Chapitre 38 : Anna
Ma mère ! Je suis saisie d'une bouffé de chaleur, sous le choc.
Mais comment la connait-il ? J'imagine ses yeux noirs malsains plissés à nous observer, ma famille et moi, et la panique ainsi que la colère s'emparent de mon esprit. M'a-t-il repérée depuis longtemps ? Prévoyait-il de m'enlever à un moment ? Mes proches sont-ils encore en danger ? Autant de questions qui glacent peu à peu mon sang dans mes veines, et me font sentir incroyablement lourde.
Et puis comment est-il passé sur Antro ? D'après ce que m'a appris Eden, c'est impossible pour la majorité des Panos. À moins que...
Un éclaire de compréhension me traverse. Non, ce n'est pas à la mère que j'ai découverte adoptive il y a quelques heures qu'il fait référence. Il veut parler de ma vraie mère, celle à qui des brutes m'ont enlevée à ma naissance. Mais mon interrogation n'en est que plus grande. Comment peut-il connaître ma génitrice, une femme que même moi je n'ai jamais vu ? Et comment sait-il avec certitude que c'est ma mère ?
La lourde porte qu'il pousse s'ouvre sur un salon magnifiquement meublé et j'arrête de penser, trop absorbée à détailler la pièce des yeux. Elle est grande, ronde, aux murs en pierre couverts de rideaux noirs ou violets ouverts sur de grandes baies vitrés en hauteur, et à la décoration respirant la richesse. De multiples plantes grimpent sur le mur sous les fenêtres, entre d'imposants meubles en pierre, et au centre de la pièce trônent trois grands canapés noirs regroupés autour d'une table basse grise. Y sont d'ailleurs installés Eden et une autre femme, habillée avec tant d'élégance que je l'identifie immédiatement comme la reine.
Visiblement en pleine discussion, les deux se retournent tout de même à mon entrée, et je ne peux que leur renvoyer leur regard.
- La jeune Cauchemar, annonce le comte d'un ton gauche redevenu habituel, et je dois me faire violence pour ne pas me retourner vers lui.
Je regarde fixement en avant, tremblante devant le regard investigateur de la reine.
La femme, plutôt mure, garde une stature royale et sévère malgré sa petite taille et les quelques rondeurs qui adoucissent sa silhouette. La tête haute, elle est d'une incroyable majesté. Sa longe robe violette sombre lui va à la perfection, et son cou est couvert d'une si grand multitude de bijoux noirs et argentés que je me demande comment ses épaules peuvent bien faire pour tout porter. Ses oreilles sont percées de deux diamants noirs, et son visage est lisse de toute imperfection, entièrement recouvert de maquillage. La souveraine rayonne de grandeur et d'autorité. Je tremble encore, intimidée par le personnage.
Les lèvres couvertes de noires de la femme s'étirent alors d'un sourire bienveillant, et je ne peux m'empêcher de le lui rendre timidement tout en sentant comme une cascade froide glisser sur le long de mon dos.
- Viens, mon enfant, fait-elle gentiment en tapotant une place sur le canapé à coté d'elle.
Je m'exécute, pourtant brulante d'interroger plus profondément le comte que je sens près de moi. Mais hors de question de le faire devant la reine et Eden, quelque chose me dit que je dois garder pour moi l'information qu'il vient de me confier. Alors je m'installe sur le canapé qu'on me propose, ô combien confortable, puis fais encore le tour de la salle des yeux avant de les laisser tendre vers Eden qui me lance un joli sourire.
- Merci mon cher, vous pouvez disposez, lance la reine au comte.
Je retourne mon regard sur lui qui s'incline devant sa souveraine.
- Bien, votre Majesté.
Quand il se relève c'est pour me regarder, et un sourire vient étirer ses lèvres sèches devant ma mine que j'imagine affreusement dubitative. Puis il se retourne pour quitter le donjon, et les deux gardes en armure noire encadrant la porte s'occupent de la fermer.
- Alors donc, reprend la reine en se tournant vers moi, voici cette fameuse ténébreuse dont on me parle depuis plusieurs jours. Ravie de voir que tu n'es qu'une jolie jeune fille, ma chère. Vu comme ils te dépeignaient, je m'attendais à trouver un monstre hideux capable des pires prodiges.
... Je suis censée le prendre comment ?
