8 : La pire soirée de Nouvel-An d'Agathe.
Pour ce qui était censé être une invitation sur un coup de tête, et une soirée improvisée sur le tas, tout m'a semblé incroyablement compliqué à gérer.
D'abord, il a fallu appeler les filles de ma classe deux jours avant pour leur avouer que je désertais la fête qu'on prévoyait depuis un bon mois. Elle devait avoir lieu chez Gaston Thomas, a.k.a le mec chez qui il fallait aller au moins une fois dans sa vie. Il n'était pas bien méchant mais je l'avais toujours trouvé un peu lourd. Dans le genre Gabin, mais en plus riche et prétentieux. On annonçait des plans fantasques pour l'occasion, et à écouter les gens, la moitié du lycée comptait s'y retrouver. Je n'avais accepté que pour passer du bon temps avec mes amies, et finalement, changer de programme présentait certains avantages.
Avais-je fait exprès de dire à Gabin que je n'avais rien de planifié pour qu'il me propose de passer le 31 décembre avec lui ? Peut-être un peu... Cela faisait-il de moi une mauvaise personne ? Je n'espère pas.
Passé le choc, l'indignation, la déception et les deux ou trois vannes miteuses sur le fait que j'allais passer mon réveillon dans mon lit avec mon chat, mes camarades se sont montrées avides d'explications. On ne leur la faisait pas si facilement, elles ont rapidement compris qu'il y avait anguille sous roche dans cette affaire. J'ai tourné autour du pot un bon moment, m'interrogeant sur mon envie ou non de leur dire que je leur faisais faux bond pour un garçon. Puis, sous les questions incessantes, j'ai fini par capituler, et avouer que je m'incrustais à la fête du petit frère du mari de ma sœur. Périphrase qui a eu le mérite de les embrouiller mais pas de leur faire lâcher le morceau.
« Gabin Schneider ? » se sont-elles étonnées quand j'ai donné son prénom. « C'est pas ce gars du lycée d'à côté qui a lancé une bataille de chips au vinaigre dans la cour ? » Aucune idée, mais il était fort probable que l'on parle de la même personne. « Mais il y a quelque chose entre vous ? » fut la seconde question qui a suscité le plus grand intérêt. À croire qu'on ne pouvait pas lâcher misérablement ses amies pour rejoindre un mec sans autre raison que parce qu'il nous plaisait. J'ai eu beau nié en bloc, répété que de toute manière, il faisait presque partie de ma famille, ce qui le plaçait hors de portée, les filles ne m'ont pas cru un seul instant. Et honnêtement, à leur place, moi non plus.
J'aurais bien aimé pouvoir prouver au monde entier que je ne me prenais pas la tête quand à la soirée, j'aurais voulu être en mesure de m'en ficher, d'adopter une attitude désinvolte, de ne pas avoir l'impression que les prochaines heures seraient décisives quant à ma relation avec Gabin. C'était la première fois que l'on se voyait en-dehors du cadre familial, la toute première fois que l'on se fréquentait parce qu'on l'avait réellement choisi, et non car on se retrouvait au même endroit au même moment. J'appréhendais le déroulement des choses. C'était le chaos dans ma tête, mes pensées étant tiraillées entre l'envie qu'il arrive quelque chose, n'importe quoi qui me montrerait que j'avais raison de m'accrocher à lui, et la crainte que ce quelque chose ne soit pas ce que j'espérais. Pire, s'il ne se passait rien du tout, si on retombait dans le schéma habituel, que devrais-je en penser ?
Je me suis faite une promesse : si d'ici le lendemain, je n'arrivais pas à capter le moindre signe que Gabin voulait aller plus loin, alors j'abandonnais tout espoir. Cette approche pessimiste et radicale a permis de calmer mes doutes et mes angoisses ; au moins j'avais un plan de secours.
À 20 heures tapantes, j'étais assise sur mon lit, maquillée, la robe repassée et les collants toujours en bon état. J'attendais qu'on vienne me chercher. Mon cœur battait du manière inhabituelle, il y avait cette petite boule dans mon ventre ; j'ai commencé à regretter d'avoir décliné la fête de mes amies. D'un coup, j'ai presque hésité à attraper mon téléphone pour me résigner, sentant que toutes mes émotions devenaient trop lourdes à supporter. Mais la voix stridente de ma mère au rez-de-chaussée m'en a empêché.
