Chapitre 41 : Driss

- Nous devons parler à Magma, déclare Tracy avec importance, en insistant bien sur chacune des syllabes.

J'échange un regard amusé avec Wally, spectateurs impuissants de l'entêtement de la pyrokinésiste. Si elle croit vraiment qu'ils vont la laisser entrer comme ça...

- Il nous a ordonné de n'autoriser l'accès à personne tant que le conseil n'est pas fini, répète stoïquement le garde.

- Il n'a pas parlé de...

- Personne, mademoiselle, la coupe-t-il durement. Rien tant que le conseil...

- Mais il dure trois plombes son foutu conseil ! s'énerve volcaniquement Tracy en levant les mains au ciel.

- Trois...

- Longtemps, simplifié-je pour le malheureux garde qui n'a jamais entendu cette expression de sa vie.

- Oui, trop longtemps, insiste Tracy.

- Eh bien, vous nous en voyez navrés, bégaye le garde. Mais...

- La barbe !

Et la voilà qui pousse le pauvre soldat en arrière. L'homme laisse échapper un petit crit en reculant de quelques pas sous sa force, contemplant la jeune fille s'imposer devant lui sans aucune gêne.

- Excusez-la, fait Wally avec apaisement, nous sommes juste pressés...

- Il a dû le remarquer, je constate en dépassant le rafaleur, suivant Tracy qui avance vers la lourde porte.

Comme c'est prévisible, la pyrokinésiste a attiré d'autre gardes par sa violence. Nous voilà encerclés d'hommes à la ceinture noire cherchant à nous éloigner, épées brillantes sorties du fourreau de certains et mains tendues en avant pour d'autres. Mais c'est bien mal connaître la jeune fille que d'essayer de la faire reculer.

- Ecoutez, je vous assure que nous ne voulons rien de mal, j'essaye de parlementer alors que Tracy commence à rassembler ses mains devant elle, les yeux clos, ce qui n'annonce rien de bon.

- Nous non plus, regrette un des gardes, reflètant le soucis qui agite la petite armée. Seulement nous avons l'ordre de...

Et le pauvre soldat fidèle à son poste n'a pas le temps de finir sa phrase qu'il se prend une boule de feu dans le ventre, le jetant à terre. Je fusille Tracy du regard avant de tirer la gourde que Larme m'a confié au matin de ma ceinture pour la déboucher, et jette toute l'eau qu'elle contient en l'air avant d'en prendre le contrôle d'un geste de la main. J'en envoie une partie sur le poitrail fumant du garde, puis rassemble l'autre dans un nuage à proximité de mon visage. Et avant que Tracy n'ai le temps de lancer encore un de ses jets de flamme sur les hommes qui se lancent sur elle, j'explose la boule d'eau à peine formée qui se propage en une puissante vague et envoie à terre les soldats.
Puis je rattrape chaques gouttes qui la composent dans un geste de la main pour les ramener dans la bouteille, n'ayant pas envie de perdre la précieuse substance, tout en remerciant silencieusement Larme pour son entraînement bénéfique de la matinée.

- Contente ? je demande ensuite avec lassitude à la pyrokinésiste, épargnée par mes soins du déferlement.

La brune se dresse fièrement devant moi, me regardant sans une once de respect.

- Passable, fait-elle hautainement.

Je soupir, faisant mon possible pour garder mon sang froid. Que c'est dur de rester calme face à une telle peste !

- Euh, qu'est ce que... bredouille Wally en contemplant les soldats à terre, un peu étourdi.

Seulement la plupart des gardes à nos pieds se relèvent déjà, et ne seront sans doute plus si facile à mettre au tapis une fois avertis. Mais Tracy a déjà pénétré dans la bâtisse sous les sourds grincements de la porte sombre, plus décidée que jamais à se faire entendre des chefs.

- Désolé du dérangement, lance-t-elle à la cantonade aux importants personnages qui la dévisagent avec surprise, sans laisser paraître le moindre signe de peur dans sa posture fière. Nous avons une requête à vous soumettre.

J'avance avec Wally dans la pénombre de la grande salle et nous nous plaçons de droite et gauche de Tracy, défiant le conseil de nos regards provocateurs.

Mais toute surprise passée, Magma, en bout de table, lève déjà les yeux au ciel. Les deux conseillers que je ne connais pas, eux, affichent des mines indignées, Souffle nous détaille avec sévérité, Nuage sourit avec amusement et sa sœur, Brise, avec une bienveillance assortie d'un avertissement silencieux qui fait briller ses yeux.

- Nous vous écoutons, soupir enfin Magma.

Si son élève est insultée par la lassitude qui habite le ton de son mentor, elle n'en montre rien. Sans doute parce qu'elle aussi a perçu que derrière l'apparente décontraction du chef de guerre, le pyrokinésiste considére les paroles de la jeune fille avec une vraie attention.

- Nous aimerions gagner tout de suite Saint-Pétersbourg par le portail, afin de sauver la gemme d'ombre tant qu'elle peut encore être tirée des griffes des Oplan.