- Il va sans dire que son pouvoir est puissant, votre majesté, affirme Eden avec importance. Mais Cauchemar reste en effet très humaine dans le fond, et est bien démunie face à tout ce qu'elle doit traverser. Sa vulnérabilité représente un obstacle à la pleine possession de son pouvoir, qu'elle ne peut que contempler à son niveau. Nous nous demandons maintenant si elle sera capable de plus, un jour.
Ses paroles me font l'effet d'une lame froide transperçant mon cœur battant, et je perds immédiatement mon sourire. Les joues brulantes et les yeux piquants, je me retiens avec force de me retourner vers lui pour lui envoyer une baffe bien sentie avant de de lui crier dessus "c'est qui la faible maintenant ?!" avec panache, ou tout simplement pleurer pitoyablement.
C'est donc ça qu'il pense de moi ? Je ne suis qu'une pauvre fille qui ne sait pas maîtriser sa puissance ? Une fillette qui ne comprend pas ce qui lui arrive, une incapable élevée par des foutus humains !
Et le pire dans tout ça, c'est qu'il a raison !
- Mon garçon, ne parle pas trop vite d'impuissance, le réprimande gentiment la reine, s'attirant tout de suite ma sympathie. Je suis sûre qu'elle commence déjà à prendre conscience de plein de choses n'est ce pas, Cauchemar ?
Je craque. Ah ça oui, je me rends compte de tout un tas de trucs !
Que j'ai atterrit dans une société composée de mystérieux magiciens aux pouvoirs effrayants dont je ne sais pas quoi penser, et dont je fais moi aussi malheureusement partie. Que j'ai été enlevée à ma naissance et qu'à cause de ça, j'ai perdu tout espoir de paraître un tant soit peu redoutable dans mon monde d'origine. Que mon pouvoir admiré de tous pour sa puissance n'est qu'un immense gâchis entre mes mains, et qu'il n'arrivera qu'à me détruire à cause de mon ignorance. Que je n'ai jamais été celle que je croyais être, et que je ne sais quelles entités se sont appliquées à me pourrir profondément l'existence. J'ai dû faire un truc de mal dans une vie antérieur pour qu'on m'en veuille à ce point !
Et enfin, un étrange type bof sur les bords me révèle connaître l'identité de celle dont j'ai toujours ignoré l'existence. Et voilà qu'un autre garçon cruellement magnifique m'apprend qu'il m'a toujours considérée comme une gamine qui ne comprendra jamais rien alors qu'il venait de gagner ma confiance.
Au final, le seul dont je connaisse réellement les intentions à mon égard dans ce monde de fou est un psychopathe qui m'a enlevée et brulée au je ne sais combientième de degrés, et on ne peut pas dire que j'ai envie d'encore m'y frotter !
Vous voyez, j'ai fais des progrès en deux jours !
Je me retiens encore à grande peine de prendre ma tête dans mes mains et pleurer toutes les larmes qui ne demandent qu'à couler de mes yeux piquants pour répondre sagement, avec mon habituelle maniabilité :
- J'avoue que j'ai du mal à faire le trie dans tout ça, mais je pense pouvoir m'améliorer. Je commence déjà à à peu près contrôler mon pouvoir...
La reine s'esclaffe, d'un doux son cristallin absolument ravissant qui douche froidement mon enthousiasme.
- Oh ma chère, c'est une des premières fois que j'entends parler de contrôler un pouvoir.
Je me tais, coupée dans mon élan. Merci de ma rappeler mon idiotie ! Encore une alliée de très courte durée.
- Ça lui est pourtant vitale, défend Eden. J'ai vu les ombres la malmener, et je comprends son empressement à les maîtriser. Elle ne peut pas se laisser aller à leur sombre puissance.
C'est bien vrai. Et avec ça, je suis aussi loin d'être assez forte pour faire le poids contre elles. Je ne suis que la moitié d'une Panos après tout...
Et le plus terrible, c'est que tous les mots qui sortent de la jolie bouche de celui sur lequel je pensais pouvoir compter sont réels, et amplement justifiés. Ce qui ne les empêche tout de même pas de s'enfoncer plus profondément dans mon cœur.
- Les ombres ne nous malmènent pas, mon enfant, le réprimande la reine. Ce sont des alliées de taille, et vous devriez comprendre que leur intégrité nous sert dans de nombreuses situation. Il ne s'agit pas de les laisser nous dominer, seulement de les accepter. Même si je consens qu'au début, fait-elle en se retournant vers moi, cela peut effrayer.