─ Agathe ! a-t-elle crié. J'ai entendu une mobylette !
Le souffle court, je me suis levé, et soudain, quand j'ai réalisé que Gabin arrivait, la perspective de le revoir m'a semblé beaucoup plus plaisante que celle de l'abandonner. C'était fou comme mon esprit virait à 180 degrés quand il s'agissait de ce garçon.
Je suis descendue à tout allure pour trouver ma mère et ma sœur, cachées derrière le rideau de l'entrée, à regarder par la fenêtre. Dans le salon, les invités de mes parents se goinfraient de petits fours. Pour une fois, les parents de Gabin avaient fait fête à part.
Ma sœur m'a observée toute excitée, elle attendait minuit pour aller en boîte avec ses copines. Elle et Olivier ne voulaient pas réveillonner ensemble, ayant vaguement mentionner de vouloir « garder une part d'indépendance malgré leur mariage ». Ce qu'elle ne disait pas, c'est qu'elle détestait ses amis à lui, et qu'elle sautait sur toutes les occasions pour ne pas avoir à leur parler.
─ Vous êtes folles ! leur ai-je reproché en les tirant pour les dégager du rideau. On dirait des petites vieilles qui espionnent les passants.
─ Ça va, Agathe, m'a calmée ma mère, c'est le premier garçon qui vient te chercher à la maison. Laisse-nous trouver ça adorable.
─ On parle de Gabin, là, lui ai-je rappelé avec une certaine hypocrisie. On peut pas associer Gabin et adorable dans la même phrase.
─ Arrête, Gabin est gentil.
J'ai haussé les sourcils, croyant rêver.
─ Maman, il y a deux mois, tu étais contente de ne pas le voir de peur qu'il ne casse tout la maison et maintenant tu le trouves gentil ?
─ Écoute, a-t-elle commencé d'un air très solennel, si tu te maries avec Gabin, ça veut dire que je connaîtrais déjà les beaux-parents, et qu'en plus, je les apprécierais, ça veut dire pas de problème de famille ou d'héritage. Je pense sur le long terme, ma chérie.
J'ai halluciné mais n'ai malheureusement pas eu le temps de répondre, car on a frappé à la porte. Puisqu'il connaissait déjà bien les lieux, Gabin est entré seul pour découvrir face à lui un trio de femmes.
─ Je pensais pas être si attendu, a-t-il déclaré.
Ma sœur a fini par prendre ma mère par le bras et la forcer à retourner auprès des invités. Je suis restée seule face à lui, la boule au ventre n'était pas partie. Souvent, des semaines passaient entre les moments où on se voyait, là, quelques jours à peine étaient venus s'immiscer entre nous deux et pourtant, j'avais l'impression qu'une éternité nous avait séparés. Je croyais voir du changement dans la longueur de ses cheveux, dans les traits de son visage... des tas de trucs complètement stupides. J'ai cessé de le fixer et me suis concentrée sur ce qu'il portait : deux casques, deux paquets.
─ Tiens, avant qu'on parte, a-t-il formulé en me tendant un petit carré emballé de papier cadeau.
Il avait pris le sien aussi pour qu'on puisse les ouvrir ensemble. Le moment était solennel, il n'a rien dit et a attendu que le déballe. Ce que j'ai fait. J'en ai sorti un collier doré, un pendentif y était accroché, en forme de goutte et orné d'une sorte de pierre rouge rubis. Le bijou était beau, dans le genre vraiment beau, c'était irréel de penser qu'il venait de Gabin. Je suis restée muette devant le collier, la bouche ouverte.
─ Quoi ? a paniqué Gabin devant mon manque de réaction. T'aimes pas ? Ah, je le savais, je suis nul pour trouver des cadeaux.
─ Non, non, pas du tout, l'ai-je contredit. Il est super beau, c'est ça le problème. Gabin, n'ouvre pas mon cadeau !
─ Hein ? Pourquoi ?
Et aussitôt, comme si à l'entente de « N'ouvre pas le cadeau », il ressentait une envie irrépressible de désobéir, il a arraché le papier pour découvrir la casquette que je lui avais offerte. D'abord, il n'a présenté aucune expression, puis, il a retourné l'accessoire dans une grimace. On pouvait lire sur le devant « Beauf de Bretagne ».
─ Sérieusement ?
