Chapitre 39 : Wally

Voler, plus vite, et ignorer la douleur qui engourdit toujours plus mes muscles.

- Nous sommes arrivés, Poussière, m'annonce Souffle avec gentillesse.

C'est la chose la plus réconfortante que je l'ai entendu dire depuis que je le connais. Enfin, du moins depuis qu'on s'est envolé. Mais ça semble résumer toute mon existance maintenant.
Je souffle et hoche la tête pour signaler que j'ai compris, incapable de parler à force de retenir ma nausée, puis esquisse des battements rapides pour atterrir derrière lui.

- Tu t'es amélioré en atterrissage à ce que je vois. 

Je souris rapidement avant d'être pris d'un spasme et rends mon petit déjeuner, sans plus réussir à me contenir. Loin d'être dégoûté par cet accident, mon mentor s'approche et commence à frotter mon dos.

- Je t'avais proposé de partir sans toi, fait-il doucement remarquer.

- Je préférais m'assurer de... des... des mesures prises... moi-même, marmonné-je, essoufflé.

Et aussi prévenir mes amis qui, je suis sûr, n'auraient pas nécessairement été mis au parfum.
Encore nauséeux, je me redresse et fait signe à mon mentor d'avancer. Un regard pour s'assurer que je suis bien remis et il part vers le camps, s'assurant que je le suis bien. Souffle marche lentement jusqu'à la grande porte brune de la bâtisse d'entrée qui s'ouvre devant lui.

- Souffle, s'incline l'homme qui nous ouvre.

Mon mentor me gratifie d'un regard protecteur puis entre d'un bond dans le bâtiment, après un rapide signe de tête pour remercier le portier.

Je m'avance derrière lui, toujours aussi essoufflé, et regarde de loin mon mentor rejoindre les autres.

- Vous avez fait vite ! constate la voix forte d'un conseiller raisonnant dans la salle. 

- On a fait bonne chasse, affirme Souffle avec fierté.

Et je suis bien obligé d'admettre que c'est vrai.

Je vois le conseiller en ceinture noir hocher la tête avec enthousiasme et Nuage, arrivant derrière dans sa longue toge blanche et dorée, lui offrir un large sourire. Je soupire, soulagé de le revoir.

- Mais revoilà aussi Poussière, constate Nuage en se tournant vers moi.

À bout de force, je trouve quand même de quoi lui offrir un sourire, et le sien s'agrandit. Il avance vers moi pour me serrer dans ses bras avant de reculer légèrement en s'apercevant de la pâleur de mon visage, ainsi que de la marque rougeâtre qui ne doit pas manquer de tâcher ma mâchoire.

- Ça va, mon grand ?

Le surnom réchauffe mon cœur.

- Notre jeune gardien a fait preuve d'une grande volonté pour être devant vous, rapporte Souffle avec une certaine fierté.

Nuage garde son regard brun ancré sur moi puis finit par sourire de compassion.

- Il est vrai que nos premiers vols ne sont pas les plus simples, reconnait-t-il. Cette force de caractère est tout à ton honneur, jeune homme. Seul un grand guerrier trouverait le courage d'enchaîner tant de distance en un jour à ses débuts. Mais nous devront faire en sorte que tes autres vols soient moins intenses.

Je souris encore, flatté par ses paroles.

- Tu as sans-doute faim, devine Nuage avec sollicitude en me lâchant. On se débrouillera pour apporter de quoi manger dans ta cabane, n'est-ce pas Nocton ?

Le conseiller hoche vigoureusement la tête.

- Bien, vas te reposer maintenant.

* * * *

Nuage tient parole. À peine je suis arrivé à la chambre qu'un domestique fait son apparition avec un chariot à nourriture. Je me sers modestement, n'ayant pas trop faim, puis le congédie après l'avoir remercier.

Je laisse le repas sur la table basse puis vais rapidement me doucher, profitant de l'eau chaude pour frotter de toute mes forces mes mains et mes muscles, avant de finir par m'affaler sur mon lit. Je ferme les yeux un instant, voyant encore des points argentés danser devant mes yeux. Je me rassois ensuite, passe une main dans mes cheveux et réouvre les yeux pour contempler passivement la chambre calme.

Je me force encore à saisir de quoi manger sur la petite table et avale la délicieuse nourriture sans y prêter attention, perdu dans mes pensées. Mais le brusque ébranlement de la porte me sort soudainement de ma torpeur. 

