Christale

New-Seattle, Quartier 8.8, Manoir di Drac, 11 avril 2314

Christale



L'adolescente coiffait la lourde chevelure rousse qu'elle venait de sécher lorsque des coups retentirent à la porte de ses appartements. Elle savait que c'était Ugo, son valet. Elle soupira. En ce beau mois d'avril 2314, le soleil qui passait par les grandes fenêtres de sa chambre éclairait doucement sa peau. Ses yeux vert sombre semblaient luire au milieu de son visage clair parsemé de son.

Une seconde série de coups se fit entendre et elle les ignora encore le temps de passer une robe. Il ne serait pas convenable que l'unique enfant du plus puissant seigneur de la mafia de New-Seattle soit vue nue par son valet. Elle se remit face à son miroir et finit de démêler ses cheveux.

— Entre, dit-elle à voix haute dès que le poing d'Ugo s'abattit à nouveau sur la porte.

Le jeune homme entra. Il était mal à l'aise, comme d'habitude. Il avait six ans et presque quarante centimètres de plus qu'elle mais il la craignait. Pour son caractère plus que pour son rang social, à vrai dire. Christale adorait sa frayeur mais pas la lenteur qui en découlait.

— Quoi ?

— Je ... euh ... votre père ...

— Ugo ! Tu as dix secondes pour réfléchir. Tu fais une phrase complète.

— Votre père vous attend dans son bureau d'apparat.

— Quand ? Tu oublies toujours les détails importants.

Elle vit dans le reflet qu'il consultait une antique montre à gousset. Une goutte de transpiration apparut sur son front et elle se força à garder son calme. Elle natta ses cheveux avec une célérité née de l'habitude.

— Quand ? insista-t-elle.

— Il y a deux minutes.

— Putain, Ugo ! Il va encore me faire des reproches à moi. Parce que t'as aidé une vieille à porter ses courses.

— Oui ... non ... c'étaient pas des courses ...

— Ta gueule ! Est-ce que je suis présentable, demanda-t-elle en se levant et en tournant sur elle-même.

— Toujours madame, déglutit-il.

Un goutte de transpiration perla sur le bord de son front et, même s'il avait les mains dans le dos, Christale devina que ces dernières tremblaient légèrement. Elle le foudroya du regard, s'empara d'une paire d'escarpins et trotta dans les couloirs pour minimiser le retard.

Sa natte brun roux avait beau lui donner mal à la tête à cause du mouvement répété de balancier, pour rien au monde elle ne l'aurait coupée. C'était son signe distinctif et l'une des raisons de son surnom : Dragonnet rouge.

Rouge pour la couleur de ses cheveux ou parce qu'elle était colérique. Mais personne n'aurait émis cette seconde hypothèse face à elle. Dragonnet car elle était la fille du seigneur du clan du dragon ; sa famille dirigeait l'ordre du Zodiac depuis 3 générations malgré la grande mutinerie de 2301.

Mutinerie qui avait valu à Christale de perdre sa mère à l'âge de 3 ans et demi. Après cela, elle avait passé son enfance dans un autre clan et n'avait revu son père que pour des reproches au propos de son comportement inacceptable pour son rang.

Elle hurla intérieurement en remarquant qu'elle avait raté un couloir. Elle revint sur ses pas avant qu'Ugo ne la rattrape.


***


Il attendit qu'elle ait enfilé ses chaussures et chassé les plis de sa robe brune pour lui ouvrir la porte. Elle inspira puis entra. Armando di Drac fit immédiatement un petit signe à Ugo pour qu'il reste dehors mais proche de la porte. Face à lui se tenait Silvio di Serpente, le seigneur des serpents et l'instigateur de la grande mutinerie.

Le premier n'avait pas tout à fait 50 ans mais sa charge l'avait fait vieillir plus vite que la moyenne. Ses yeux gris acier jaugeaient le monde entier derrière de petites lunettes rondes. Il semblait énervé mais il était constamment tendu. Christale ne se souvenait pas d'un « père » attentionné.

Face à lui, le second homme le plus puissant de l'Est de la plus grande ville de l'histoire de l'humanité. Peu de gens osaient lui donner 70 ans malgré son crâne chauve et sa peau tavelée car ses yeux et son être tout entier rayonnait encore d'énergie. L'avidité surtout se lisait encore en lui comme on sait que l'eau est mouillée. Pourtant il était plus proche des 80. Il refusait de porter des lunettes même si son regard, d'un gris si pâle qu'on pouvait y voir des reflets rose, s'égarait parfois à plusieurs centimètres de son interlocuteur.

Alors qu'elle s'avançait vers la table basse et ovale, il tourna la tête et afficha un sourire dénué de chaleur. Elle se retint de frissonner. Son père ne lui avait pas appris grand-chose mais elle savait qu'il ne fallait pas afficher sa peur. Surtout face à un seigneur de la Chimère.

— Bonjour, Christelle, c'est bien ça ? Je me souviens de toi toute petite. Les occasions ont manqué de te voir depuis.

Elle ne corrigea pas son prénom écorché. Il savait comment elle s'appelait et elle n'entrerait pas dans son jeu.

— C'est un honneur de vous recevoir, dit-elle sans savoir si elle pouvait s'asseoir.

Elle se dit que ce ne serait pas de bon ton surtout qu'elle n'avait pas pris le temps de mettre un collant. Son père ne dit rien et ne fit aucun signe à son égard. Comme si elle n'existait pas. Alors elle l'ignora tout autant et s'assit face à la Couleuvre, négligeant le regard froid du Dragon gris.

