Squatteuse
New-Seattle, Quartier 9.7, Cache d'Éthan #02, 13 avril 2314
Éthan reprit conscience avec une violente douleur au crâne. Il voulut porter le bras gauche à son front et retint un hurlement de douleur. Il sentit que son épaule était bandée et que le sol était froid dans son dos. Il plia le coude avec prudence et vit que ses doigts bougeaient correctement. C'était déjà ça de pris même s'il n'avait plus de t-shirt.
Il essaya de se remémorer les événements. La porte, l'intrus, la barre qui fusait vers son visage. Il paniqua une demi-seconde puis remarqua une incohérence. Pourquoi un inconnu aurait bandé son épaule ?
Avec lenteur il tourna la tête vers son sommier et vit cascader une natte défaite et presque rousse. Il soupira de soulagement. Cela fit instantanément remonter les mèches.
— Réveillé, remarqua Kris' avec cynisme, en roulant jusqu'au bord du lit pour le regarder.
Il tenta de ne pas se noyer dans les yeux verts qui le surplombaient. Il eut du mal. Ces puits étaient depuis trois ans la raison pour laquelle il essayait de faire plus de stocks, au cas où elle viendrait.
— T'étais obligée de me péter le bras ? demanda-t-il en guise de bonjour.
— C'est qu'une subluxation et j'ai tout remis en place. Faudra juste attendre que les ligaments se ressoudent parce qu'avec ton poids bah ... Il ne fallait pas espérer que je te retienne. J'ai déjà retenu ton arme pour que tu te blesses pas, débita-t-elle avec la rapidité symptomatique de son énervement.
Elle sembla gênée, quelques secondes, puis elle redevint elle-même.
— Ça t'apprendra à me faire peur, asséna la rousse sèchement. Quelle idée aussi de défoncer les portes comme un bourrin ?
— C'est toi qui squattes ma chambre sans prévenir et c'est moi qui me fais allumer ?
— Tu m'as jamais dit comment te prévenir. Au fait, je reste plus longtemps cette fois.
Il était calme jusque-là et il avait trop sommeil pour vraiment comprendre ce qu'elle venait de dire. Elle n'ajouta rien. Il n'avait pas envie d'un nouveau conflit avec elle.
— Et juste laisser un mot ou m'attendre dehors ça semblait pas une bonne idée, proposa-t-il tout de même, sans grande conviction.
— Tu sais pas lire et je ne savais pas quand tu serais de retour dans le coin.
— Il est quelle heure, demanda-t-il en pointant la main droite vers l'horloge hors de sa vue.
— Elle marche pas, soupira Kris'. Mais je pense que minuit est passé tu ferais mieux de dormir.
Il se dit qu'il n'y arriverait jamais avec les élans en provenance de sa tempe et de son épaule. Mais dès qu'il reposa la tête sur le plancher froid, sa vision s'obscurcit et il plongea dans des rêves dont il avait honte.
***
Éthan se réveilla avec les idées dans le vague. Son épaule gauche le lançait encore terriblement. Mais, en prenant appui sur son bras droit, il parvint à s'asseoir et à s'adosser contre le sommier. Sa tête se mit à tourner et il reprit son souffle. Son épaule était gonflée et ses doigts étaient engourdis, sûrement à cause du bandage trop serré. Il passa le doigt sous la bande et eut un flash de douleur. Il sentit à nouveau ses doigts ; mais il avait envie de vomir. Sa vision redevint nette et il secoua la tête pour chasser le fourmillement derrière ses yeux. Il s'y reprit plus lentement après avoir eu l'impression qu'un nouveau coup de barre venait heurter sa tempe.
Il respira plus franchement et se releva lentement, tout en remarquant que Kris' n'était pas sur le lit, ni dans le reste de la pièce. Lorsque sa tête tourna assez peu pour que le plancher semble plat, il se dirigea vers la réserve, cuisine et salle à manger. Le soleil filtrait avec des teintes bien trop claires au goût du géant blond. Il plissa les yeux et estima aux ombres que le soleil n'était levé que depuis une heure malgré la luminosité.
Kris' tentait de faire cuire des haricots blancs sur un vieux réchaud. Et ça ne semblait pas marcher assez vite à son goût. Il passa la main dans ses cheveux mi-longs et crasseux. Elle releva la tête et le fusilla du regard.
— Il te reste un bras. Montre-moi comment booster ce truc.
