Chapitre 34 : Wally
Du blanc, blanc, blanc. Des nuages, gros et cotonneux. De grands motifs difformes qui dansent au rythme du vent. Le ciel, bleu, bleu. Le ciel qui m'éblouit, le soleil qui me réchauffe. Claire, vif. La tête qui tourne. Encore, encore, et tout devient flou. Tout se trouble, s'estompe, s'assombrit, puis disparaît. Il n'y a rien, plus rien. Que du noir...
J'ouvre les yeux en gémissant. Il fait sombre dans les sous-bois, éclairés par la faible lumière des étoiles dans le ciel. Elles sont en face de mon visage allongé, points blancs et lumineux, poussière dans l'immensité obscure. Loin, si loin de moi...
La mémoire me revient rapidement. Je me redresse, grimaçant sous la douleur de mes courbatures. J'inspecte rapidement mes bras recouverts de crème et de pansements, ne ressentant plus aucune brûlure de ce côté. Seuls les muscles de mes ailes me tirent maintenant.
Je me lève, debout, et teste mes jambes. Elles ne me font pas trop souffrir, une bonne nouvelle. Je fais quelques pas, embourbant mes pieds de boue sèche. Je regarde ensuite autour de moi. Je suis en plein milieu des sous-bois sombres, et je suis seul.
La forêt murmure des bruits qui me font frissonner. Mais si Souffle m'a laissé ici, c'est qu'il avait sans doute une bonne raison.
Je distingue une faible lumière entre deux buissons. Je m'avance lentement, écartant les broussailles avec précaution. Mais plus je me rapproche, plus mon instinct me pousse à fuir. Et même si l'aura lumineuse devient plus grande, tout autour semble s'assombrir. J'aperçois alors la source, caché dans la végétation.
En face de moi est garée une petite Jeep au moteur vrombissant. Mais qu'est ce qu'elle fait là ?
Désormais je suis sûr, il se passe quelques chose d'anormal avec les ombres. C'est presque comme si... elles bougeaient. Je comprends qu'il y a un ténébreux dans les parages. Et autre que la sentinelle qui nous a accueilli hier, les sentinelles n'ont pas de voiture.
Je plisse les yeux pour les habituer à la lumière vive. Je distingue deux formes à l'intérieur du véhicule. Et bientôt, j'arrive à apercevoir leur visage.
Mon cœur se fige.
Le premier occupant du 4/4 est un rafaleur blond, aux grandes ailes blanches. La forme de son visage me rappelle rapidement quelqu'un, mais je ne prends pas le temps d'étudier la question. Non parce qu'à coté de lui, toute absorbée par leur conversation, se trouve la meilleure amie que je n'ai pas revue depuis deux jours, et pour qui tout a commencé.
Anna !
Je veux crier, mais ma voix est bloquée dans ma gorge soudainement nouée d'émotion. Le sang bat à mes tempes, et mes membres sont raides. Elle est là, juste en face de moi. Ses cheveux bruns, ses yeux noires et brillants, sa jolie frimousse. Je l'ai trouvé ! J'ai trouvé Anna !
Elle se tourne alors et se fige, le regard braqué dans ma direction. J'aperçois ainsi l'autre moitié de son visage... et l'horrible cicatrice noire qui la couvre. Je frissonne de dégoût, mais ne me laisse pas déconcentrer. Elle m'a repéré ! Je m'apprête à avancer à sa rencontre quand des bras forts m'attrapent, et une main se plaque sur ma bouche. Je me débat, essaie de crier mais ne produit qu'un petit son étouffé. C'est les ravisseurs d'Anna ? C'est les Oplan ? Ils m'ont eu ?
- Du calme Poussière, chuchote doucement Souffle à mon oreille.
Je me détends immédiatement. Je suis en sécurité. Mais pourquoi me retient-t-il ?!
Il me fait lentement reculer. Le visage de mon amie disparaît bientôt à ma vue, ainsi que celui de son mystérieux compagnon. Enfin, mon mentor me relâche et je me tourne vivement vers lui.
- C'est elle ! je m'exclame sur le ton le plus bas que m'autorise mon excitation. La dernière gardienne !
Les sourcils de Souffle se froncent légèrement.
- Il faut aller la chercher ! j'affirme pour lui éclaircir les idées.