— Il se dit que tu essaies de créer un record de prétendants rejetés, siffla le seigneur des serpents. Quel est ton avis sur la question ?

Elle passa le dos de sa main sur les plis de sa robe pour gagner de précieuses secondes de réflexion.

— Il faudrait aussi voir à m'envoyer des prétendants qui sachent tenir leur vessie.

Elle remarqua du coin l'œil un bref mouvement des lèvres de son géniteur. Lui ? Amusé par son insolence ? Elle n'y crut pas. Mais elle vit que le regard de la Couleuvre s'était gelé sous le coup de la rage.

En effet, il avait déjà envoyé plusieurs petit-neveux de l'âge de Christale mais le dernier en date n'était pas connu pour sa bravoure et elle avait prétendu que son surnom était en rapport avec le sang d'un prétendant trop tactile. Le froussard s'était oublié. Quelques gouttes à peine mais la tache était voyante sur sa tenue crème et l'histoire avait pris de l'ampleur avant même qu'il ne quitte le manoir en pleurs.

La mâchoire contractée du seigneur des serpents faisait saillir des veines sur ses tempes et lui faisait encore perdre quelques années à vue d'œil. Christale déglutit discrètement.

— Mais peut-être as-tu déjà quelqu'un dans ton cœur ?

Elle ne répondit que par un geste vague de la main. Assez pour indiquer que ses essais resteraient vains. Assez peu pour qu'il ne sache pas qui faire assassiner.

— Bien, j'ai d'autres tâches qui m'attendent. Navré de vous quitter. Armando, n'oublie pas ma proposition.

— Je n'oublie rien. Pas quand ça concerne un seigneur si puissant.

Sous couvert d'un compliment, son père venait d'asséner un rappel de la mutinerie et sûrement une menace qu'elle ne pouvait pas discerner. Elle faillit le respecter pour cela.

La Couleuvre s'appuya faussement sur sa canne et sortit dignement mais d'un pas nerveux.

Le Dragon gris fit à nouveau signe à Ugo de rester dehors.


***


Elle s'attendait à des reproches avoir été en retard et avait préparé ses arguments pour expliquer qu'Ugo l'ait été. Il était un être humain et elle ne le « dresserait » pas pour lui apprendre les priorités et la ponctualité. C'est pour cela que la réaction de son père la laissa dans l'expectative.

Il retira ses lunettes et massa ses tempes, montrant ainsi sa fatigue. Cela allait à l'encontre de sa première règle. Elle cru devoir se sentir vexée jusqu'à ce qu'il remette ses lunettes et ouvre sa bouche.

— Nous devons parler. Et pas de ton retard.

Elle blêmit en se disant qu'elle avait pourtant été plutôt discrète lors de ses dernières fugues. Il ne le comprit pas ainsi.

— Bien sûr je comprends que tu sois gênée et effrayée que nous parlions « déjà » de ma succession mais ça risque d'arriver plus tôt que je ne le pensais.

Il n'avait pas bougé les mains mais les guillemets s'entendaient à son intonation. Un rappel que la mort de son propre père l'avait propulsé inopinément à 28 ans au sommet de la chaîne de commandement de l'Ordre et pour ainsi dire du monde. C'était donc pour la succession que la Couleuvre était venue roder ... Elle saisit.

— Hein ? Mais pourquoi ?

— Cancer du poumon gauche, dit-il d'une voix à la fois neutre et résignée. Mes médecins me donnent 6 mois. Moins si les métastases atteignent le cœur.

Elle ne savait pas quoi répondre et le silence sembla s'étendre tandis que l'horloge au centre de la table ovale n'égrainait qu'une minute. Elle eut le temps de remarquer qu'elle s'était assise sur le siège des singes et cela l'amusa vaguement. Elle avait passé son enfance dans le clan des singes au loin de la guerre froide qui avait suivi l'échec de la grande mutinerie. Des années qui avaient précédé, elle n'avait que des flashs. Et celles qui avaient suivi cette période bénie n'étaient composées que de cours variés presque sans interaction sociale. Christale se reprit à temps pour entendre son père.

— Tu sais bien que nous devons parler de la succession. Ce ne sera pas simple.

Il laissa un blanc et elle comprit qu'elle devait montrer ses connaissances. Elle l'aurait volontiers fait à contre-cœur pour lui prouver qu'elle ne cautionnait pas ce rapport entre eux. Mais, en toute honnêteté, elle appréciait étaler ses connaissances et sa valeur.

— La première option c'est de me marier. Tout le monde attend que tu me trouves un époux.

— Mais ?

— Mais tu n'as pas trouvé quelqu'un qui sache me résister plus d'une journée.

— Et celui qui devrait te gérer deviendrait un pantin aux yeux du Conseil.

— La deuxième possibilité c'est de désigner un successeur, dit-elle en marquant une courte pause. Mais tu n'as pas de frère et que tu nommes ton cousin le Lindworm ou pas, il y aura des dissensions car il est trop âgé mais c'est ton plus proche parent.

— Et ?

Elle mit toutes ses capacités en branle. Elle chercha parmi les phrases qu'il avait déjà dites. « Il y a toujours une troisième solution », « Quand on a éliminé les solutions cohérentes, il reste tout ce qu'on a oublié ». Elle ressentit un vent froid sur sa colonne.

— Non.

Il ferma les yeux en signe de confirmation. Il devait être fou pour imaginer que cela puisse passer.

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