir tu son horreur.
— Michael ne me trouvera jamais, Laura. New Tren est une ville pervertie, qui assourdit ses sens. Il est arrivé quand ? Il y a deux semaines ? Il n'en est nulle part. Les temps où le chant de Dieu était suffisamment fort pour que les intrus dénotent sur sa mélodie sont révolus. Il est beaucoup plus faible qu'autrefois. Il repartira avant de m'avoir trouvé. Il me suffit juste de garder un profil bas, le temps qu'il se lasse. Son objectif, c'est Anubis. Le dernier dieu de son panthéon, le dernier nom à rayer d'une liste qu'il traîne depuis des millénaires. Moi, je suis un parmi mille et mille encore. Je ne suis pas prioritaire.
— Il me trouvera moi. Il veut me protéger.
Sam rit doucement.
— Il ne peut pas t'entendre. Tu n'es qu'une humaine. Tu n'as pas de son particulier, d'autant que tu es une mécréante de la pire espèce...
L'archange l'avait trouvée, pourtant, dans la morgue. Mais sans doute l'avait-il suivie, simplement. Ce qu'il n'avait pu faire ensuite, tout à sa curée.
— Il est tenace.
— Beaucoup moins que tu ne le crois. Il sait qu'il a peu de temps. Il peut être rappelé à tout moment par son patron, pour être envoyé ailleurs. Entre l'Égyptien et lui, c'est personnel, parce qu'il était persuadé de l'avoir tué autrefois, quand il a massacré les autres. Mais moi, je ne vaux pas qu'on mobilise un tueur de son calibre. Mes cousins, mes frères, sont partout, et certains exigent une intervention bien plus urgente. Et puis, chaque jour qu'il passe ici, le monde pervertit son essence. Il s'humanise. Il doit partir s'il veut rester tel qu'il est. Parce que tu imagines bien qu'il ne peut pas manger des coeurs, lui. Il doit retourner à sa source.
Sam posa deux doigts sur la joue de Laura, remonta jusqu'à sa tempe.
— Alors tu vois, je ne compterais pas sur lui pour te tirer de ce mauvais pas. Tu n'as que moi. Autant t'y faire. De ta bonne volonté dépend ta propre vie... mais j'ai aussi un petit incitant externe. Je dois avouer que j'ai hésité à l'utiliser pour te faire venir, je commençais vraiment à m'impatienter... mais c'est tellement cliché, le coup de l'otage. Et tu en aurais parlé à Michael. Ça aurait tout compliqué.
— Quel otage ? murmura-t-elle.
— Je dois vraiment te le dire ?
La glace s'insinua dans ses veines tandis qu'il souriait, fier de son effet.
Ubis l'avait persuadée que le démon n'avait pas attrapé Aaron, que c'était la raison pour laquelle il avait envoyé ses sbires à l'église, mais l'Égyptien ignorait le lien qui avait existé entre Sam et Laura, et toute la rancoeur qui en avait résulté.
— Je n'aime pas partager, poursuivit le journaliste. Et il me tapait déjà sur le système depuis un certain temps.
— Il ne t'a rien fait...
— Techniquement, c'est faux. C'est un curé, Laura. Je dois sans doute te le rappeler vu... vos errements.
Elle ne releva guère cette insinuation.
— Il y en a des dizaines à New Tren !
— Soixante-quatre prêtres ordonnés, exactement. Mais bon, d'une pierre deux coups, tu t'en doutes.
— Laisse-le tranquille !
Sam leva des mains défensives, sans se départir de son expression narquoise.
— Ça ne dépend plus que de toi, maintenant.
La nausée la saisit, imprévue, et ce qui lui remonta dans la gorge la fit tousser. Magnanime, Sam la souleva par l'épaule pour la tourner sur le côté et la laisser vomir sur le matelas. Un liquide noirâtre, pestilentiel, mouilla bientôt la toile usée. Sa saveur répugnante lui brûla la bouche, elle s'étrangla tandis qu'il lui frôlait la joue.
— Effets secondaires. Tu t'y feras.
Qu'était-il en train de lui faire ? Avec quoi l'avait-il contaminée ?
Il fit mine de se relever mais elle le rattrapa par la manche, au prix d'un coûteux effort de volonté.
— Je veux le voir, exigea-t-elle, la voix cassée. Je veux voir de mes yeux qu'il va bien.
— Je n'ai pas dit qu'il allait bien, protesta Sam, faussement vexé.
Laura resta muette, soufflée par sa répartie, puis, sans pouvoir se défendre, elle éclata en sanglots. Il lui caressa mécaniquement les cheveux.
— Allons, allons, il n'est pas mort, c'est déjà quelque chose, non ?
Cette ordure de saloperie de démon.
Elle n'aurait jamais dû entrer dans cette église, jamais dû accepter une tasse de thé, elle aurait dû profiter du moment où Aaron avait coupé les ponts pour garder ses distances, car elle l'avait mis en danger, dans tous les sens du terme, son âme et son coeur et maintenant son corps, et elle avait cru que le faire monter dans le train suffirait, mais elle n'avait pas mesuré la haine qui animait son adversaire.
Ce dandy monstrueux. Fier de lui, qui humait son désespoir comme une drogue perverse. Malgré les larmes, elle voyait l'extase sur son visage, une jouissance nue, répugnante.
Elle aurait voulu trouver la force de se redresser pour l'attraper par les revers de son foutu costume et lui fracasser le crâne contre le mur. Une fois, deux fois, dix, jusqu'à ce que sa cervelle diabolique macule le crépi en gerbes fantastiques. Mais plus ces pensées belliqueuses germaient dans son esprit et plus l'emprise du monstre semblait la clouer au matelas, comme s'il était à nouveau couché sur elle.
Elle ferma les yeux pour le bannir de son horizon, mais sentit la pression de ses doigts sur son visage, le spasme qu'ils provoquèrent.
— Je vais y réfléchir. Vois ça comme un test de ta bonne volonté. Une récompense, si tu es sage.
Cette fois, il se leva, gagna la porte et sortit, sans éteindre la lumière.
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