- Wally ! s'exclame Driss en m'apercevant. 

Je tourne la tête vers lui pour lui sourire et il referme la porte en bois, assombrissant la cabane aussi rapidement qu'il l'avait éclaircie. Il s'avance ensuite de quelques pas, ne sachant apparemment pas quoi faire, puis fini par décider de s'asseoir sur son lit, juste en face de moi.

- Nuage m'a dit que tu étais revenu, explique-t-il. Ça s'est bien passé ?

La grimace qui remplace mon sourire alors que je cherche à l'agrandir doit assez bien l'informer de mon état. Il esquisse une moue inquiète avant que je trouve la force de le rassurer.

- Oui, ça aurait pu être pire, soufflé-je, abattu malgré moi. J'ai simplement beaucoup de choses à vous raconter. 

- Et je serais ravi de les entendre, affirme-t-il. Mais pour l'instant, t'as l'air d'avoir couru des dizaines de kilomètres comme un dératé sans t'arrêter...

Il n'est pas si loin de la réalité.

- ... alors repose toi.

Je hoche la tête, reconnaissant de m'accorder du temps, puis me rallonge sur le matelas. Et sous ses yeux, je me laisse enfin emporter par la fatigue.

* * * *

- Donc comme ça, tu as retrouvé Anna, résume l'hydrokinésiste.

J'ouvre la bouche sans trouver quoi répondre. Je viens de leur raconter mon aventure de bout en bout (bien qu'en omettant des détails de mon court séjour sur Antro que je ne suis pas prêt à assumer), et tout ce que Driss trouve à relever, c'est que j'ai vu Anna quelques secondes dans une jeep en pleine nuit sans même avoir pu lui parler. 

- Oui, mais ce n'est pas le plus important, tranche Tracy, affichant son adorable mine songeuse que je lui sais très efficace. Les Oplan sont bien en route pour Saint-Pétersbourg, donc pour la gemme d'ombre. Ce n'est plus qu'une question d'heure pour qu'ils l'atteignent je pense. Tu es allé vite en volant, et tu semble les avoir un peu retardé, mais on a perdu beaucoup de temps depuis que tu es arrivé.

Elle marque une courte pause pour reprendre son souffle.

- Il faut aussi relever qu'ils ont réussi à franchir la frontière pour atterrir sur Antro en pleine possession de leurs pouvoirs, ce qui promet une bataille pas gagnée d'avance.

Je hoche la tête, d'accord avec elle, et impressionné par tout son raisonnement. Puis je baisse la tête en me concentrant sur tout ce qu'elle vient de dire, ravi que la conversation ait ainsi dérivée. Non pas que la pseudo rencontre d'hier avec Anna ne m'ait pas marquée, mais plutôt pas d'humeur à y penser en m'infligeant le poids de ne pas avoir assez résisté à Souffle pour la ramener.

- C'est bon, t'as fini ? lance Driss avec une amertume qui me surprend. C'est bien joli tout ça, mais dois-je te rappeler que si on a atterrit ici, c'est d'abord pour récupérer Anna ?

Tracy le regarde avec le même dégout qu'elle lancerait à un chewing-gum collé sur un banc.

- C'est pour ça que tu es ici, rectifie-t-elle, mauvaise. Ne me mets pas dans le même panier que toi s'il te plaît. En ce qui me concerne, j'ai décidé de m'occuper de choses un tant soit peu plus importantes que mon propre intérêt. Mais je vois que ce n'est pas le cas de tout le monde ici.

- De toute façon on ne peux rien faire pour Anna, je dis à Driss, sans montrer ma surprise face à la véhémence de mon amie. J'ai laissé passé notre chance hier.

Tracy soupire bruyamment.

- Ce n'est pas de ta faute, fait-elle avec gentillesse. C'est Souffle qui t'a retenu, et je suis sûre qu'il avait de très bonnes raisons de le faire.

- Ben voyons... siffle Driss.

- Depuis quand tu pense qu'ils prennent les bonnes décisions ici ? je demande à mon tour.

- Je n'ai jamais dit qu'ils prennent tous de bonnes décisions, admet-elle. Mais là, on ne peut juste plus rien y faire ! Écoutez, si on veut sauver Anna, il faut qu'on mette les Oplan hors jeu. Et si ils s'emparent de la gemme d'ombre, on n'est malheureusement pas prêts d'y arriver.

