- Bien dormis ? Demande Larme après quelques minutes de marche.

- Plutôt, je lui réponds, évasif.

Je ne cherche pas à développer. Je n'ai pas envie d'entretenir une conversation avec elle. Je veux juste profiter du paysage et du silence.

- Tempête ne vous a pas trop dérangé ? Continue-t-elle, visiblement habitée d'une envie diabolique d'aller contre ma volonté.

Ses très longs cheveux bruns volent autour d'elle alors qu'elle tourne la tête vers moi. Elle lève légèrement les yeux et me fixe avec un sourire chaleureux, attendant ma réponse.

- Non du tout, un parfait petit ange, lui dis-je sans montrer plus d'enthousiasme.

Elle semble enfin comprendre que je ne souhaite pas entretenir la conversation et retourne la tête.

- Parfait ? Ça change... Conclut-elle en accélérant le pas.

Nous arrivons enfin à la rivière. Son eau d'une magnifique couleur bleu et est si limpide que j'arrive à distinguer le fond même à l'endroit le plus profond. La belle couleur vive m'attire et, malgré la fraîcheur de la matinée, j'ai envie de m'y baigner. Je m'approche et plonge la main. Le contacte gelé de l'élément glace mon membre et une vague de fraîcheur me traverse. J'enlève vite mes doigts de l'eau pour les réchauffer.

Larme contemple un court moment la surface claire. Ses yeux reflètent la couleur de l'eau et je remarque pour la première fois leur belle teinte azure.

Elle se penche ensuite lentement et enlève ses sandales. Pieds nus, elle s'approche du court d'eau et s'y enfonce.

Sa longue robe blanche se mouille au fur et à mesure qu'elle s'avance. Au milieu de la rivière, l'eau lui arrive aux genoux.

- Viens, dit-elle de sa voix claire en se retournant.

Je m'empresse d'enlever mes grosses chaussures et mes chaussettes pour la rejoindre. Je plonge d'abord un pied dans l'eau gelée et le froid me tétanise.

Je prends une grande inspiration et plonge mon deuxième pied. J'avance pas à pas en serrant fort les dents. Mon pantalon mouillé me colle à la peau et les poils de mes bras se hérissent sous le froid. Mes dents commencent même à claquer.

J'arrive enfin à la hauteur de ma mentor. Les yeux brillants d'un éclat surnaturel, elle sourit et m'annonce :

- Je vais t'envoyer une intensité croissante d'eau. Tu vas devoir la repousser. Le courant t'aidera au début, mais tu devras rapidement te débrouiller seul.

J'hoche la tête pour l'informer que j'ai compris. Elle plonge alors sa main droite et la surface commence à s'agiter. Le courant change de sens et se dirige maintenant vers moi.

Je sens le bout de mes doigts me picoter alors que je transmets mes ordres à la masse d'eau.

Je repousse cette première vague sans aucune difficulté. Grisé, je stoppe la deuxième sans faire plus d'effort. Devrais-je lui dire que cet exercice m'est incroyablement facile ?

Elle m'envoie une troisième vague que je stoppe encore sans percevoir de changement. Elle semble lire l'ennuie dans mes yeux car la quatrième est plus forte, même si j'arrive à la renvoyer sans trop de difficulté.

La cinquième me surprend. Plus longue et plus intense, elle m'oppose une grande résistance. Mais je finis par la balayer elle aussi.

Quand je renvoie la sixième, avec cette fois beaucoup plus d'effort, celle-ci renverse Larme.

Surprise, l'hydrokinésistes se relève dans une gerbe d'eau et repart à l'attaque. Ses yeux scintillent et une vague bleu ondule le long de ses bras alors qu'elle envoie un autre tourbillon.

Ne m'attendant pas à tant de puissance d'un coup, je glisse sur les galets et tombe sur les fesses. Je parvins néanmoins à riposter dans ma chute et je renvoie la vague vers son expéditrice, y joignant encore de ma force.

Un bouclier bleuté s'était déjà formé devant elle mais mon attaque l'explose. Larme est propulsée sur plusieurs mètres et disparaît sous l'eau.

- Tu es puissant, reconnaît-elle en émergeant, trempée de la tête au pied. Un Cos très doué même...

Elle m'analyse de la tête au pied avec un nouveau regard. Je l'ai impressionné.

- Suis-moi maintenant, nous allons voir si tu es plus que ça...

* * * *

- Nous allons commencer simplement, déclare Magma avec un sourire mauvais qui annonce tout le contraire. Tout d'abord, sais-tu créer du feu ?

L'étincelle mesquine qui brille dans ses yeux me stresse. Que va-t-il me demander de faire ?

- Oui, j'affirme en levant le menton.

