Chapitre 27 : Anna/Tracy

- Cauchemar ? Demande Dark d'une petite voix.

Je lève les yeux vers lui, un sourire collé sur les lèvres. 

- J'ai réussi maître ! Je m'exclame en me redressant de toute ma hauteur. Je leur ai résisté, et je les ai battues.

Toute heureusement de mon triomphe, je tends la main vers l'ombre de la table en me répétant que je sais maintenant la contrôler.

- J'ai vu ça Cauchemar, déclare Dark avec un sourire en coin.

- Oui ! Je répète encore, au comble du ravissement.

Maintenant, je sais que je suis aussi une Ios. Je suis donc une Caios. Il n'est pas si dur que ça à dire ce mot finalement. J'ai compris le truc. 

Mais un autre problème vient vite troubler ma joie. C'est donc ça, je suis bien une Caioces... et Dark n'a pas besoin de le savoir. Personne ne doit le savoir.

- Pour le dernier aspect, je n'ai besoin plus que de ton honnêteté, annonce mon mentor. Donne-moi ta main.

Je l'attrape avec réticence, puis je ferme les yeux pour me concentrer. Mais je n'en ai pas besoin, je sens très vite l'empreinte des ombres se former devant moi. Je les ré-ouvre pour voir quelques légers filets tourner autour de mon mentor.

Un poids s'envole de mon esprit quand je l'interprète. Il n'est pas malveillant, ce n'est pas qu'une impression. Depuis hier j'évolue en territoire ennemie, ça fait du bien de savoir que lui au moins est bon.

Je sens que je peux me confier, dire ce que j'ai sur le cœur. Je peux lui parler de mon pouvoir, lui parler de l'empreinte d'Éden et de la gentillesse trop fausse de Soleil... Mais il ne faut pas que j'oublie qu'il est aussi fidèle à son maître.

Non, je ne dois pas me trahir.

- Je... Je suis censée voir quoi ? Je demande d'une voix perdue.

- Tu ne sens vraiment rien ? M'interroge mon mentor avec une touche de scepticisme.

Ça y est il ne me croit pas. Je suis bonne pour passer le reste de ma vie en détecteur de mensonge. Remarque, ce serait peut-être une bonne chose de travailler dans leur château non ? Il ne faut juste pas qu'ils décident que je leur serais plus utile sur le champs de bataille...

Dark rive ses yeux dans les miens puis soupire en dégageant sa main, mettant tout de suite fin au tourbillon d'ombres grises.

- Bon, je ne pensais pas qu'il en serait autrement mais autant essayer, dit-il avec résignation. Ne t'en fais pas, tu reste très puissante comparée à beaucoup d'autres. Ce dernier test était juste une formalité.

Je hoche la tête sans montrer mon trouble. Mes pouvoirs n'ont-t-ils ne saurai-ce qu'une faiblesse ? Ou sont-t-ils vraiment tout puissants.

Je suis forte, je le sens. Mais je ne comprends pas pourquoi.

- Viens, lève toi, me lance Dark en se redressant lui-même. Je dois maintenant t'amener à Soleil. Il va être ravis d'accueillir une jeune fille si forte dans ses rangs.

Le regard de mon mentor est chaleureux, mais je ne m'y trompe pas. Le jour est-il venu de remplir ma part du contrat ? Non c'est trop tôt. Je ne suis là que depuis hier, ils ne peuvent pas attendre une telle décision de moi maintenant.

Je me lève et suis sagement Dark dans les couloirs. L'agencement du château commence à me rentrer dans la tête. Je sens que je serai capable de me débrouiller seule si il m'en vient le besoin.

Mon mentor toque trois fois à la grande porte du bureau de Soleil avant qu'elle ne s'ouvre. Mon cœur sursaute encore à la vue d'Eden, mais je ne me laisse plus envahir. Il va falloir que je réfléchisse à son cas à lui...

- Mais voilà ma jolie Cauchemar ! Lance Soleil en me voyant entrer.

Adossé à son bureau, ils nous indique le canapé d'un geste chaleureux. Dark va s'y asseoir et je l'imite, suivie d'Eden. Celui-ci va s'installer en face de nous tout en me regardant. Aussi machiavéliques qu'il soit, ses yeux dorés ne quittent pas de mes pensées. Décidément, il est vraiment trop beau.

- Alors Dark, ces tests ? Demande Soleil avec enjouement.

- Nous avons eu de meilleurs résultats qu'hier, déclare mon mentor d'une froideur que je ne lui connais pas. J'ai le plaisir de vous annoncer que Cauchemar n'est pas qu'une Caos, mais bien une Caios. De plus, elle semble avoir trouvé comment contrôler son pouvoir.

- C'est vrai ? Demande Soleil avec un sourire en me regardant.

Je le lui rend nerveusement et acquiesce :

- Oui, c'est ça.

Cette découverte me rend toujours aussi fière, mais un certain malaise s'empare de moi maintenant que je suis en face d'Eden. Mieux vaut garder ce qu'il s'est exactement passé pour moi...

Le chef des Oplan hoche la tête avec bonne humeur. Il se tourne ensuite vers Dark pour lui demander d'une voix plus cordiale :

- Et elle n'est pas Ces ?