J'ai haussé les épaules avec une moue désolée.
─ Je pensais pas que tu m'offrirais quelque chose en retour, encore moins un bon cadeau.
Il n'a rien pendant dit quelque secondes avant d'enfoncer la casquette sur sa tête.
─ Je l'adore, a-t-il affirmé. Allez, mets ton manteau sinon y'aura plus de chips barbecue quand on va arriver.
Ce devait être une assez grosse bataille pour qu'il s'en inquiète réellement, car il m'a crié dessus quand je lui ai dit que je montais juste prendre mon téléphone. J'ai fini par être prête et Gabin m'a attaché le casque. Ses doigts ont effleuré ma joue, et je me suis sentie affreusement stupide quand ma peau s'est hérissée à son contact. Lui, n'a rien laissé transparaître, et j'ai eu une première conviction que tout était dans ma tête.
Il a démarré sa mobylette et je suis montée derrière lui. Pendant les premiers mètres, je ne savais pas où mettre mes mains et j'ai tenté, grâce à mes restes d'équitation, de trouver la bonne assise pour rester en équilibre.
─ Il va falloir que tu te tiennes à moi, m'a-t-il crié, sinon tu vas partir quand je vais accélérer.
─ Quoi ? ai-je hurlé en retour. Tu veux dire, il faut que je te prennes par la taille ?
─ C'est bon t'inquiète, je me suis lavé.
Ce n'était pas vraiment la raison de mon hésitation. J'ai soupiré et me sentant partir en arrière, je me suis résolue à m'accrocher à lui. À la fois tremblante de panique et exaltée par le contact de son corps. La soirée allait être éprouvante, c'était la boule dans mon ventre qui me l'annonçait.
Il n'y avait pas de mots pour décrire les amis de Gabin, mis à part ceux déjà inscrits sur son cadeau de Noël. Lorsqu'on est arrivé, il a frappé dans les mains de tous les garçons et les filles m'ont toutes dévisagée avec un certain dédain – du moins, c'était ainsi que je l'interprétais, sans doute étaient-elles franchement gentilles, mais j'avais tendance à considérer tout terrain inconnu comme hostile. Tout le monde était autour d'une gigantesque table croulant sous les gâteaux apéritifs, les bouteilles d'alcool et les bonbons. Dans un coin, ça écoutait Beurette de luxe de Lorenzo, dans un autre ça regardait une vidéo de TiboInShape sur Youtube. Quelques uns avaient des verres, mais en général, et comme dans toutes les soirées adolescentes, ils suivaient la règle tacite du « On ne boit pas tant que tout le monde n'est pas arrivé.»
J'ai commencé à me sentir profondément mal à l'aise, et me suis demandé comment j'avais bien pu oublier que je n'étais pas une personne naturellement avenante, et que j'avais toujours du mal à m'intégrer parmi des étrangers. Si j'avais eu toute ma raison au moment de l'invitation, j'aurais pris ces facteurs en compte, mais j'avais aveuglément dit oui à cause de la personne qui m'avait fait la proposition.
Allant contre mon caractère, j'ai tenu à faire un effort. J'allais passer toute la nuit ici, autant commencer à me sociabiliser. J'ai dû faire la bise à tout le monde, dire « Agathe » à chaque fois pour me présenter et entendre le prénom de la personne en retour sans jamais m'en souvenir. Ah, si, il y avait un Loïc. Parce qu'il y avait toujours un Loïc dans les groupes d'amis bretons, c'était une loi universelle.
On nous a donné des chaises et Gabin s'est installé à côté de moi pendant trente secondes, avant de rejoindre ses potes pour voir un « TUTO PROTÉINÉ ÉNORME ET SEC ». Les filles à côté de moi discutaient en petits groupes et j'osais à peine prendre une chips. Des pensées incongrues, résultant peut-être – sûrement – d'une jalousie cachée ont commencé à naître. Allez, dans le lot, il y en avait bien une qui espérait profiter de la soirée pour mettre la main sur Gabin ! Je me demandais bien de qui il s'agissait. Finalement, l'une d'entre elles, âme charitable, m'a parlé.
─ Alors, ça fait combien de temps que tu es avec Gabin ?
─ Oh, ai-je dit, mal à l'aise, non, on est... pas ensemble. On est juste amis, euh... son frère et ma sœur par contre, ils sont ensemble eux. On s'est rencontré à leur mariage.
