Chapitre 42 : Anna/Tracy
Je passe le trajet à regarder distraitement la ville russe défiler sous mes yeux, n'osant penser ni à ce qu'il s'est passé dans la matinée, ni à ce qu'il va se passer.
Aucun doute tant qu'au fait que les Antela vont nous opposer une résistance, et que j'aurai un rôle important à jouer dans la bataille. Soleil a dû avoir du mal à laisser sa petite ténébreuse toute puissante à la merci de soldats ennemis, mais ma présence doit être nécessaire. Entre des soldats humains surentraînés, mon pouvoir fera une grande différence.
Les militaires de la voiture qui m'accueille sont froids. Si certains me dévisagent avec curiosité, la majorité ne m'effleurent même pas du regard. Décidément condamnée à passer ma journée dans le silence, une partie de moi finit par s'en chagriner. Si au moins Eden pouvait être à mes cotés...
Mais non. Comme tous Panos mis à part les sentinelles, il ne peut pas traverser le portail. Et me voilà seule, pièce maîtresse d'un combat dont je n'ai rien à faire au fond.
Que ne donnerais-je pas pour pouvoir encore sentir la chaleur de la main du rafaleur autour de la mienne...
- Nous sommes arrivés, miss, déclare l'homme qui m'a accueillit, le lieutnant Ztravon m'a-t-il dit.
Je hoche la tête, contemplant par la petite fenêtre de la voiture l'immense bâtisse qui nous fait face.
- Et on est censés trouver une petite pierre là-dedans ?
- Nous sommes nombreux, me rassure-t-il aimablement.
Je souris, poliment, puis descends de la voiture.
Quelques soldats se retournent sur mon passage. Mais la majorité s'occupent plutôt à sortir de leurs véhicules, s'organisant avec discipline devant les portes du musée.
Une partie de moi se dit qu'elle n'est pas prête à être la pièce maîtresse de cette bataille. Une autre veut irréductiblement croire qu'il n'y aura pas de bataille. Mais la plupart de mes pensées se concentrent sur mon objectif expliqué par le seigneur Gondre un peu plus tôt : récupérer la gemme d'ombre.
Des cris retentissent soudainement d'un camion en bout de file. Les soldats en sortent précipitament, courant vers leur supérieur en alertant toute l'armée.
- Des Antela ! Ici !
Je me raidis, les ennemis sont déjà là.
Ztravon ordonne à un détachement de soldats armés de s'engouffrer dans le musée d'un geste ferme du poignet, puis vient rejoindre les autres pour leur demander des précisions.
- Trois jeunes sont montés avec nous au portail, chef, l'informe honteusement un homme en anglais, tremblant comme une feuille.
Je dois me concentrer pour comprendre la langue, et lui galère aussi pour la parler. Mais les cours du lycée ne sont malheureusement pas suffisants pour saisir tous les mots, aussi suis-je obligée de me contenter d'un texte à trou.
- Et vous les avez amenés jusqu'ici ?
- Nous n'avons pas eu le choix ! Ils nous ont ...(sans doute menacés ? Mis hors d'état de nuir ? Tabassés ?) avec des pouvoirs magiques, chef.
Le pauvre homme semble à deux doigts de se liquifier, de honte et de peur. Mais je comprends son malaise, les pouvoirs des Panos sont impressionnants pour de simples humains incapables de songer à l'existance de pareils miracles ailleurs que dans des histoires. Et je laisse échapper un long sourire en me rendant compte que je me mets à penser comme une de ces Panos autains que je méprisais autant il y a à peine quelques heures...
Mais si je me permets de juger ces hommes, c'est bien parce que j'ai été à leur place. Je connais presque mieux leur point de vue que celui que je devrais avoir. Et même moi, je suis effrayée par les pouvoirs des Panos. Et dire que je vais devoir combattre ça...
En même temps, si les Antela ne sont que trois jeunes, ils ne représentent pas de réel danger pour l'armée. Rien qui ne mette en péril notre mission pour le moment.
