Chapitre 30 : Anna

- Donc les gardiens sont censés garantir la protection des hommes, je récapitule.

- Et des Panos, complète Eden en hochant la tête.

- Mais les Panos n'ont rien à craindre des Homme, lui fais-je remarquer.

Le Rafaleur sait que je parle en connaissance de cause. Cette information est d'autant plus véridique que j'ai moi-même grandit parmi les humains. 

Le joli garçon me dévisage un instant, passe un main dans ses cheveux blonds et sourit.

- Eh pourtant si, fait-t-il en haussant les épaules. Ils sont nombreux, plus avancés qu'il ne faudrait et ils savent se battre.

- Les Panos aussi savent se battre, je réplique en fronçant le nez. On est pas les plus belliqueux.

- On ...?

Je rougis, embarrassée. Ma langue a ripé.

- Eux... les Homme quoi.

Il ricane et reprend :

- Oui c'est sûr. Mais il n'empêche qu'ils représentent une menace.

- C'est plutôt vous la menace...

Eden hoche la tête de droite à gauche, sans même remarquer que je ne m'inclus pas dans le lot.

- Nous le sommes peut-être en s'intéressant à eux, mais eux aussi s'intéressent à nous, fait-t-il valoir. Et ils commencent déjà à former leur armée.

- Je n'ai pourtant jamais entendu parlé de...

- C'est normal que tout le monde ne soit pas au courant, élude-t-il d'un geste de la main. Ici aussi pas grand monde ne vous connait. Enfin, ne les connait...

Je hausse les épaules, sans me formaliser de ce lapsus que je viens moi-même de faire.

- Je comprends, j'acquiesce simplement. Mais pourquoi vouloir les attaquer ?

- Pour les prendre de court, répond-t-il avec conviction. Ceux qui attaqueront les premiers auront l'avantage. Nous savons ce que nous voulons des Hommes, mais pas ce qu'ils veulent de nous. Alors ont doit s'arranger pour gagner la guerre.

- Mais pourquoi autant vouloir se battre ?

- C'est l'histoire des être vivants ça ma grande, fait-il d'un mépris dérangeant. On grandit, on s'étend et eux aussi. On a tous les deux besoin de plus de territoire, de plus de ressources,... et il n'y a que chez l'autre que nous pouvons encore en trouver.

- Pourtant il n'est pas prêt d'avoir une guerre multi-espèces, je raille, cherchant à lui renvoyer son arrogance. Nous sommes trop occupés à nous battre entre nous.

- Justement ! rebondit-t-il. La dernière guerre des clans était sanglante et destructrice, et tout ça pour un peu plus de territoire. Nous nous entre-tuions entre nous, Panos, pour quelques ressources supplémentaires. Mais les Oplan ont trouvé la solution ! Arrêter de nous battre entre membres d'une même famille et s'unir pour combattre un ennemi commun : les Hommes. 

- Mais ils ne sont pas vos ennemis ! je m'exclame en claquant mes mains sur mes cuisses.

- Il faut bien qu'on s'en invente un ! rétorque-t-il. Et mieux vaut que ce soit eux que nous-mêmes...

Je plie face à la justesse de son résonnement. Mais hors de question de lui laisser le dernier mot.

- Mais à ce que je vois, la guerre s'est interrompu sans que vous n'ayez besoin d'attaquer les Hommes. Tu dis toi-même que beaucoup de Panos ne les connaissent pas...

- Oui, les Antela l'ont coupée nette, concède-t-il. Mais pas pour une bonne raison. Et puis...

- Ils l'ont coupée comment ? je l'interrompt avec curiosité.

Il laisse un petit moment de silence, le temps de peser ses mots.

- Ils ont enlevé un nouveau née à chaque clan, lâche-t-il enfin en cherchant mon regard. On a signé l'armistice pour les retrouver, et ça fait plus de seize ans qu'on les cherche.

Je frissonne. Est-ce normal qu'il me regarde si intensément en disant ces mots ? Et pourquoi je me sens si concernée ? Je fais des liens dans mon esprit et la réponse s'impose. Oui, je fais parti de ceux qu'ils ont enlevés. Et à la réflexion, mes grandes capacités viendraient-elles de là ?

- Maintenant, les Oplan s'évertuent à maintenir la paix sur Pano, conclut Éden.

- Pour déclencher une autre guerre, je siffle avec dégoût.

- Pour éviter qu'on la perde surtout, rectifie-t-il. 

Je suis forcée de lui donner raison, mais je hoche négativement la tête. Toutes ces histoires me gonflent déjà. Ne peuvent-ils tous simplement pas se contenter de ce qu'ils ont ? Pourquoi se battre ? Je lève les yeux au ciel, exaspérée par ma naïveté. Mais c'est si absurde ! Ni les Hommes, ni les Panos ne veulent de cette guerre. Alors pourquoi est-elle obligée d'arriver ?

- Tu sais, des fois faut pas chercher à comprendre, me fait-il doucement. Faut juste essayer de survivre...

