Soins


New-Seattle, Quartier B.7, Manoir di Cani, 4 mai 2314



Dès que Lierre se fut débarrassée de sa cape, Acacia leur fit signe, à elle et Cèdre, de la suivre à la salle de bain alors qu'elle sortait une trousse chargée de son paquetage. Les deux cadettes la suivirent sans avoir idée de ce qui se tramait. Acacia ferma la porte après un court instant, sûrement pour dire aux deux hommes de ne pas les gêner.

— Bien, gamine. Même si tu nous as amené dans cet embrouillamini, je suppose que ton identité reste un secret.

L'adolescente confirma du chef.

— Bon, Cèdre, je sais que tu es vexée d'avoir été manipulée mais j'ai besoin de ton aide pour la maquiller. Il y a trop de personnes qui la connaissent ici et la cape c'est pas pratique pour travailler.

— Certains se souviennent peut-être aussi, commença la femme noire.

— Si les autres veulent afficher leur ancienne vie ça les concernent, l'interrompit l'ancienne. Lierre, j'ai besoin que tu te déshabilles ou au moins que tu enlèves ton chemisier pour être certaine que le déguisement ne soit pas trahis par une manche remontée ou un col trop échancré.

La benjamine obéit et s'assit sur un tabouret sur-élevé que Cèdre lui tendit. Les deux femmes s'affairèrent près d'une heure pour parfaire le travestissement. Christale tenta de s'occuper en se répétant les petits conseils qu'Acacia distribuait sans ordre apparent.

"Pas d'eau sur les mains, mais ça résistera à l'alcool à désinfecter" ; "Évite de te toucher le visage, ça devrait tenir mais on est jamais trop prudent" ; "Pour le visage ça tiendra à l'eau mais ça a tendance à mousser au contact de l'alcool" ; "Les cheveux, il faudra le rincer abondamment mais évite de les gratter sinon tu vas avoir des taches sur les doigts".

Il y avait aussi du bruit dans le salon à côté mais personne ne vint toquer à la porte.

Lorsque le travail fut terminé, elle se positionna devant les 3 psychés installées de manière à pouvoir s'observer sous toutes les coutures. Elle fut bluffée. Ses cheveux bruns légèrement roux étaient devenus aile-de-corbeau. Sur sa peau, on ne devinait plus les taches de rousseurs tant elle avait été hâlée. Seuls restaient ses yeux vert sombre mais il aurait était troublant qu'Acacia eut encore des lentilles de contact colorée alors que ce marché frivole était devenu un vrai luxe.

Les femmes sortirent de la salle de bain, les hommes approuvèrent le déguisement d'une paire de hochement.

— Puisque nous sommes près, allons soigner, déclara Chêne.

Chacun se saisit de sa trousse de soins personnel et le doyen acariâtre lui en jeta une plus légère alors même qu'elle se sentait démunie.

***

Le mess aménagé pour les blessés était plus spacieux qu'il n'avait semblé au premier passage. Lierre estima à quatre-vingts le nombre de patients, peut-être quatre-vingt-dix. Une vingtaine d'infirmiers et d'infirmières passaient dans les rangs avec des serviettes humides et des pansements.

Au fond, une série de tables exposées à de fortes lumières devait servir pour les opérations mais seuls deux chirurgiens opéraient. Chirurgiennes, se corrigea l'adolescente quand elles se tournèrent vers les nouveaux arrivants.

L'une agita un bistouri en direction d'un homme en costume qui passait dans les rangs sans toucher les patients. Il semblait parfaitement à l'aise malgré l'odeur de l'alcool, du sang et des membres raccourcis dont les restes pourrissaient bien trop près des alités. Pourtant, sa tenue était incongrue et Lierre remarqua que le costume, tout à fait approprié pour une soirée mondaine, était vierge de toute projection.

Il glissa quelques mots à deux infirmières avant de s'intéresser à eux. Lorsqu'il se tourna, Christale eut un nœud à l'estomac sans vraiment cerner pourquoi. Elle savait que cet homme lui disait quelque chose mais elle mettrait du temps à retrouver pourquoi. Il croisa son regard interrogateur. Il se détourna de ses yeux mais le fait qu'il avale sa salive le trahissait.