- Allez à vos postes, ordonne durement le lieutnant, venant apparemment aux même conclusions que moi et décidant d'épargner à ses hommes une trop grosse punition.
Les soldats acquiescent et courent à leurs places avant que leur chef ne change d'avis, rassurés.
- Je ne sais pas comment ils ont réussi à passer la frontière, me confie Ztravon en apparté en les regardant filer, dans une langue que je comprends bien mieux. Mais vous risquez d'avoir du travail, mademoiselle. Même si nous essayerons de vous préserver au maximum des combats, vous allez sans doute devoir vous salire les mains...
Je hoche gravement la tête, en me hérissant intérieurement devant ce qu'il sous-entend. C'est sûr maintenant, je vais être obligée de me battre. Et cette perspective me fait tout aussi peur que d'imaginer qui pourront être mes adversaires. Des jeunes, mais je suis jeune moi aussi. Des Panos qui ont eux-aussi réussi à passer la frontière... et ça ne s'annonce pas vraiment bon. D'autant plus que je suis la seule à posséder un pouvoir dans ce camps. Puissante, certe, mais seule. Et peut-être ces ennemis sont aussi puissants que moi...
- Les Antela ! braille un autre bataillon.
Je tourne vivement la tête vers le crit pour apercevoir une armée de soldats traverser les routes bondées de voitures, courant tout droit vers nous.
L'armée de nos adversaires est lancée.
- Cauchemar, allez-y, m'ordonne le lieutnant en se tournant vers le musée.
J'acquiesce en filant vers le bâtiment sans demander mon reste, courant aussi vite que mes jambes me le permettent.
J'entre dans le musée en grande pompe, suivie par un détachement séléctionné pour m'accompagner. Un homme et une femme m'encadrent, me pressant pour courir dans les couloirs alors que je reste figée face aux agents de sécurité qui foncent sur nous.
Les autres membres du bataillon forment un rempart derrière nous, et nous nous enfonçons dans les couloirs grouillants d'une foule affolée par les coups de feux qui commencent à retentir à l'extérieur. Je serre les dents, bousculées à mainte reprises et peu à peu gagnée par la panique qui règne.
Les deux gardes attrapent chacun un de mes bras, sortant une arme de leur autre main et écartant ainsi toute menace tout en m'entraînant vers l'avant. Je tremble, mais accélère encore le rythme.
Effrayée par les bruits et les gens, je ferme les yeux, des larmes acides coulant sur mes joues. Je me concentre, prenant sur moi pour respirer à un bon rythme tout en courant sans savoir où je vais. Puis dans mon désespoir me vient l'idée d'appeller les ombres pour m'aider, et elles rappliquent aussitôt.
Je sens les volutes noires converger vers moi et s'enfoncer dans ma peau. Je lâche un long soupir en les sentant me traverser, habiter mes membres et courir sur ma peau pour former une armure à l'épreuve de toute frayeur.
Je réouvre les yeux, auréolée de fins anneaux noirs et gagnée d'une nouvelle confiance. Plus ferme, je me détache des soldats et slalome dans les couloirs étroits sans plus me soucier de ce que peuvent penser ou faire les visiteurs apeurés.
Je suis invulnérable.
Je me laisse prendre par le froid des ombres, s'enfonçant en moi et berçant mon esprit dans leurs bras sombres et rassurants. Je ne cherche plus à les fuir, elles m'ont à nouveau conquise. Et j'accepte aujourd'hui leur aide avec reconnaissance, m'imposant dans le musée comme une adversaire plus que redoutable.
Mes deux gardes du corps peinent désormais à me suivre, se tenant à distance des volutes violacées qui m'entourent. Sûre de mes pas, je détecte le passage de mes adversaires dans les ombres qu'ils ont laissé, et qui viennent grossir mon armada. Mais je ne cherche pas à les suivre, attirée par autre chose qu'eux seuls.
Les ombres ont repéré la gemme.
Et elles me guident droit vers elle.
* * * *
- Je la sens vraiment pas cette histoire, marmonne Driss derrière nous quand je m'engouffre dans un énième couloir.