Je frémis légèrement. Si je le suis, et Soleil s'y attendait. Que sait-il encore sur moi ? J'aimerai pouvoir le toucher et lire ses ombres. Maintenant que j'ai ce pouvoir, j'ai besoin de l'utiliser. Qui sait ce que j'apprendrais...

- Non, elle ne l'est pas, annonce Dark après un léger regard vers moi.

Mais je ne m'y trompe pas. Je ne suis décidément pas faite pour mentir. Il sait très bien ce que je suis, et il me couvre. 

- Dommage... Répond le chef en plissant les yeux

Soleil ne laisse pas paraître sa déception mais je la sens. L'ambiance me pèse. Entre hypothèses, certitudes et non-dits, je suis loin de me sentir à l'aise.

Des coups forts frappés contre la porte mettent vite fin au climat tendue. Eden se relève et va ouvrir sous l'ordre implicite de son père. Un homme apparaît alors, essoufflé mais avec un grand sourire, et déclare sans plus avancer :

- Votre plan s'est déroulé avec succès Soleil. Nous avons réussi.

* * * *

La colère de leur chef réveille les deux conseillers perdus dans leurs parchemins. Ils lèvent tous deux la tête vers moi avec curiosité, à l'identique du messager. Mais Brise, en se mettant devant eux, leur fait comprendre de lâcher l'affaire et ils s'empressent de quitter la pièce. Je l'en suis reconnaissante. Je sais bien que la réputation de Magma en prendrait un coup si ils le voient se faire malmener par une gamine. Car oui, je ne compte pas me laisser faire.

- J'écoute d'une oreille attentive ce qu'il se passe dans ce monde, je réponds d'une voix librement insolente en levant le menton.

Brise sourit alors que le pyromane bouillonne. Et il n'est pas au bout de ses peines, je songe avec un sourire cruel.

- Qui te crois-tu être pour te permettre d'espionner ainsi un conseil militaire ? Demande Magma avec un mépris glaçant.

Mais il ne me touche pas. Peut m'importe maintenant, j'ai cessé depuis longtemps d'espérer avoir de l'importance pour quelqu'un.

- Moi ? Dis-je avec une indifférence calculée. Je suis la petite fille innocente dont vous avez volé la vie en décidant de l'enlever il y a un peu plus de 16 ans. Je suis celle qui était encore dans les bras de ceux qu'elle croyait être sa famille il y a 48 heures. Je suis une pyromane puissante qui n'a jamais connu son monde et ses semblables de toute sa vie par votre faute. Et je suis celle que vous avez destinée à sauver un, voir deux monde. Il me semble donc que j'ai une certaine légitimé à me renseigner sur la situation actuelle.

Ma démonstration semble avoir l'effet attendu. Brise baisse les yeux avec un certain malaise et même le colérique chef se calme. Je souris, fière de mes mots. Oui, je suis fière des blessures qu'ils m'ont faites, car ils me les devront à jamais.

- Comment es-tu rentrée ? M'interroge un Magma bien plus calme après un court silence.

- J'ai joué de mes charmes, je réponds avec espièglerie.

Un silence s'installe alors que mon mentor cherche à comprendre le sens de mes paroles. Mais je ne développerai pas. Encore vexée, j'articule dans un souffle :

- Ne me sous-estimez pas.

Brise esquisse un sourire alors que Magma relève la tête. Son regard intense me transperce. Il me dévisage sans plus aucune hostilité maintenant. Juste une certaine curiosité. Et il me semble même distinguer un soupçon de respect.

- Tu me l'as bien montré il me semble, dit-il froidement avant de se retourner. 

Il marche silencieusement jusqu'à l'autre bout de la pièce pour disparaître dans une des ouvertures. Brise s'approche de moi et tire une mèche de ma crinière, le regard tendre.

- Tu parle bien Tracy, dit-t-elle affectueusement. Ça devrait lui suffire.

- Lueur, je la corrige machinalement.

- Ma langue a fourché ? Fait-elle semblant de s'étonner. Excuse moi alors.

Elle me fait un dernier sourire avant de se retourner. Elle part dans la même direction que Magma, d'une démarche plus aérienne, et je ne peux m'empêcher d'admirer les grandes ailes blanches qui ornent son dos. Je songe avec regret que j'aurais aimé en avoir des identiques. Mais le ciel a décidé de me donner des mains brûlantes à la place. Oui, je suis née pyromane, pas humaine.

Je regarde mes mains en repensant à ce que nous répétait Sten. En fait, je ne suis rien de tout ça. Le ciel m'a fait gardienne.

Un sifflement de flûtes interrompt ma réflexion. Intriguée, je m'aperçoit qu'il vient de l'extérieur du village. Je cours vers la porte par laquelle nous étions arrivés la veille et l'ouvre en grand. Des bruits résonnent de l'ouverture à ma droite : Brise et Magma arrivent. Je fais quelques pas en avant et regard avec curiosité l'orée des bois. 

Me trouver dehors ne semble pas inquiéter le chef et la Rafaleuse. Alors que le premier m'ignore et s'avance vers le petit chemin de graviers, suivi par des gardes et les deux autres conseillers, Brise s'approche et pose une main rassurante sur mon épaule. 

Ainsi, le regard perdu dans le vague, je comprends ce qu'il se passe. Ma gorge se noue de stresse et les secondes s'allongent. Devant moi, dans la forêt, avance un de ceux qui nos ont créés. 

Nuage arrive.

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