Succession
New-Seattle, Quartier 8.8, Manoir di Drac, 11 avril 2314
Christale
Christale aurait voulu s'asseoir si elle ne l'avait pas été. Il n'était pas possible qu'il pense à ça. Elle rejeta l'idée de tout son être.
— C'est pas au poumon mais au cerveau que t'as choppé une tumeur, lâcha-t-elle avant de regretter cette cruauté gratuite.
— Ne perdons pas de temps de manière aussi futile, dit-il sans même tiquer. Tu as très bien compris que les deux autres idées sont trop fragiles. Le Dragon doit régner pour survivre. La Couleuvre veut se venger et une famille faible ne pourra être qu'effacée s'il accède au pouvoir.
— Hérésie ! Il y a 12 sièges, il faut 12 familles.
— Il y a déjà eu des suppressions par le passé. Lorsque le Serpent régnait ; avant que mon grand-père ne mette à bas la Chimère ...
— Avec l'aide des Cani et des Scimmie, l'interrompit-elle. Je connais l'histoire de la famille et tu ne veux pas perdre de temps.
— Bien, et donc ...
Elle déglutit avant d'exposer l'idée.
— Tu respectes la succession et je deviens la première femme au sein du Conseil.
— L'Ordre se prétend millénaire mais nous n'avons que 2 ou 3 siècles au plus. Avant, les pouvoirs parallèles étaient désorganisés et faibles ...
— Cesse les digressions, s'énerva-t-elle. Même avec une histoire si courte, tout le monde a des principes. Les conseillers sont des hommes et tu comptes annoncer une femme comme successeur. Au poste de Conseiller Suprême en plus. J'ai même pas 17 ans, merde quoi.
Il resta silencieux le temps qu'elle souffle.
— Tu vois une meilleure solution ? Je ne crois pas qu'il en existe alors nous devons faire le nécessaire pour la rendre possible.
Encore une phrase qu'elle l'avait entendu dire à de nombreuses reprises.
— Bien, admit-elle. On commence par quoi ? Les soutiens, ajouta-t-elle vu que son père ne semblait pas vouloir l'aider.
Mon adolescence n'aura été qu'un immense test, pensa-t-elle avec morosité.
— En premier lieu, énuméra-t-elle, comme tu me l'as souvent dit le nombre l'emporte et j'ai passé les quatre ans depuis mon retour à sympathiser avec le personnel du manoir malgré tes demandes. Donc la famille me suivra même si le Lindworm tentait de me discréditer.
Il hocha la tête.
— La Chimère se dressera face à nous, c'est évident, ajouta-t-elle. Et de la même manière, les singes et les chiens feront front avec nous. Les singes car ils m'ont éduqué, les chiens car maman était l'une des leurs. Et tous car nous sommes alliés de longue date.
Il posa les coudes sur ses genoux en attendant la suite. Il n'y avait pas que 6 familles.
— Les coqs sont fiers et la Chimère ne s'embarrassera pas de chercher à les rallier à leur cause. Il y a des pions à jouer sur ce plateau. Les porcs se croient maîtres du monde car ils détiennent l'or. Ils joueront sûrement sur tous les tableaux. À nous de nous montrer comme un bon investissement, grinça l'adolescente.
Il semblait content jusque-là. Plus que 4.
— Les taureaux vont être bien plus difficiles à convaincre car ils sont traditionalistes. Peut-être en jouant sur le fait que la Chimère a assassiné Il Manzo, ton beau-frère lors de la mutinerie ...
— N'y compte pas, la coupa l'homme le plus influent de sa génération. Il n'avait pas d'importance stratégique et son frère sait que les sentiments ne font pas sortir vainqueur d'un tel conflit.
— Bien, il reste les planqués. Je sais que tu tiens à respecter chaque famille mais les lapins restent dans leur terrier et ils ne sont plus qu'une centaine, en comptant le personnel de cuisine.
— Poursuis.
— Les chevaux répugnent à se battre, mais si la Chimère les attaque nous pourrions les rallier à notre cause. Ils seraient un appui tactique grâce à leur système de communication.
— Et ?
— Et les rats, conclût-elle. Tu t'attends à quoi ? Ils attendront de savoir qui est le vainqueur pour choisir leur camp. Si possible un vainqueur exsangue pour gagner en puissance au Conseil.
***
— Et maintenant on fait quoi ? demanda-t-elle
— Comme tu l'as dit, on place nos pions. Je convoque le Gibbon demain pour mettre en place les relations avec les Galli pour caresser leur orgueil. Suivront les discussions avec les Maiali pour contracter un emprunt et remplir les stocks d'armes à ras-bord.
— Tu penses vraiment que la Couleuvre tentera une seconde mutinerie ?
— La première a été brutale et a fait beaucoup de morts des deux côtés. Il a le champ libre maintenant vu que les civils sont partis se réfugier près des côtes.
— Mais il n'a plus l'effet de surprise.
— Et il pense avoir une fillette pour adversaire. Ne te méprend pas sur mes paroles, il ne fera pas l'erreur de te sous-estimer, mais il va jouer dessus pour faire plier les Maiali.
— C'est pas le pied. On fait quoi face à ça ?
— On surprend. Si j'ai foi en toi ce n'est pas pour rien. Le Conseil croit avoir un pantin alors il sera heureux. Mais tu as la tête sur les épaules et tu sauras t'imposer quand l'heure viendra.