Elles se sont dévisagées, ont chuchoté des petits secrets et j'ai compris que quelque chose n'allait pas.
─ C'est vrai ? a-t-elle demandé comme si c'était logique de mentir sur ce point.
─ Oui, pourquoi ? Il vous a dit quoi ?
─ Non, enfin, sur la conversation Facebook, il a demandé s'il pouvait amener sa petite amie. Et forcément, nous, on a commencé à faire « C'est pas vrai, Gabin, t'as une copine ? ». Parce que tu sais, enfin... c'est Gabin quoi. Attends, je vais te montrer.
Elle a sorti son téléphone et a fait défiler la conversation de groupe, elle n'avait rien inventé, les messages approuvaient. J'ai froncé les sourcils. Ou bien j'interprétais encore plus mal les signes que je le pensais, et dans ce cas ça signifiait qu'on était en couple depuis plusieurs mois sans que je le sache, ou bien j'avais loupé toute une saison de la série « Agabin ». Cette série n'existe pas, au cas où vous la chercheriez.
Je me suis levée et ai tiré Gabin par la manche de son beau pull noir et l'ai amené dehors.
─ Eh quoi ? a-t-il dit en riant. C'est déjà le moment de la soirée où tu veux aller regarder les étoiles en philosophant sur le sens de la vie ?
─ Pourquoi t'as dit à tout le monde que j'étais ta petite amie ? Je suis pas ta petite amie, Gabin, je suis loin d'être ta petite amie !
─ Ah, merde, a-t-il juré. J'ai oublié de te prévenir. Ce soir, tu es ma petite amie. Il fallait bien que je trouve une excuse pour t'incruster, c'est super dur de faire rentrer une inconnue à une soirée. Et puis tu vois, la fille avec le haut rouge là, Clara, elle est tout le temps collée à moi quand elle boit, je me disais que comme ça, elle me laisserait peut-être tranquille.
J'ai froncé les sourcils, incapable de trouver une bonne rétorque. Il y avait peut-être une part de moi qui était déçue – une petite part de moi – de voir que toute cette affaire n'était qu'une manipulation de Gabin pour se défaire d'une fille collante. Il m'a attrapé par les épaules et m'a forcé à le regarder dans les yeux.
─ C'était stupide comme idée, on se serait pas embrassé de la soirée, les gens nous aurait grillés de toute façon.
─ Je sais, je sais, désolé, j'aurais dû te briefer sur le sujet. Bon, qu'est-ce que tu dis d'un concours de shots ?
─ Il est vingt-et-une heure, lui ai-je fait remarquer.
─ C'est génial, ça laisse encore plus de temps pour décuver et boire à nouveau.
J'ai levé les yeux au ciel alors qu'il faisait demi-tour pour rejoindre ses amis.
Deux heures supplémentaires m'ont suffi pour me convaincre que oui, vraiment, j'aurais dû aller avec mes amies. J'avais suivi Gabin, aveuglée par ces petits frissons qui traversaient mon corps à chaque fois que je le voyais, sans prendre en compte toutes les variantes. Et mon Dieu qu'il y en avait. Déjà, comme on avait affaire à des jeunes qui s'ennuyaient beaucoup, ils avaient tous commencé à boire à vingt-et-une heures, et étaient de ce fait, tous soûls à vingt-deux.
La sociologie des soirées lycéennes me paraissait être un sujet riche et complexe, mais que j'avais envie de fuir au fur et à mesure que les heures défilaient. Il y avait l'un des garçons, un brun à bouclettes qui avait fait péter sa seule chemise pour l'occasion qui n'arrêtait pas de me poser des questions gênantes et voulait très certainement repartir avec moi ce soir. Il y avait aussi celui qui s'occupait de la musique et gueulait sur quiconque essayait de changer. Il y avait ceux qui réussissaient quand même, le temps d'une chanson, et parmi eux, on observait soit les férus de raps qui passaient en boucle les mêmes chansons, celles qui parlaient de claquer des culs, et les autres, patriotes bretons exacerbés qui ne loupaient pas une chance de mettre du Manau. Il y avait ceux qui après deux verres et quelques cigarettes réarrangées comataient sur le canapé et ceux qui, un jeu de cartes à la main, tentaient désespérément de trouver des victimes qu'ils feraient boire sans scrupules.