- On s'en fou, cours, le rembarré-je vivement, dominée malgré moi par une peur lancinante.
Les joues brûlantes, et au sens propre du terme, je guide les garçons à travers les couloirs bondés sans savoir mieux qu'eux où je vais. La foule s'écarte à notre passage, poussant de petits cris choqués et hurlant de douleur pour les quelques personnes qui ont le malheur de me frôler.
C'est là que retentissent les premiers coups de feu.
- Putain ! s'écrit Driss en accélérant le rythme.
Je l'entends sortir avec empressement sa bouteille de sa ceinture pour modeler l'eau qu'elle contient, sans savoir avec précision ce qu'il en fait. Ce qui me rassure cependant, c'est que je sais qu'il la maîtrise.
Et donc, qu'on vient de gagner une arme.
Les tirs pénètrent l'intérieur du musée. Les agents de sécurité Antela de l'entrée devraient garder nos assaillants loin de nous pendant un petit moment, mais ça ne m'empêche pas de me sentir en plein cœur de la bataille. Et curieusement, l'énergie que ce sentiment fait naître dans mes veines ne m'effraie pas tant que ça.
Adrénaline, quand tu nous tient.
L'espoir d'être un tant soit peu tranquilles nous quitte rapidement, des soldats ennemis croisent bientôt notre route. Devant leurs fusils chargés, j'envoie une traînée de feu sans la moindre hésitation, puis prends le couloir suivant.
Je sens le souffle fébrile de Wally près de mon oreille. Mais quand je tourne la tête vers lui, inquiète pour mon petit ange vulnérable, je me rends compte qu'il affiche plutôt une expression d'extrême concentration, loin de tout effroi. Lui aussi semble gagné par la bataille.
Des coups raisonnent derrière nous, suivis d'étranges glougloutements. M'arrêtant à un croisement, je remarque que Driss a dressé un mur d'eau dans notre dos pour nous protéger, arrêtant les balles de nos poursuivants qui n'hésitent pas à tirer. Un signe de tête en direction de l'hydrokinésiste nous fait tomber d'accord, et il entrouvre son bouclier juste le temps que je lance une attaque brûlante pour les mater.
Nos assaillants tombent, les murs du musée prennent feu et les visiteur crient d'effroi, mais plus rien ne me touche. Le visage luisant de sueur, Wally souffle alors un vent puissant dans le couloir pour tuer les flammes. Et sans vérifier que son petit tour ai marché, sans même nous en soucier d'ailleurs, nous détallons tous les trois.
* * * *
Elle est là
Je déboule dans une vaste pièce centrale à moitié éclairée, point où convergent toutes les ombres du palais. En son centre, un imposant piédestal où trône une magnifique pierre noire, violette à la lumière, ouvragée de délicates feuilles d'argent. Fascinée, je m'approche lentement de la gemme, assez petite pour tenir dans la paume de ma main. Un nuage d'ombre s'étale jusqu'à la vitrine, déroulant un tapis noir et dense grouillant sur le carrelage qui libère le sol seulement sous mes pas. Je m'approche encore, contemplant les ombres qui escaladent désormais le verre sans que je ne puisse les en dissuader. Non pas que l'envie m'en prenne d'ailleurs.
Je traverse le rideau de lasers rouges autour du piédestal et déclenche les alarmes, mais je ne m'en soucie pas le moins du monde.
Approche, approche
Elle est si belle.
Douce, grande, puissante.
Oui, puissance ! Tu m'appelle !
Je fracasse d'un coup de point la vitrine et attrape la précieuse gemme, sans me soucier du sang qui commence à couler le long de mes doigts.
Se mêle à la substance rouge le noir des ombres qui s'écoulent avec mon sang, assez denses pour que je ne sente aucune douleur. Toute mon attention est focalisée sur la pierre que je caresse avec amour, admirant sa surface taillée et brillante d'un regard passionné.
Anna, j'entends raisonner dans mon esprit. Une vague intense d'affection et de douceur me traverse.