— Je ne vous souhaite pas la bienvenue, adressa-t-il aux doyens puis à Cèdre et Jonc. Mais votre aide nous est précieuse. S'il y a des chirurgiens surtout. Trois des nôtres sont partis au front ce matin pour porter aide aux singes. Deux sont en train de se reposer et les autres ici présents sont malheureusement en attente de soins.

— Mes mains ne sont plus très précises mais je sais encore faire des diagnostics, les amputations nécessaires, Cèdre fera la couture et le travail de précision, déclara Acacia avant de se diriger vers une table.

Elle fit un signe sec à une paire d'infirmiers pour qu'il lui apporte l'une des civières occupées. Cèdre fit un détour pour observer le malade et s'assurer qu'il était bien endormi. Les infirmiers posèrent la civière au bord d'une table et glissèrent le corps anesthésié sur la table avec l'aide de Cèdre. Puis cette dernière et son aînée déballèrent leurs ustensiles de chaque côté de la table.

Jonc se dirigea vers l'un malade qui se débattait sans mot dire.

— Il va aider aux anesthésies, déclara Chêne en détaillant l'homme en costume du regard. Lierre, tu m'assisteras.

Après un bref instant de surprise, elle confirma muettement de la tête. Chêne fit signe aux infirmiers, qui semblèrent déjà moins réjouis d'avoir un surcroît de médecins dans le mess. L'adolescente leur adressa un sourire qui se voulait timide, l'un d'eux redressa le dos, l'autre lui rendit son expression. Elle fut ravie de voir qu'être basanée n'enlevait rien à son charme.

Son sérieux revint au galop lorsqu'elle vit que Chêne la regardait de travers. L'homme en costume s'était détourné d'eux et semblait presque fuir tant il avait survolé les huit patients restants de la rangée.

***

Six patients, quatre jambes raccourcies, deux avant-bras y étaient déjà passés ainsi que onze doigts, quatre pouces, un morceau de poumon, la moitié d'une mâchoire, un œil et cinquante-trois orteils. Ou était-ce cinquante-quatre, l'adolescente tentait de garder le compte pour ne pas vider son estomac alors qu'elle lavait à grande eau la table maculée par un nuancier surprenant qui allait de l'orange au noir même si la dominante était le rouge-brun du sang en train de sécher.

Elle réprima un haut-le-cœur en voyant que la rigole qui serpentait entre les tables était bouchée par une boulette de cheveux. Le plus répugnant ce n'était pas de soulever la grille salit par des centaines de chaussures, c'était la peau restée accrochée aux cheveux.

Elle se lava les mains pour la dix-huitième fois de la soirée et enchaîna pour une dix-neuvième en espérant que personne ne remarque qu'elle se les lavait uniquement à l'alcool à désinfecter.

Le souvenir la frappa comme si elle n'était qu'un chat sauvage surpris par un sub-métro. L'homme en costume, elle le revit comme il était alors. Ses cheveux gris étaient bruns à l'époque, il semblait un plus grand aussi mais elle n'avait alors que quatre ans environ.

Il avait été le médecin-légiste de sa mère et le suspect numéro un dans la disparition de son corps. Le souvenir était flou mais certains mots résonnaient dans le crâne de l'adolescente. Il avait été radié et chassé du clan des dragons. Que faisait-il ici ? Il aurait dû se cacher chez les serpents après cette trahison, pas venir narguer le père et le frère de la défunte.

Christale vérifia que Chêne était occupé sur un patient avec Acacia. Apparemment un éclat était proche d'un organe vital et ils réfléchissaient de concert sur la meilleure méthode pour l'extraire. Les infirmiers aussi semblaient affairés. Elle fixa l'homme en costume, assis dans un coin sur un siège après une énième ronde.

Il remarqua son approche et signa hâtivement.

"Mieux vaudrait que nous parlions dans un endroit plus tranquille."

Elle confirma sans lui faire l'honneur de répondre dans un langage qu'il aurait dû oublier. En plus, il semblait utiliser des signes un peu plus anciens, elle préférait ne pas faire de malentendus.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top