- Mais t'es dans quel camps au final, Tracy ? demande encore Driss. Dans le notre ou dans celui des Antela ? Tu préfère trouver Anna ou la gemme d'ombre ?

Je frissonne, gené par ses questions. C'est vrai ça, j'ai presque l'impression que mon amie ne cherche qu'à trouver la gemme d'ombre et à s'enfoncer dans toutes leurs histoires. Mais en même temps, c'est aussi à elle de faire ses propres choix. Et on n'a pas à lui en vouloir pour ça.

- Dis nous clairement ce que tu veux au lieu de toujours retourner ta veste, lâche finalement l'hydrokinésiste.

La pyrokinésiste semble sur le point de s'enflammer.

- Je veux juste que ces salops n'aient pas gâché ma vie pour rien, explique mon amie, dégageant une aura de colère sourde.

- Eh ben c'est trop tard ! renchérit violement Driss.

- STOP ! je coupe avant que Tracy ne s'enflamme réellement. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre vous deux pendant mon absence, ni même pourquoi vous vous détestez autant. Mais si on veut arriver à quelque chose, il faut qu'on reste uni !

Les adversaires me contemplent un instant, comme sortis de transe, avant d'échanger un regard entre eux. Tracy se détourne ensuite brusquement et se rassoie, puisant dans ses forces pour se calmer, tandis que Driss se contente de marmonner quelques insultes incompréhensibles dans le vague.

- Tu as raison, souffle alors patiemment Tracy. Mais ce que je veux vous faire comprendre, c'est que nous sommes, même malgré nous, les nouveaux Gardiens. Et ce rôle n'est pas à prendre à la légère.

Je pousse un soupire. Elle a raison...

- Vous êtes des Gardiens, marmonne Driss avec aigreur. Moi, je ne suis même pas un hydroknésiste.

- Admets que ton pouvoir est puissant, le contre Tracy. Tu te débrouille vraiment bien à contrôler l'eau.

Serait-ce un compliment ?

- En tout cas, tes victimes du lycée se souviennent de leur séjour aux toilettes.

Ok, autant pour moi.

Le garçon sourit à cette évocation, ce qui arrache un long soupir à mon amie. Mais heureusement, elle s'abstient de tout commentaire explosif.
Je ne tiens vraiment pas à ce que ça redégénère. Je ne suis pas en état de jouer le gentil médiateur aujourd'hui.

- Bon, tu nous disais, Tracy ? 

- Que nous devons tout de suite aller à Saint-Pétersbourg.

Sa proposition soudaine me coupe le souffle. Je ne m'y attendais pas.

- Et tu pense que les gentils adultes qui nous encadrent, pleins de bonnes attentions et aux décisions réfléchies nous laisseront partir comme ça ? ricane Driss, ce qui lui attire nos deux regards noirs.

- Avec ou sans leur accord, nous irons, affirme Tracy avec conviction. La gemme d'ombre est trop importante pour être perdue.

Et Anna est aussi trop importante pour qu'on l'abandonne. Mais chaque chose en son temps.

- Bon, on attend quoi alors ? demande un Driss résigné.

- Votre accord, répond mon amie avec gravité. Etes-vous prêts pour votre première bataille ?

Techniquement ce n'est pas ma première, mais je me retiens bien de le faire remarquer. Je me contente de fixer Tracy et Driss avec importance, conscient de la solennité du moment. 

Ma réserve est grande, ma première bataille m'a appris que je ne suis pas prêt d'en assumer une autre si rapidement.
J'ai peur de ce que sont capable de faire mes pouvoirs, de ce que je pourrais faire à l'aide d'eux, et cette inquiétude m'effraie depuis le matin. Je suis incapable de les contrôler, et ils ont déjà tué un Homme. Sans parler de tout ce qu'ils ont détruit.
Mais ai-je vraiment le choix ?

J'attrape la main de Tracy, puis celle de Driss.

- Il le faut bien, je murmure doucement.

Driss hésite un moment, mais fini par tendre lui aussi la main vers celle Tracy qui l'accepte, non sans le laisser un instant patienter dans le vide.

- J'en suis aussi, fait-il gravement.

- Alors on y va.

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