Des souvenirs viennent défiler devant mes yeux. Je me vois me dresser glorieusement sur mon vélo après avoir réussi à tenir debout, ramener un vingt sur vingt à ma mère en physique chimie, me tenir fièrement devant cette peste du collège qui prenait un malin plaisir à me tourmenter par tous les moyens, un sourire triomphant aux lèvres devant les rires de toute la cours de l'école. Tant de souvenirs déferlent sans que je ne puisse les retenir, sans que je ne veuille les retenir, et je les laisser me transporter.
Je me vois sourire, réussir, gagner. Je me vois au pouvoir.
Oui,
Je suis toute puissante.
- Je t'ai trouvé, je marmonne doucement à la gemme, ne voyant plus rien au monde que son doux pouvoir. Tu es à moi.
Ombres, vous êtes à moi.
Et tu es à nous...
* * * *
Il devient bientôt facile de se rapprocher de la gemme d'ombre. Il suffit de courir droit vers l'endroit que mon instinct me dicte de fuir, tout en suivant les filets d'un noir inquiétants qui glissent sur le sol, petites volutes d'orages violacées.
- Ça sent pas bon, constate Driss au fur et à mesure que nous avançons.
- Non, tu crois ? je ne peux m'empêcher de railler.
Il me lance un regard noir et, avant que la situation ne s'envenime encore, Wally se glisse entre nous pour nous séparer. L'ange se penche ensuite pour frôler les vaguelettes noires de sa main avant de se retirer brusquement dès que les ombres commencent à grimper sur son bras.
- Ils ont un ténébreux avec eux, constate-t-il dans un murmure.
Oubliant mon agacement, je garde un silence anxieux qui s'échange entre nous trois de longues secondes, pas même interrompu par d'autres tirs au loin. Sur le moment, sortis de la bataille, nous pensons tous les trois la même chose.
Ils ont une ténébreuse.
Un violent sentiment de peur et d'impuissance s'empare alors de moi, et apparemment aussi de mes compagnons qui perdent de leurs couleurs.
J'allume une petite flamme dans ma paume en y poussant la conviction qu'il me reste, me battant contre la force invisible qui nous térasse, et éclaire nos visages qui reprennent consistance.
Des coups de feu résonnent plus près, et nous repartons en courant. Les raies sombres se font de plus en plus denses, flottant désormais dans l'air de tous les côtés. Wally les dispersent d'un geste du poignet en me voyant essayer de les brûler sans y parvenir, et Driss abat finalement son rideau d'eau pour les trancher. Elles disparaissent bientôt de notre couloir, et nous y trouvons une nouvelle assurance. Mais quand nous arrivons enfin à la salle centrale, nous perdons tout aussi vite tout notre courage.
Des centaines de ligaments flottent dans toute la pièce, convergeants vers un unique point : la gemme. Microscopique dans les paumes de celle qui la tient, elle n'en demeure pas moins impressionnante.
Mais ce qui nous foudroie tous les trois, c'est surtout la ténébreuse qui la porte dans ses mains plus que blanches, striées de grandes constellations noires. Prévenue de notre arrivés, la jeune fille lève la tête vers nous, et ses lèvres devenue grises s'entrouvrant de surprise.
Son regard est noir, plus profond que n'importe quel gouffre. Un noir de cauchemar, habitant même le blanc de ses yeux ronds. Son visage, comme toute sa peau, est d'un blanc cadavérique, tranché d'une grosse cicatrice zigzagant le long de sa joue gauche. Ses cheveux clairs aux reflets roux flottent dans les airs, sillonnés de vagues sombres, et ses lunettes noires habituellement posées sur l'avant de son petit nez n'arrivent pas à donner à cette sorte de zombie une quelconque apparence humaine.
Mais malgré son allure de démon, je ne peux malheureusement que reconnaître la fille qui se tient devant moi. Aucun de nous trois, à vrai dire, ne peut douter de son identité.
Et c'est Wally qui rompt le silence en premier en criant, la voix chargée de tant d'émotions qu'elle en devient glaçante :
- Anna !
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