Ne pas montrer ma peur, voilà ce que je me suis toujours répété. C'est difficile de devenir l'une des plus populaires du lycée en laissant mes émotions perturber mes résolutions. Mais là, je ne peux tout de même pas retenir quelques frissons.

Le sourire du chef se crispe légèrement. Il se reprend rapidement et m'ordonne avec suffisance :

- Eh bien vas-y.

Docile, je rassemble ma chaleur dans la paume de ma main. J'y envoie ensuite une petite étincelle brûlante et le feu prend directement.

En voyant le prodige, Magma perd de sa superbe. Il me regarde maintenant avec un intérêt voilé.

Une bataille de gagnée.

- Bien, camoufle-t-il avec dédain. Fais la grandir maintenant.

J'obéis sur le champs. Je fronce les sourcils et concentre mes forces sur la flamme. Elle double lentement de volume alors que mes oreilles commencent à siffler.

La fatigue cumulée à la chaleur du foyer me fait voir flou. Je passe ma deuxième main sur mon front pour essuyer ma transpiration et dégager des mèches de devant mes yeux.

- Encore plus haut ! M'injoncte Magma.

Mon corps ne contient plus assez d'énergie pour nourrir la flamme, alors j'en puise dans mon entourage.

La plaine brûlée m'offre la chaleur dont j'ai besoin et je la projette dans ma création. Magma recule alors que le brasier se densifie et s'étire vers le ciel.

Mais la chaleur qui me traverse est intense, trop intense. Ma main vire au noir et me brûle terriblement. Je cris de douleur et mets brusquement fin au flux de chaleur qui me traversait. Je tombe à genoux en serrant ma main brûlée contre mon torse.

Magma réagit rapidement. Il sort une gourde et des bandages de son sac et s'approche de moi. Il me verse un peu d'eau dans le cou, non sans une légère lassitude, et je soupire de soulagement en sentant cette vague de fraîcheur se propager dans mon corps.

Il se met ensuite à genoux devant moi et prend ma main qu'il enduit d'une crème blanche avant de l'enrouler de bandages.

Il me tend enfin la gourde que j'accepte avec reconnaissance. Je la porte de ma main gauche vers ma bouche et bois goulûment, faisant lentement baisser ma température.

- Bien, souffle Magma en se relevant.

Il affiche toujours cette même expression de suffisance qu'il ne semble pas vouloir quitter.

- Vous ne serez peut-être pas si inutiles finalement...

* * * *

Nous arrivons enfin au grand lac. La forêt boréale s'ouvre sur cette grande surface d'eau plane avec beaucoup d'élégance. Les fourrés laissent progressivement place à une petite plage de galets gris. Un groupe de pêcheurs se dressent sur une berge et vaquent tranquillement à leur occupation, réchauffés par le doux soleil matinal.

Une brise souffle dans mon dos et me fais frissonner. La serviette qui couvre mes épaules me réchauffe légèrement mais mes habits mouillés ne sont pas près de sécher.

- Enlève tes chaussures, demande Larme en fixant le lac.

Je ne me fais pas prier. Mes pieds mouillés sont échauffés car je n'ai remis mes chaussettes. C'est un plaisir de les tirer de ces grosses chaussures.

Larme s'approche ensuite de moi, chargée de grosses cordes. Je commence à paniquer quand elle me demande de mettre mes main dans mon dos. Elle noue un lien autour de mes poignets et le serre. Elle m'attire ensuite vers l'eau et je la rejoins à contrecœur. Malgré la propreté du lac, je n'en vois pas le fond et ma peur refait surface.

Quand mes pieds sont à l'eau, ma mentor entoure mes chevilles d'une autre corde lestée de gros blocs de pierre.

- Que... J'articule difficilement, gagné par la panique.

- Ne t'inquiète pas, ce test ne devrait pas non plus te poser de problème. Ais confiance en ton pouvoir Orage, dit-elle calmement.

Ses yeux scintillent alors qu'elle invoque son pouvoir. Je sens l'eau me tirer violemment vers le centre du lac. Je suis trop surpris pour stopper le courant et en quelques secondes, je disparaîs.

L'eau m'entraîne vers le fond et je n'arrive pas à résister. Je suis engloutie sous un épais nuage bleu qui me sépare de la surface. Les blocs de pierre heurtent soudainement le fond dans un bruit étouffé par l'eau. Tout est sombre autour de moi. Je n'ai plus de repère, et la panique m'envahit.

Je me cabre dans tous les sens mais les liens sont trop serrés. J'agite frénétiquement des pieds sans bouger d'un centimètre. La force que je transmet à l'eau n'est pas assez puissante pour me faire remonter, bloquée par un courant venu du haut. Je ne peux rien faire pour me libérer.