- Non Poussière, assène-t-il alors.
Je le regarde sans comprendre, perdu.
- Mais...
- Ce n'est pas notre mission, fait-t-il calmement.
- On s'en fou ! je m'exclame, hors de moi. C'est mon amie, c'est celle qu'on doit sauver !
- Elle est avec les Oplan.
Mon corps tremble de frissons.
- Ben oui, ils l'ont enlevée !
- Poussière, nous ne sommes que deux, fait-t-il remarquer.
- Eux aussi ! Et mon amie combattra avec nous quand elle me verra.
Souffle secoue la tête, blessant mon assurance.
- Non Poussière, elle combattra avec cet Oplan, déclare-t-il froidement. Tu ne réussiras qu'à la déconcentrer.
Je fais quelques pas en arrière, ne croyant pas une seconde à son raisonnement. Anna se rangera de mon coté, c'est obligé.
- Ecoute, nous n'irons pas la chercher, affirme durement Souffle. Fais-moi confiance, c'est mieux ainsi.
- Non, c'est très loin d'être mieux ! je m'insurge. Vous voulez vraiment la laisser avec ces sauvages ? Ils l'ont enlevée ! Et je ne sais pas ce qu'ils lui ont encore fait d'autre... Sa place est avec nous !
L'image de son visage me donne presque envie de pleurer. Je ne peux pas imaginer ce qu'il lui est arrivé. Mais en même temps, elle semblait si insouciante quand je l'ai vu. Détendue, souriante... Lui ont-ils vraiment fait quelque chose au final ?
- Tu n'es pas au courant de tout Poussière, fait gravement le rafaleur. Le mieux pour nous tous, c'est qu'elle reste là-bas.
Je le fixe avec défi, attendant qu'il m'explique. Ah ouai, le mieux c'est d'abandonner mon amie à nos adversaires ? Il pense vraiment que je vais l'accepter ?
- Ne t'inquiète pas pour elle, conclut-il simplement.
Avant que je ne puisse répliquer, il me fait signe de le suivre et repart entre les broussailles. Je lui obéit à contrecœur, pensif, et rejoins une petite cabane en bois. De la lumière fuit de ses fenêtres, quelqu'un est à l'intérieur.
J'entends le bruit diffus d'un moteur démarrer au loin dans la forêt, avec la certitude glaçante que c'est la Jeep d'Anna. Elle est partie. Je refoule mes larmes, imaginant que Souffle a vraiment une bonne raison de l'avoir laissée. Peut-être est-ce la distance qui nous sépare du camps qui a joué ? Peut-être a-t-il eu peur de la réaction des Oplan face à cet "enlèvement"... ou même de celle d'Anna. Je me raidis d'horreur à cette dernière idée.
M'ébrouant, je pénètre dans le cabanon et y trouve la sentinelle de la veille assis à une petite table. Il m'accueille avec un sourire et m'invite à m'installer en se levant pour me trouver de quoi manger. Oubliant Anna, je détaille son habitat rapidement : une petite cuisine, une table, trois chaises, une cheminée où brûle un feu orangé, un canapé brun et un gros lit chargé de couvertures. Il y a encore une armoire, un porte manteau auquel sont pendues de gros impaires et une porte en bois usé au fond, sans doute pour accéder à la salle de bain.
- Ça va mieux ? s'enquit-il en posant devant moi une tasse d'une mixture à la couleur brune et une assiette de viande.
- A peut-près, j'acquiesce en portant la boisson à mes lèvre, comprenant qu'il fait allusion à ma chute d'hier.
Surpris, je relève la tasse après les quelques premières gouttes du liquide avalées. Je m'attendais à un chocolat, ça n'en est pas un. Mais son goût chargé est tout aussi délicieux. Je vide la tasse de moitié sous le regard amusé de Souffle assis en face de moi. Puis je m'essuie la bouche d'un geste du poignet et complète :
- Je ne suis juste pas prêt de re-voler avant un petit moment.
- Pourtant tu vas bientôt en avoir besoin, annonce mon mentor en se pinçant la lèvre.
Oh non sérieux ? Mais mes ailes sont en compote !
- Une bonne nuit de sommeil et ça ira mieux ! déclare la sentinelle comme si il lisait dans mes pensées.