— C'est magnifiquement monté comme plan, dit-elle avec une pointe de cynisme.
— Mais ?
— Tu as négligé un détail de poids : Je. Ne. Veux. Pas.
— Je le sais très bien. Tu me rappelles tellement ta mère qu'il n'y a sûrement que sur ce point que tu tiens un peu de moi. Un chef avide de pouvoir n'est pas le meilleur. Celui qui est chef contre sa volonté fera de son mieux pour le sort de tous et pas pour ses propres objectifs.
Elle ne sut quoi répondre.
— Méfie-toi toujours de tes propres objectifs. Ce sont les plus dangereux. Pour tes proches et pour toi.
Cette phrase, elle ne l'avait jamais entendue mais elle comprit qu'il l'avait appliqué presque toute sa vie. Elle dut se retenir pour ne pas pleurer. Elle comprit que son père avait fait "'l'erreur" de se marier par amour. Elle vit qu'il avait compris qu'elle avait compris.
— Oui, admit-il. La Couleuvre m'avait proposé sa seconde fille alors que les tensions étaient déjà palpables. Mon père venait de mourir et je me savais courtisé car j'étais à la tête de l'Ordre.
Le coin de son œil gauche s'humidifia à cette pensée. Christale ne se souvenait littéralement pas l'avoir vu un jour si émotif.
— Et j'ai connu ta mère. Les Cani étaient déjà nos alliés. Il n'y avait aucun intérêt stratégique mais ses yeux, son sourire. J'étais libre car j'étais le maître du monde, ou presque. Nous avons eu droit à 5 années magnifiques avant que la Couleuvre ne passe à l'attaque.
Elle percuta sur un détail.
— Mais la Couleuvre n'a pas d'enfant.
— N'a plus.
— Pourquoi je ne suis pas au courant ?
— Cela faisait partie du pacte de paix. Je ne sais pas pourquoi, il refusait d'admettre qu'ils aient existé. Son fils et ses deux filles. Peut-être parce que ce n'est pas moi qui les ai tué. On prétend que sa première fille a été violée par Il Dinofeli alors qu'il était censé l'emmener à l'abri.
— Donc il a enterré l'existence de ses enfants pour conserver l'unité de la Chimère ?
— Sûrement. Bon, désolé Christale. Je suis fatigué par la visite du seigneur des serpents. Et je dois contacter celui des singes. Nous nous reverrons bientôt.
Elle se leva sans mot dire et retint la bonde de ses émotions. Arrivée à la porte, elle ne put se retenir de reprendre la parole.
— Père ? Je n'ai jamais réussi à te détester.
Elle le sentit sourire et franchit la porte en écrasant une larme. Elle chassa Ugo et marcha dignement vers ses appartements.
***
Le soleil rasait le toit du gymnase attenant alors que Christale finissait de trier ses affaires. Elle se devait de devenir digne de son prochain titre. Elle avait une réputation à effacer et une à créer. Toutes ses affaires de sport, ses jeans, ses débardeurs, ses vêtements troués ... Tout cela était réuni dans un grand sac de voyage et deux sacs à dos. Elle soupira en y ajoutant un t-shirt un peu trop grand avec un petit trou sur le côté droit. Souvenir de sa dernière escapade hors du manoir. Elle devait aussi en finir avec cela. Mais elle ne pourrait même pas le prévenir. Elle espéra qu'il l'oublie vite puis se dit que non. Quelques coups à la porte la sortirent de sa réflexion.
Ugo entrouvrit la porte et elle lui jeta le t-shirt pour lui rappeler qu'il devait attendre avant d'entrer. Il sembla rester plutôt assuré par rapport à d'habitude. Mais c'était la fin de la journée.
— Madame, je viens prendre commande pour le dîner.
— Tu as écouté aux portes ?
Il sembla se demander ce qui lui vaudrait le plus de reproches.
— Félicitations madame.
— Bon, il faut que je me réhabitue à manger en public.
Il sembla rassuré qu'elle ne le blâme pas.
— Vous ne comptez pas manger dans la grande salle ?
— Non, je sais que ce serait étrange. Mais pour commencer je vais manger comme eux. Et puis, tu as déjà mangé ?
— Moi ? Non. Mais ...
— Je suis laide à ce point ?
— Quoi ? Non, madame.
— Bon alors tu es invité à ma table ce soir.
— Mais ... madame ... votre père ...
— Putain Ugo, on s'en fout de mon père. Si ça lui plaît pas c'est moi qui assume. Et tu es aux ordres de qui ?
— De madame, admit-il.
— Bien. Et pas ce soir d'ailleurs.
Il fut médusé. Elle explicita.
— Ce soir je ne suis pas "madame". De toute façon je suis mineure, bordel. Essaie au moins de dire mademoiselle.
— Mais ...
— Chut, je parle. Donc ce soir tu utilises mon prénom et tu me tutoies. J'ai besoin d'un ami.
— Ce ne serait pas respectueux, blêmit-il.
— Tu préfères me manquer de respect ou me désobéir.
Si sa peau n'avait pas été halée, elle aurait pu le qualifier de diaphane tant il pâlit face au dilemme. Elle le libéra de son état d'un sourire.
— Arrête de réfléchir puisque de toute façon j'ai le dernier mot. Aide-moi plutôt à trouver une robe appropriée pour le repas.
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