Les deux conseillers ténébreux regardent Tracy la bouche grande ouverte, abasourdis par tous les secrets qu'elle vient de dévoiler alors qu'ils se sont tant appliqués à nous les cacher. Brise, elle, fronce légèrement ses sourcils, Souffle affiche son étonnement, Nuage sourit de plus bel et Magma ferme les yeux, considérant la proposition de Tracy avec gravité.

- Eh bien...

- Vous ne pouvez pas partir maintenant, s'impose alors Souffle. Poussière, apostrophe-t-il notre ami en cherchant son regard, tu n'est pas en état.

- Nous n'avons pas le choix, déclare stoïquement le rafaleur sans quitter le sol des yeux, m'indiquant encore une fois qu'il a dû vivre une chose bouleversante lors de son dernier périple.

- Les Oplan sont aux portes de l'Ermitage ! supplie Tracy. Ils ne peuvent pas nous filer sous le nez avec la gemme comme ça !

- La gemme d'ombre est bien protégée, affirme Magma.

- Laissez-moi rire, s'esclaffe son élève. Et contre une armée de Panos, elles feront encore le poids, vos protections humaines ?

- Ne sous-estime pas nos forces, Lueur, fait Brise avec douceur. Mais si les Oplan franchissent tout de même nos barrières, c'est que vous non plus ne pourraient pas les arrêter. Vous n'êtes pas encore assez puissants pour affronter toute une armée à seulement vous trois...

- Détrompez-vous, fait Wally en levant les yeux vers elle.

... attends, vraiment ? Nous pouvons affronter une armée ?

- Si nous partons rapidement, nous avons peut-être une chance d'arriver au musée avant eux, argue alors Tracy.

- Hors de question de vous mettre en danger, déclare Nuage en se levant, cédant enfin au sérieux. Vous n'êtes pas assez préparés, rajoute-t-il en couvant Wally du regard.

- Mais peu importe ! s'écrit Tracy, décidément pas décidée à abandonner. Nous devons faire tout notre possible pour sauver cette gemme !

- Et peut-être que là-bas, nous retrouveront notre amie, émets-je alors innocemment.

Nuage se retourne vers moi, et je lis dans son regard toute la volonté qu'il a de retrouver sa dernière protégée. Mais la décision du conseil semble déjà prise.

- Nuage a dit non, coupe Magma, et je suis de son avis. Vous n'irez pas sur Antro aujourd'hui.

Sa voix grave et son imposante expression est calculée pour nous décourager tous trois de répliquer. Mais c'est sans compter la fierté de Tracy qui a déjà l'habitude de le provoquer.

- Ce n'était pas la question, affirme la pyrokinésiste en reculant de quelque pas, défiant toute l'assistance en levant le menton. Nous demandions juste votre accord. Que vous n'approuviez ne change rien au fait que nous partons.

Les membres du conseil se raidissent, regardant la jeune fille tourner les talons pour sortir en courant. Wally part de suite à sa suite et je ferme la marche, démarrant au quart de tour.

Les gardes à l'extérieur ne font rien pour nous arrêter, les visages voilés d'incompréhension à nous voir débouler si vite devant eux.
Tracy nous conduit d'une main de fer, slalomant sur les graviers puis quittant le chemin tracé sans hésiter un instant sur la route à prendre. Nous la suivons en pleine confiance, bousculant quelques habitants au passage qui ne manquent pas de nous dévisager hostilement.

Tracy interrompt sa course en rentrant dans une silhouette blanche qui court à notre rencontre. Nous nous arrêtons avec Wally derrière les deux jeunes filles, et je reconnais notre interlocutrice comme étant une de celle avec qui nous avons dîner la veille. Celle aux cheveux longs, c'est Ombre. Mais le calme dont elle avait toujours fait preuve semble l'avoir quitté, et ses joues pâles sont désormais pavées de rouge.

- Lueur ! fait-elle, essoufflée. Je surveillais le portail, comme tu nous as demandé, et j'ai vu des étrangers s'y arrêter. Ils y sont restés un moment... et puis...

Elle marque une pause le temps de reprendre son souffle.

- L'une l'a traversé, finit-elle, la vois tremblante.

- Anna ! je reconnaîs en même temps que Wally.

Ce ne peut être qu'elle.
J'échange un regard avec le rafaleur, mais  le sien se voile. Décidément, il s'est vraiment passé quelque chose hier...

- Elle est déjà sur Antro, nous avons du retard, affirme Tracy en relâchant la jeune fille.

Ombre nous dévisage un instant.

- Bonne chance, souffle-t-elle alors.

Wally lui sourit, j'hoche la tête dans sa direction et Tracy lâche un "merci" avant de repartir en courant. Nous nous empressons de la suivre et nous. enfonçons dans la forêt, arrivant rapidement au passage.

Je ne peux m'empêcher d'admirer le sens d'orientation de la pyrokinésiste qui n'a fait aucun détour entre les gros troncs de la forêt, de même que tout ce qu'elle a organisé pour surveiller le portail. Elle semble avoir bossé cette nuit, avec les filles. Et même si son hypocrisie me dégoute, je ne peux nier qu'elle sait s'y prendre pour se faire des amis.
Et des alliés, on en a jamais assez.