Je finis la boisson et le repas, ravis à l'idée de dormir encore. La viande est sèche, mais mangeable. Et il manquait un dîner à mon estomac. La sentinelle m'indique ensuite son lit avec bienveillance et je m'y enfonce, prêt à finir ma nuit. Mais mes pensées en ont décidé autrement...
Je revois Anna, le visage éclairé par la faible lumière de la voiture. Elle n'avait pas l'air soucieuse, elle semblait à l'aise. Mais je n'arrive pas à l'imaginer avec l'ennemi. Non, c'est pour elle que je suis là ! Ils l'ont peut-être endoctrinée, mais c'est ma Anna ! Et quand je me vais me battre contre les méchants, je vais devoir la mettre à l'écart. Car il est hors de question que je me batte contre elle.
* * * *
Souffle me réveille au matin. Les yeux lourds, je me lève sans avoir l'impression d'avoir dormi. Mais la lumière rose du soleil éclairant la cabane m'indique le contraire. Je pose mes pieds nus au sol et entreprends de m'étirer. Mes muscles sont tout engourdis, et mes ailes, inutilisables. Mais à part ça ça va.
Notre hôte est déjà partit. Mon mentor m'indique la table où traîne deux quignons de pain et des tranches de viande rouge et je m'y dirige, passant rapidement une main dans mes cheveux en bataille pour les démêler.
Le regard dans le vague, je prends le temps de mastiquer la nourriture sèche. Souffle me sert une tasse de la même boisson que la veille et je la bois avec délectation.
- Ça s'appelle comment ça ? je lui demande ensuite en lui tendant ma tasse vide.
- C'est du Rissoga, me fait-t-il comme si il s'agit d'une évidence. Vous n'avez pas ça sur Antro ?
Je réponds par la négative.
- Non, mais c'est très bon.
Le rafaleur sourit et s'installe en face de moi.
- Quand tu traverseras la frontière Poussière, tu devras vraiment faire attention, m'indique-t-il en retrouvant son sérieux. Tu ne dois t'exposer à aucun danger, surtout dans ton état.
J'acquiesce mollement.
- Je chais, je marmonne, la bouche pleine. Mais normalement je ne devrais rien trouver non ?
Il me dévisage un court instant, le regard voilé.
- Ni toi, ni moi ne le croyons réellement... fait-il sombrement.
Je frémis, il a raison.
Souffle se relève et va à la salle de bain. Il revient rapidement chargé d'un seau d'eau et s'installe à coté de moi, attendant que j'ai fini de manger pour enlever mes bandages.
Mes bras sont zébrés de coupures, à l'identique de mes jambes. On dirait que je me suis battu contre un ours... ou plutôt contre des ronces. Mais ma fierté aurait préféré la première option.
Heureusement pour moi, il y a plus de peur que de mal. Les griffures, bien que nombres et voyantes, ne sont que superficielles. Souffle me passe rapidement un chiffon mouillé sur la peau pour enlever la colle des pansements. Et moi, je n'ai déjà plus mal.
Il inspecte mes ailes, en détache quelques plumes abîmées et me laisse me lever.
- Ça ira pour cette fois, tu n'est pas si amoché, déclare-t-il quand je me retourne vers lui. Mais à l'avenir, fais attention à tes atterrissages.
Je rigole, plus embêté que réellement amusé. Mon mentor plisse les yeux et sourit, conciliant.
- Bon j'y vais ? je demande finalement en me passant une main dans les cheveux.
Il acquiesce et nous sortons. Je le suis sans plus rien dire, profitant de la fraîcheur matinale et de la joyeuse symphonie du réveil de la forêt pour me détendre. J'étire mes ailes en douceur, manipulant précautionneusement mes muscles courbaturés.
Mon mentor s'arrête enfin devant une arche de pierre. L'intérieur est transparent, mais légèrement trouble. J'y reconnais la même forme de portail que celui que j'ai traversé pour venir ici.
- Reviens vite Poussière, me commande Souffle en me voyant l'approcher. Et surtout, fais attention. Tu n'as pas besoin de faire plus qu'observer.
J'hoche la tête de haut en bas, sachant déjà que je ne m'en contenterai pas. Puis je reporte mon attention sur la surface lisse et y pose une main. Le portail se trouble, et je le traverse sans problème après une grande inspiration. Antro, me revoilà.
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