Enfin, il y avait Gabin, qui mélangeait un peu toutes les personnes citées au-dessus et qui surtout, avait oublié qu'il m'avait amenée ici et que, de ce fait, il était un peu responsable de mon amusement. La fille au haut rouge ne le collait pas, et pour cause, lui-même était toujours dans les pattes d'une petite brune au corps de rêve et au sourire ravageur. Le genre de fille qu'on détestait et adorait en même temps, celle dont on ne savait pas si on la jalousait ou si on voulait coucher avec elle. Pendant toute la soirée, il lui a apporté ses verres, a dansé avec elle et a joué avec ses mains pendant qu'ils étaient assis dans un fauteuil. Ça paraissait anodin, mais quand on connaissait ce genre de fête, on savait que n'importe quel contact physique envoyait des messages.
Et puis, au milieu de tout ça, il y avait moi, qui mangeait des chips au vinaigre et faisait passer le goût avec mon mélange de soda et de vodka mal dosé. Je me suis demandée ce que je faisais là, je me suis interrogée sur la raison de ma venue. J'avais accepté pour Gabin, parce que j'avais un minuscule espoir que les choses pouvaient bien se passer, que cette soirée allait nous permettre d'aller au-delà des réunions de famille. J'avais été idiote. Je ne pouvais pas être pour Gabin autre chose que « cette fille qu'il voyait aux repas du dimanche », il avait sa vie à côté de moi, pendant ces très longues périodes de césure. Il avait ses amis, des filles sur lesquelles il flashait, des tas de relations autres que celle qu'il partageait avec moi.
Je crois qu'au moment où j'ai décidé de partir prendre l'air, le gars qui me draguait depuis une demi-heure me parlait toujours. Je l'ai laissé en plan, ai pris mon manteau et suis sortie, mon verre à la main, sentant que les larmes me montaient aux yeux.
La maison qui accueillait le réveillon se trouvait en plein quartier résidentiel. J'ai remonté la rue jusqu'à trouver un abri-bus où m'asseoir. Après avoir terminé mon verre, j'ai commencé à avoir froid, sans vouloir me réchauffer pour autant. Je me suis fait un peu plus de mal en regardant les réseaux sociaux de mes amies et toutes les photos qu'elles postaient. Il n'était pas encore minuit, je pouvais toujours appeler ma sœur ou ma mère pour que l'une vienne me chercher. Pourtant, je suis restée immobile, les mains dans les poches, la tête contre la vitre. Pur moment d'introspection, c'était génial.
Minuit a sonné. Une nouvelle année venait de débuter, je n'avais pas fait de décompte alors que même ceux qui restaient seuls chez eux devant la télé avaient eu droit à celui de Patrick Sébastien. Une boule s'est formé dans ma gorge sèche.
Il y avait ce truc chiant avec moi qui s'appelait la sensibilité : je pleurais souvent, et pour pas grand-chose, je pleurais quand j'étais contrariée, énervée, si bien que les disputes n'avaient aucune crédibilité quand on criait sur la personne en sanglotant et saccadant ses phrases.
J'ai fondu en larmes. Comme ça. Parce que l'année 2016 avait débuté et j'étais seule dans un abri-bus.
Vous savez, on se fait toujours plein de films stupides quand on est adolescent. Mon film à moi, il avait été de m'imaginer qu'au décompte, Gabin m'aurait embrassé. On est baigné dans ces images surréalistes et romantiques, dans les histoires, avec des garçons drôles et attentionnés, qui font des trucs improbables à des moments inattendus. Spoiler : ils ne le font pas.
Dans les histoires, Gabin se serait miraculeusement rendu compte de mon absence, m'aurait cherchée partout avant de me retrouver dans cet abri-bus, de s'excuser et me faire des tas de promesses qu'il aurait tenues. Dans la réalité, j'ai appelé ma mère et pendant les vingt minutes qui ont suivi, personne ne s'est inquiété de ne plus me voir à la soirée. Ma mère est arrivée, je suis montée dans la voiture.
─ Je veux pas en parler, ai-je soufflé.
Elle a acquiescé et m'a ramené à la maison. C'était ma première gifle relationnelle de ma vie et elle venait de me faire comprendre pour de bon que Gabin et moi étions à jamais voués à se faire des blagues aux réunions de famille.
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