- Toujours prêts ? demande Tracy en cherchant nos regards, à deux doigts de franchir le portail.

Nous acquiesçons d'une même signe de tête et la pyrokinésiste prend une grande inspiration avant de s'avancer sur Antro. Sa silhouette disparaît peu à peu, me laissant seul avec Wally.

Ceux dont parlait Ombre semblent avoir filé après avoir déposé Anna. Mais une chose cloche, jamais il ne laisseraient une prisonnière passer dans l'autre monde sans aucun moyen de la récupérer après. Jamais ils ne lui feraient ainsi confiance, ce qui vaudrait dire que... non, je refuse d'y penser.

Je secoue la tête pour démêler mes idées. Wally passe déjà sur Antro avec un visage crispé, décidé à combattre, et je ne peux que les suivre, aussi incertain qu'apeuré.

Tracy a raison. Tant qu'ils ne me forcent pas à rester sous l'eau, je saurai me débrouiller. Mon pouvoir est puissant...

Alors je prend une bouffée d'air et avance de quelques pas, traversant la frontière sans plus de difficulté.

Mais arrivé sur Antro, je me fais brusquement pousser sur le coté.

- Chut, marmonne Tracy alors que je commence à râler. Les Oplan sont encore là.

Aussitôt ces mots prononcés, toute envie de pester me quitte. J'ouvre de grands yeux et elle me lâche, me permettant de me tourner face au convoi militaire qui habite la rue. À voir les quatres redoutables jeep alignées accompagnées d'autres gros véhicules et de soldats armés, je ne peux retenir un frisson. Puis, apercevant le regard concentré de Wally, d'un sang froid un peu trop grand pour être réconfortant, un deuxième tremblement m'agite.

- On doit monter avec eux, chuchote-t-il alors, les yeux braqués sur les hommes sortis de leurs voitures. Ils savent où ils vont, ils nous conduiront droit au but.

- Et comment on est censés s'y prendre sans attirer l'attention ? demande impatiemment Tracy.

Il se tourne vers nous pour nous dévisager un moment.

- On les force à nous accepter à bord, déclare-t-il finalement avant de filer vers un des gros camions bâché sans nous laisser le temps de protester.

J'échange un regard abasourdit avec Tracy qui, se remettant plus vite, s'enfile rapidement à sa suite. Je ferme encore une fois la marche, longeant les murs tagués de la rue ancienne avec tout la discrétion qu'il m'est possible.

Nous nous glissons rapidement dans la remorque du camion visé et soulevons des chuchotements fébriles à notre entrée. D'abord agacé, je me rends compte que c'est surtout de l'admiration qui agite les soldats. C'est vrai que des russes n'ont sans doute jamais vu de garçon aux cheveux blonds savamment décoiffés et aux grands ailes blanches leur faire ainsi face, nous sommes donc tombés devant des humains.

- Nous ne vous voulons aucun... commence Tracy en levant les mains en signe d'apaisement, coupée par leurs grognements étouffés suite au brusque courant d'air qui rabat violement les cols de leurs manteaux sur leurs bouches. Wally !

La pyrokinésiste foudroie le garçon du regard, mais il ne tourne même pas la tête vers elle.

- Aucun risque, articule-t-il difficilement avant de s'asseoir, ou plutôt s'effondrer, au sol.

Je vais m'asseoir près de lui et l'attire contre une paroi du véhicule afin de caler son dos, cherchant à lui éviter toute dépense d'énergie inutile.

- Compris ? Pas un bruit ou je vous crame, lance Tracy aux soldats en enflammant sa paume, résignée à changer d'approche.

Après un regard à Wally pour l'encourager à relâcher son pouvoir, ce qu'il finit par faire, elle vient silencieusement s'asseoir près de nous. Même libérés, les soldats n'osent esquisser aucun mouvement, trop choqués par la menace de la pyrokinésiste. Nous nous serrons donc tous les trois sans faire de bruit, priant pour que les gardes à l'extérieur n'aient pas l'idée de faire le tour de leur convoi avant de repartir.

Prière exhaussée, nous sentons bientôt le moteur vrombir sous nous sans que personne ne nous ait repérés.

Quand nous démarrons, une partie de moi s'apaise en constant que nous sommes arrivés au bon moment.
Mais une autre se dit que nous aurions dû arriver plus tôt...
Enfin dans tout les cas, le principal sentiment que je ressens est la peur face à ce qui nous attend. Et mon cerveau bouillonnant s'en donne à cœur joie à imaginer toute sorte de scénario possible.

Mais un des pires, et malheureusement un des plus réaliste, met en jeu un élément qui me déplait au plus haut point.
Et si mon impression est bonne, je n'ai pas envie de faillir à mon rôle.

Un plan se met lentement en place dans ma tête. Oui, je vais devoir agir.
Si elle est du combat, hors de question que je la laisse encore nous échapper. Tout est à cause de moi, et il est temps que je paie.

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