I.
Les hommes marchent dans une cité parfaite.
Les grands immeubles brillent sous le soleil de Mars pendant qu'il traverse les rues, en dessous des voitures sans roues. Les passants ne le regardent pas, tant ils sont concentrés sur leurs masques. Dans leurs vies, la préoccupation du lendemain n'existe pas.
Ces gens sont les produits sociaux d'une société de l'avenir.
Et TaeHyung ne veut pas en être. Bloqué dans un monde où les gens sont catalogués dans des cases prédestinées et contrôlées, il tente de s'échapper de ce carcan. Il veut être lui, seulement lui, avec ses problèmes humains et ses grandes mains un peu tremblantes. Il ne veut pas d'une opération pour que sa jambe droite soit à la même hauteur que la gauche, ni pour que sa paupière arrête de palpiter quand il est contrarié.
Il ne veut pas d'un nouveau logement, ni d'une nouvelle famille, ni d'un ami plus parfait que lui.
Alors, pour échapper à ces choses qui le rebutent, TaeHyung traverse la ville de ses grands pieds couverts de chaussures usées. Sa casquette est démodée, ses cheveux sont trop longs, son corps est trop gros : TaeHyung n'est attirant pour personne.
Il sourit un peu quand il voit l'enseigne lumineuse à quelques mètres de lui. Ses pas se pressent, ses pensées s'agitent, et les secondes disparaissent quand il entre dans le salon pourpre. Il traverse les tables où sont attablés des personnes silencieuses, jusqu'à atteindre le fond de la salle.
Il s'assoit lentement sur la banquette en velours carmin, et cherche dans l'eau bleue un corps qu'il connait trop.
Et quand il le trouve, gracieux dans un océan de volupté fantomatique, son visage s'éclaire d'un sourire qui fait briller ses yeux.
La main posée doucement sur le verre froid, il s'oublie. De l'autre côté de la vitre bleutée s'agite un homme à la peau diaphane. Ses cheveux noirs ondulent dans le courant que crée ses mouvements, tandis que ses yeux scrutent l'âme de TaeHyung.
Et dans un état second, le client ressent la force d'une étreinte irréelle qui percute son corps.
TaeHyung se rassoit sur son siège matelassé quand il entend un bruit à sa table.
Les murs rouges tournoient ; l'eau est claire ; les chandeliers chancellent ; et la femme se tourne vers lui avec la démarche assurée d'un robot.
- Nous allons fermer, monsieur.
TaeHyung ne répond pas. Il ne répond jamais à ces êtres de métal qui pourrissent sa vie. Lui, il veut du vrai, du concret, des émotions, des mots tendres, des mots d'amours, des mots d'une voix franche et des mots tranchés. Pas de ces gens qui prétendent faire partie de l'Humanité.
La femme ramasse son verre vide, lui adresse un sourire qui étire son visage crispé, puis disparait dans les ombres mouvantes du bar.
Lorsque ses yeux repartent vers la vitre constellée d'étoiles, la sirène le regarde.
Alors, il contemple le visage qui s'offre à lui dans les reflets de lumière ; il admire la courbe masculine de son torse opalin ; il effleure les muscles de ses bras et caresse du regard les écailles miroitantes. Depuis trois ans qu'il vient dans ce bar à sirène, TaeHyung n'a jamais trouvé l'homme en face de lui si beau.
La sirène danse, elle ondule dans la beauté de ses mouvements ; puis il s'approche, lent et léger.
Les chandeliers s'éteignent à quelques mètres de lui, alors il se lève sans détacher sa main de la surface froide ; l'homme-sirène lui sourit à travers le voile sombre de ses cheveux. Et, sans que TaeHyung ne s'y attende, il pose lui aussi sa main sur le verre, au même endroit que celle du client.
Leurs yeux s'affrontent dans une guerre qui les foudroie d'une force palpitante et les rend pantelants, accrochés seulement grâce à la chaleur de leurs corps qui transperce la vitre renforcée.
Mais alors que leurs âmes se complètent pour ne former que l'allégorie d'une chose qui les dépasse, le reflet de la serveuse vient troubler leur tendre sérénité. Le regard qu'elle leur lance brise le cocon de douceur, et d'un mouvement du poignet, elle obscurcit la vitre.
TaeHyung contemple son reflet sur la surface devenue noire, et se retourne presque violemment vers le robot.
Elle lui adresse un sourire encore plus tendu que la peau de ses mains et lui dit d'un ton clair qui résonne comme un ordre.
- Vous êtes prié de ne pas avoir de contact avec les sirènes, monsieur. Merci de votre visite.
TaeHyung quitte le bar avec un goût amer dans la bouche et une pulsion violente qui le démange.
Toute la nuit, ses yeux retracent le dessin d'un corps aquatique sur le plafond de sa chambre.
Allongé dans ses draps, puis debout aux lueurs de l'aube qui fait scintiller la ville, il peindra toute la nuit l'homme qui les hante.
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