Texte 4 : Fantastique

— C'est aujourd'hui, commença tristement le grand homme vêtu de noir, en ce jour funeste, que Larrie nous a quittés. Elle était pour nous... bien plus qu'une simple femme. Elle était... une connaissance, une amie, une épouse...

Il plongea son regard effondré dans celui de Selina.

— Une mère, termina-t-il.


***


— Bonjour à tous, asseyez-vous, je vais faire l'appel. Hugo ?

— Présent !

— Shidie ?

— Présente !

— Selina ?

— Elle est pas là, monsieur.

— D'accord. Quelqu'un l'a vue, vous savez si elle arrivera en retard ?

Les élèves échangèrent des regards interrogateurs, mais aucun ne semblait être proche de la jeune fille.

Quelques minutes de cours plus tard, on toqua à la porte, et celle-ci s'ouvrit sur une jeune brune, petite, l'air assez triste et serrant entre ses mains un carnet de liaison ouvert à la page des retards.

— Bonjour, commença-t-elle d'une voix timide, excusez-moi pour le retard...

Elle tendit son carnet au professeur, sans toute fois le regarder, ni d'ailleurs aucun autre élève de la classe.

— Bonjour Selina, fit l'adulte dans un sourire.

Il regarda le mot de retard avant de la renvoyer à sa place.

La jeune fille sortit en vitesse ses affaires pour suivre au mieux le cours.

— Bah alors Selina ? commença une voix narquoise.

La jeune fille se tourna et vit son interlocuteur, l'effroyable Eka.

— Bah alors Selina, reprit-il. Encore en retard ?!

Selina resserra son étreinte sur son crayon, fermant les yeux pour ne pas pleurer. Elle ne pouvait s'empêcher de penser à la raison pour laquelle elle était arrivée en retard.

Elle était en retard car elle avait manqué son bus.

Elle avait manqué son bus car elle n'avait pas mis son réveil à sonner.

Elle ne l'avait pas mis à sonner car elle était perturbée la veille.

Et elle était perturbée parce que sa mère était morte.

Les larmes affluaient à ses yeux, mais elle ne devait pas pleurer.

« Bah alors, Selina, tu pleures ?! » se moquerait Eka.

— Eka ! hurla le professeur. Suis le cours un peu !

Tous les élèves rigolèrent et le cancre, un peu honteux, n'adressa plus un mot à Selina jusqu'à la fin du cours.

En en sortant, la jeune fille se fit interpeller par le professeur.

— Selina, est-ce que tout va bien ?

— Ce... ce n'est rien, répondit l'intéressée, je ne suis juste... pas dans mon assiette aujourd'hui.

Elle commença à partir, mais le professeur posa sa main sur son épaule pour la rattraper.

— Selina, reprit-il. Sache que s'il se passe quoi que ce soit, tu peux m'en parler, ou à la psychologue scolaire ou la CPE. Sache que nous sommes là pour toi.

— Merci, répondit, hésitante, la jeune fille, mais... je... ne pense pas que vous puissiez faire quelque chose pour moi. Juste... est-ce que je peux changer de place ?

— Ah oui, Eka est vraiment insupportable.

— Au revoir monsieur, fit Selina sans sourire.

— Au re...

La porte se ferma sur la jeune fille.

— voir...


***


Une vieille photo froissée. Elle la serrait fort entre ses mains, regardant avec peine celle qui y paraissait.

Larrie. Sa mère.

Les larmes lui échappèrent, et Selina pleura abondamment, contre un muret, dans un coin reculé de la cour.

— Selina ? demanda une voix masculine.

— Non, laisse-moi, je veux voir personne !

— Selina, il faut que tu ailles voir quelqu'un si tu as besoin d'aide...

— J'ai pas besoin d'aide, laisse-moi !

Sentant qu'il ne pourrait rien changer ainsi, l'élève partit, laissant à nouveau Selina seule.

— De toute manière, murmura-t-elle pour elle-même, à quoi ça servirait ? Rien ne pourrait me redonner le goût de vivre... Je ne sais même pas pourquoi je le fais encore...

Des pensées s'enchaînèrent dans sa tête.

Une corde.

Une poutre.

Et finie la torture...

Son père n'aurait plus à payer sa nourriture, et ses frère pourraient récupérer sa chambre.

Au fond, tout serait mieux sans elle, non ? Chaque personne de ce monde vouait son temps à la critiquer, à la détester, et ceux qui se disaient vouloir l'aider se chargeaient ainsi d'un très lourd fardeau... Où pouvait-elle bien trouver une corde ?

— Tu veux te suicider ? demanda une voix de femme.

Selina tourna la tête pour voir à qui elle avait à faire. Personne ne semblait être là. Un papillonnement attira son attention. Un petit oiseau d'un beau brun légèrement orangé par endroits, était posé sur un piquet en bois, et semblait la regarder.

— Quel drôle d'oiseau... murmura Selina.

Le volatile éclata de rire, devant la jeune fille étonnée, avant de répondre :

— Et quelle drôle d'humaine ! Tes camarades passent leur temps à étudier ou faire des bêtises, et toi tu restes là à contempler ta défunte mère.

— Et toi tes semblables mangent et migrent et toi tu restes là à parler à une drôle d'humaine...

— Il est vrai que peu font comme moi, mais je ne peux tout bonnement pas te laisser comme ça. Alors tu veux te suicider ?

— N... Non ! Je...

L'oiseau pivota étrangement sa tête sur le côté, et Selina acheva :

— Je ne veux pas me suicider, je veux juste...

— Une corde, une poutre et finie la torture, et tu ne veux pas te suicider ?

— Comment...

— Ne cherche pas, je lis en toi comme dans un livre ouvert.

— D'accord. Et si je ne me suicide pas, que me conseille-tu ?

L'oiseau réfléchit un instant avant de répondre :

— Continue de vivre.

— Mais...

L'oiseau s'envola au moment même où la sonnerie retentit. Tous les élèves se dirigèrent vers les salles de classes où Selina devait aller aussi.

La corde et la poutre seront pour une prochaine fois.



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