Je frissonne, tout en m'interrogeant sur ses capacités. Vivre avec les ombres, pas contre elles. C'est une bonne idée. Mais je suis bien incapable d'une telle prouesse.
Depuis que je me suis présentée devant Dark en battant tous les records, je me crois exceptionnelle. C'est plaisant d'être respectée pour des pouvoirs dont je n'ai jamais vraiment eu conscience, et d'être soutenue par tout un tas de gens qui me croient capables des plus beaux prodiges. Mais aujourd'hui, je comprends qu'ils ont toujours vu en moi une petite Panos perdue incapable de se débrouiller seule devant des pouvoirs extraordinaires. La fierté que j'ai lu dans les yeux de Dark n'est sans doute que tirée de mon imagination. Quoiqu'après tout, on peut bien être fier d'un oisillon qui réussi à voler sur quelques mètres avant de retomber lourdement au sol, tout comme je sombre sous la puissance des ombres.
- Je ne demande qu'à ce qu'on m'apprenne à les accepter, votre majesté, je récite alors aimablement en relevant la tête.
Mon égaux a décidément perdu de sa splendeur.
- Et je serais ravie de dépêcher un maître pour te former, approuve la reine d'un sourire.
- Mais j'ai déjà un maître, vous savez ?
- Un bon maître ne te permettrait pas de parler des ombres comme tu le fais, mon enfant, dédaigne-t-elle avec conviction.
Un autre bout de moi se brise, une part attachée à Dark dont je n'imaginais même pas l'existence avant qu'elle me fasse mal.
- Il fait ce qu'il peux, ne puis-je m'empêcher de répondre.
- Dark est un bon mentor, votre Majesté, affirme Eden en rattrapant un peu de ma reconnaissance au vol. Il a fait ce qu'il pouvait avec le temps dont il disposait.
Oui, dommage que le résultat soit si décevant, n'est ce pas ? Mais après tout, mon maître ne m'a-t-il pas reprise quand j'ai parlé d'apprendre à contrôler mon pouvoir ?
- Oh mon enfant, j'aimerais te tester pour me faire ma propre idée sur tes capacités, tu sais, soupire la reine. Malheureusement, je crains que nous n'en aillons pas le temps.
- Comment ça ? interroge Eden.
- Nous avons reçu un message ce matin, quémandant la présence de notre chère Cauchemar au portail de Saint-Pétersbourg.
Votre chère Cauchemar est entre vous deux, vous êtes au courant ? Et elle se demande encore pourquoi elle s'acharne à vous détester alors que visiblement, vous ne voulez que son bien.
- Mais c'est de la folie ! s'insurge le rafaleur. Vous venez vous-même de dire qu'elle n'est pas prête.
- La guerre n'attend pas qu'on y soit prêt, mon petit.
Je manque de m'étouffer. Attendez, comment on en est arrivé à la guerre là ? Et pourquoi je suis encore au centre de tout ça ! Laissez la pauvre Cauchemar hors de vos affaires s'il vous plait, elle est trop nulle. Et pour le coup, ça lui va très bien !
- Le portail de Saint-Pétersbourg, c'est notre dernière carte à jouer, remarque Eden avec gravité. Les Antela en sont vraiment proches.
Sa voix est pleine d'inquiétude, et je ne pense pas me tromper en affirmant qu'elle m'est destinée, ce qui fini de m'effrayer.
- On arrive à l'accomplissement de notre plan, mon cher.
Je pourrais presque toucher les sous-entendus qui planent dans sa déclaration tant ils sont lourds, sans toujours savoir de quoi ils retournent. En tout cas, vu l'attitude crispée d'Eden, lui semble au courant, ce qui ne manquerait pas d'attiser ma colère en d'autres circonstances. Mais à force, je n'ai plus envie de m'énerver d'être encore mise à l'écart. Après tout, rester à ma place de pion est peut-être la meilleur solution. Sans doute me laisseront-ils tranquille après.
- Mais on m'a accordé un peu de temps avec mon nouveau sujet, et je compte bien en profiter, déclare la reine en réaffirmant son autorité. Eden, je vais te demander de quitter cette salle. Je tiens à parler à notre jeune ténébreuse seule à seule.
Je ne peux m'empêcher de tourner la tête vers le garçon qui se relève. Mais manque de chance, il me regarde lui aussi. Son doux sourire craquant ne change rien, je ne peux pas oublier ce qu'il vient de dire.