Je remarque alors que son souffle est étrangement proche de mes joues. Je relève les yeux du sol et remarque qu'il s'est rapproché. Je frissonne, déstabilisée, et il m'offre un sourire réconfortant.

- Ah vous êtes là ! s'exclame une voix aiguë dans mon dos.

Je me retourne brusquement pour voir Marique courir vers nous. La domestique s'arrête à notre hauteur et nous informe, la tête levée vers Eden :

- Votre père veut vous voir, le seigneur Gondre est arrivé.

Le jeune homme se lève, puis tend sa main pour m'aider. Je la refuse poliment, n'ayant pas envie que ses ombres reviennent me hanter. Il a été génial cette après-midi. Il m'a accompagné au réfectoire, est sorti avec moi malgré la température froide et m'a raconté tout ce que je voulais savoir. Sa culture est impressionnante, et sa patience, extrêmement agréable. Je m'oblige à croire que c'est une bonne personne. Pas la peine que mon pouvoir ne revienne embrouiller l'affaire.

Je lisse rapidement mon pantalon pour en enlever l'herbe avant de suivre Marique, déjà repartie. Eden me laisse passer, fermant la marche, et j'imagine maintenant que c'est plus pour veiller sur moi que pour me surveiller.

Nous retournons au bureau de Soleil. C'est la troisième fois que j'y vais en moins de deux jours, je connais la route presque par cœur maintenant. Tout comme je connais les élégants motifs de sa lourde porte qui s'ouvre encore pour nous laisser entrer.

Dans le beau bureau lumineuse est présent cette fois Soleil, debout devant son bureau, et un grand homme habillé de noir dressé devant lui. Je sens la faible énergie des ombres de la pièce converger vers lui. C'est un ténébreux, et il m'a l'air puissant.

L'homme se tourne vers nous et j'aperçois son visage. Mal rasé, une barbe noire de quelque jours couvre ses joues sèches. J'évalue son âge à une petite cinquantaine d'année, malgré les rides de soucis qui creusent son front et le vieillissent.

- Fredano je te présente la jeune Cauchemar, m'annonce Soleil d'un geste de la main. Cauchemar, voici le seigneur Gondre.

Je m'incline sans trop réfléchir, ce qui amuse l'homme. Ses yeux noirs brillent et il me fait un petit geste de la tête.

- Enchanté mademoiselle.

Je souris, sans trop savoir quelle attitude adopter. Eden, lui, referme la porte et s'avance vers l'homme pour lui serrer la main.

- C'est qu'il grandit bien le petit Ayron ! s'exclame alors le seigneur avec chaleur.

Je tressais. Ayron ! Eden s'appelle Ayron ! Cette petite victoire raisonne dans mon esprit avec satisfaction. J'ai l'impression d'entrer dans son intimité, mais ça me plaît. Et mon dieu, quel nom magnifique !

Le Rafaleur frissonne en me jettant un regard mal à l'aise. Je ne trouve rien de mieux à faire que de lui sourire avec espièglerie et il lève les yeux au ciel, résigné. Son père, à qui la bourde du seigneur n'a pas échappé, reprend à mon adresse, soucieux de passer à autre chose :

- Frendano est un représentant de la reine Cursobe. Il va t'emmener à son château car...

- Tous les ténébreux doivent voir la reine au moins une fois dans leur vie, le coupe le lord sans se soucier de son impolitesse. Et sa majesté est impatiente de vous voir.

Je frissonne. À peine arrivée, il faut déjà que je reparte ! En plus, ça veut dire que je quitte toutes mes nouvelles connaissances avant même que je puisse me faire un avis dessus. Ils veulent vraiment balader mon cœur dans tous les sens ! Mais je me rends compte que si je pars, je quitte les Oplan. Pour un court moment, peut-être, mais assez pour retarder la décision que je dois prendre. Et assez pour que j'y réfléchisse plus sérieusement.

- D'acc... je m'apprête à acquiescer.

Mais Soleil a déjà repris la parole :

- Tu n'as pas à t'en faire pour ton pouvoir, fait-il d'une voix rassurante. Dark m'a assuré que tu le maîtrise assez pour ne plus te laisser submerger. Et Eden t'accompagnera. Comme ça, nous resterons toujours un peu avec toi.

Il ponctue son discours d'un chaleureux clin d'œil, attendant mon approbation. Je ne sais pas si cette dernière nouvelle doit me réjouir, mais je l'accueille avec un grand sourire. Oui à la réflexion, elle est plutôt bonne. Eden sera là, je ne perds pas tout. Et ce n'est pas le plus désagréable qui m'accompagne, loin de là. Je ne vais pas me plaindre de passer quelques jours avec lui...

Je relève aussi que Dark m'estime assez forte pour contrôler mon pouvoir. Cette nouvelle me remplie de fierté. Je ne suis pas ses cours depuis longtemps, et savoir que je suis déjà apte à contrôler les ombres me procure une douce confiance.

- Ça me va, je déclare d'un signe de tête. On part quand ?

Le seigneur Gondre s'esclaffe, amusé par mon enthousiasme, puis répond amicalement :

- Le temps de faire vos affaires et on décolle.

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