— Bonjour à toi aussi. Il n'y a pas moyen, dit-il en reniflant. Par contre si tu remues un peu tu verras qu'au fond c'est déjà cramé. Pose-le sur la table. Je prépare ta boîte.
— Quelle table ? s'étonna-t-elle en balayant la pièce du regard.
— Ben au sol alors. Il y a quelques couverts par là-bas, ajouta-t-il en désignant un coin de la pièce avec l'autre boîte qu'il posa sans l'ouvrir sur le réchaud.
Il vit la boîte virer au rouge en bas.
— Passe moi un couteau pointu. Vite.
Elle lui lança et il atterrit à quelques centimètres de lui. Il sourit ; il lui avait bien appris.
Il planta le couteau au bas de la conserve de sa main droite puis la tourna avant de retirer la lame. De la vapeur et du gras sortirent de la conserve sous pression.
Il attendit un peu avant de retourner la boîte pour cuire l'autre moitié. De la vapeur continua de sortir plus lentement puis il planta le couteau au même emplacement pour retirer la conserve du feu.
— Attends juste que ça redevienne gris plus une minute pour l'ouvrir. Et bon appétit, dit-il en se glissant en crabe jusqu'à sa propre conserve.
Elle lui adressa une grimace qui voulait sûrement dire qu'elle était contente mais qu'elle ne le remercierait pas pour la leçon.
***
Le jeune homme avait fini de racler sa conserve depuis longtemps et il attendait que son amie sorte de sa rêverie. C'était étrange de la voir, elle qui était toujours en train de parler, rester silencieuse avec le regard dans le vide.
Il toussa mais elle ne réagit pas. Il secoua une main dans sa direction. Cela n'eut guère plus d'effet. Alors il l'appela.
— Kris' ? T'es encore là ?
— Mouais, ouais, grogna-t-elle. T'as quoi ? On est pas pressés : tu peux pas sortir comme ça.
— C'est pas une raison pour me ... regarder de haut.
— Snober.
— Quoi ?
— Le verbe que tu cherchais c'est snober.
Il fut surpris qu'elle n'ait pas ajouté d'insulte en guise de ponctuation. En général, elle lui rappelait qu'il était un "gros con", un "débile" ou d'autres gentillesses dont il ne comprenait pas tout à fait le sens.
— Ouais bon, je m'en fous, répondit-il sans réussir à être cassant. Tu peux pas te pointer comme ça me péter une épaule et repartir sans m'avoir adressé la parole.
— 3, se contenta-t-elle de dire.
— Hein ?
— 3 conneries dans une phrase. Je crois que c'est ton record.
— Même pas, mais explique moi mes "conneries", dit-il en essayant de mimer des guillemets d'une seule main.
Son record, c'était, de l'avis de Kris', quand il avait vu son dos nu et qu'il avait tenté de s'excuser. Sa phrase avait été bien plus longue mais elle l'avait frappé cinq fois : un coup par connerie. Le plus violent avait été dans ses parties quand il avait dit que ça ne se reproduirait plus.
— Ton épaule est pas pétée, j'ai remis les os en place, elle était juste désaxée. Par contre, à cause de ton poids, tu t'es sûrement arraché un ou deux ligaments quand j'ai retenu la machette. C'est pour ça que l'épaule est encore enflée et qu'elle te démange. Mais fallait pas être une brute.
— Ça change pas grand-chose, je peux plus utiliser mon bras droit.
— C'est le gauche.
— Bref ! Et les deux autres ?
— Quoi ?
— Les deux autres conneries. C'est quoi ?
Kris' hésita. Elle n'hésitait pas souvent. Il sentit que c'était pire qu'il ne le pensait : elle ne parlait pas de rester que pour une nuit de plus.
— Je suis en train de t'adresser la parole.
— Si tu dis pas ça en dernier c'est inquiétant, commenta le géant.
— Je ne pars pas, se renfrogna-t-elle. Pas tout de suite.
— Faudra que tu m'expliques là.
— Je ... je reste ici. Pour te soigner.
Il n'y crut pas une seule seconde et elle ne lui en dirait pas plus s'il insistait. Il la connaissait peu, ça c'était établi depuis longtemps : Kris' mentait souvent mais mal. Cependant elle n'en démordrait pas même dos au mur. Et ce n'était pas comme s'il voulait ou même pouvait la mettre dos au mur.
— Et tu t'installes où ?
Elle eut un sourire qui le mit mal à l'aise.
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