Mais je ne suis pas encore assez insensible pour ne pas remarquer la lueur d'avertissement qui éclaire ses yeux dorés, ni assez stupide pour ne pas la prendre en compte. Quelque chose me dit qu'il ne veut pas me laisser seule avec la reine, et j'en conclus qu'il a peur que je fasse une bêtise.
Je me promets donc d'être prudente, sans pour autant montrer le moindre signe de méfiance. Elle ne doit se douter de rien. C'est plus fort que moi, je ne veux pas encore décevoir Eden.
Le rafaleur s'incline devant la souveraine puis se dirige vers la sortie d'une démarche aérienne, et irrésistiblement magnifique. Il quitte le donjon, puis disparait derrière les lourdes portes que les gardes ferment derrière lui dans un dernier rayon de soleil, laissant un arrière goût amère dans ma bouche.
- Tu devrais te méfier de lui ainsi que de son père, me conseille aussitôt la reine. On a beau apprécier la paix qui nous lie tous désormais, je ne peux m'empêcher de penser que nous serions mieux qu'entre ténébreux.
J'avale difficilement ma salive en constatant qu'elle regrette presque la guerre, avant de décider d'articuler froidement, pour lui donner raison :
- Je crois que le jour où je ferai vraiment confiance à quelqu'un ici sera à marquer d'une croix blanche.
Un sourire étire les lèvres noires de la souveraine.
- Bien, c'est un plaisir de voir que tu n'es pas aussi naïve que tu le semble
Je prends son quasi-compliment comme une baffe.
- Au fond, le sang des ténébreux semble tout de même couler dans tes veines.
Sans doute, mais ce n'est peut-être pas une bonne idée de le mélanger à toutes les autres choses qui me construisent.
- Normalement, tout ténébreux doit passer voir sa reine une fois dans sa vie pour l'informer de ses compétences, reprend la reine avec importance. Je mets un point d'honneur à me soucier de la vie de tous mes sujets.
- Ca doit faire du boulot, je ne peux m'empêcher d'observer.
- Tu ne crois pas si bien dire, rit-elle en plissant les yeux. Mais avec toi, ce sera plus intéressant. Non pas que l'existence de Panos ne soit pas digne d'intérêt, mais tout semble indiquer que ton récit sera captivant.
Je frissonne.
- Que voulez-vous savoir ?
- Tout ce que tu voudras bien me confier.
Oh, j'en aurais des choses à confier. Mais quelques chose me dit que je ne devrait pas tout lui révéler. Quelque chose qui s'appelle Eden, d'ailleurs, soutenu par une bonne part d'instinct.
- Eh bien... j'ai commencé à manifester mes pouvoirs à cinq ans, commencé-je sans être sûre de la pertinence de cette information.
Mais la reine semble s'y intéresser.
- Cinq ans, répète-t-elle, songeuse.
Quelque chose en elle semble s'être refroidit. N'étant pas habituée à rester dans l'ignorance quand je peux trouver des réponses, je porte innocemment ma main contre la sienne, et vois aussitôt apparaître autour d'elle une aura importante d'ombres.
Mauvais signe.
Je me perds momentanément dans la contemplation des douces volutes sombres qui dansent autour d'elle tout en me demandant si elles peuvent diminuer, et si c'est contre moi qu'est dirigé ce potentiel obscur.
Que dire pour ne pas éveiller sa colère ?
- Mais ça n'a jamais été très fort avant que Dark me fasse utiliser ce pouvoir, développé-je en guettant sa réaction.
Et à mon soulagement, l'aura d'ombres autour d'elle désenfle au même instant où son sourire se décrispe.
- Je vois, dit-elle gentiment. Je t'en pris ma chère, mange un bout et dis-moi en plus.
Je hoche la tête en souriant avant de lancer ma main vers la table basse chargée de boissons et de pâtisseries. Un petit déjeuné attendu, la nourriture me redonne des forces.
Je soupire de plaisir en goûtant un des gâteaux sec, prends une tasse de lait chaud, puis m'installe plus confortablement sur le canapé soyeux. Je suis pête à débiter à la souveraine toute mon aventure chez les humains maintenant, veillant cependant à ne pas évoquer tout l'ampleur de pouvoir.
Pas la peine de me créer d'autres problèmes.
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