La peur me gangrène. Ma phobie de l'eau m'agite avec violence. Mes muscles se tétanisent, ma gorge se noue et mes poumons brûlent du manque d'air.

Mes forces m'abandonnent peu à peu alors que mon esprit vrille à la folie. Je ne veux pas mourir sous l'eau ! Pas noyé...
Pas comme elle.

Je revoie deux points jaunes brillants sous la pluie drue. Le violent coup de frein, la voiture qui dévie vers le fleuve et y plonge. Mes cris, les siens, et l'eau froide qui envahit tout. La ceinture qui me coupe la respiration et un violent choque au front. L'eau rouge. Rouge de pleurs et de sang.

Sa mort... Et bientôt la mienne.

L'eau autour de moi se teinte lentement de violet. Mes poumons sont en feu, et ma peau me brûle. Je ne peux plus lutter. Je ferme lentement les yeux, résigné à laisser la noyade m'emporter moi aussi.

* * * *

- Plus haut Lueur ! Crie Magma pour couvrir le crépitement des flammes.

Le brasier que j'ai allumé sur le tas de branchages double encore de volume et mes forces s'amenuisent. Bien que l'exercice soit moins douloureux que quand la chaleur me traverse, il n'en reste pas moins fatiguant. Surtout que Magma me pousse à bout de forces.

- C'est tout ce que tu sais faire ? Se moque-t-il.

Décidée à lui donner tord, je me concentre encore plus profondément et le brasier grandit. Je sens la chaleur couler sur la terre et s'embraser. Ma force qui les dirige s'épuise rapidement, ma tête tourne mais je ne veux pas relâcher mon effort. Je ne peux pas le laisser me prendre de haut comme ça. Je suis puissante, et il doit le voir. Qu'il ravale son mépris, mes flammes monteront plus haut que les siennes !

   Soudain, Magma se précipite vers moi. Avant que je n'ai pu faire le moindre geste, il me pousse en avant, une lueur démente dans les yeux. Je cris alors que je tombe entre les braises. 

Les flammes s'emparent aussitôt de moi. Elles me lèchent, me brûlent et rentrent dans ma peau. Mes membres rougissent totalement et se mettent à tremblent. Mon corps se transforme en flambeau géant.

Je sens la chaleur brûler dans mon être. Je suis toute puissante !

Les yeux rouges de Magma ne sont plus que deux billes noires d'étonnement. Il s'approche lentement, consterné par le prodige auquel il assiste.

Mais les flammes me dévorent. Mon corps se consume rapidement et je cris de douleur. Mon enveloppe charnel - bien que métamorphosée - ne peut plus contenir le feu que je nourri. Je me raidit violemment et me prends la tête dans les mains. 

Je ne les tiens plus !

Soudainement, obéissant à un appel inconscient de mon esprit, le feu autour de moi explose. Je projette le brasier sur des centaines de mètres dans toutes les directions en une vague dévastatrice. Mortifié, Magma s'agenouille avant de recevoir le déferlement de flammes.

Mon corps se rematérialise peu à peu. Je me retrouve repliée sur moi-même au milieu d'une plaine déjà brûlée en feu. Magma se relève et réagit aussitôt en canalisant tous les petits brasiers. Il revient ensuite devant moi et me dévisage de toute sa hauteur. C'est pourtant avec une voix empreinte de respect qu'il s'incline :

- C'était... Impressionnant. Vraiment sublime Lueur. Nuage a peut-être raison de placer tant d'espoir en vous finalement, conclut-il avec un petit sourire incroyablement sincère.

Je le lui en renvoie faiblement un et gémis. Mon corps brûlé hurle de douleur.

Magma s'empresse de prendre la gourde pour m'asperger d'eau. Le contacte tiède me soulage aussitôt et je soupire. Il enroule ensuite une deuxième bande de gaze autour de ma main brûlée, laissée à vif par l'ancien bandage consumé.

Un homme émerge soudain de la forêt au loin. Plutôt âgé, ses cheveux sont noirs et la ceinture bleu qu'il porte m'indique que c'est un hydrokinésiste. À l'orée du bois, il s'arrête un petit instant, choqué par le paysage apocalyptique.

- Saumon ? Fait Magma d'une voix grave en suivant mon regard.

Le chef a encore une fois retrouvé son masque sévère et je le comprends. Il a des hommes à diriger, il ne peut pas se permettre de laisser paraître ses émotions.

Remis de son étonnement, l'homme s'avance prudemment dans la plaine brûlée.

- C'est Larme qui m'envoie, commence-t-il légèrement essoufflé. Il y a urgence au lac d'Emeraude Magma : nous allons perdre Orage.