7 : La déprime de Noël du cousin de Gabin.


─ Gabin, m'a appelé à ma mère au rez-de-chaussée, il y a du monde, viens dire bonjour !

Je ne suis pas fait prier plus longtemps pour dévaler les escaliers à une vitesse record. Dans ma jolie chemise repassée pour l'occasion, je me suis présenté dans le salon décoré avec soin par mon père, ce fan incontesté de la période de Noël. Je me suis préparé à me jeter dans les bras de la personne en bas, et lorsque j'ai vu la famille d'Agathe en train de retirer ses chaussures, je n'ai pas pu m'empêcher de souffler.

─ Oh, c'est toi.

─ Ah bah ça fait plaisir ! s'est-elle exclamée.

─ Mais non, c'est sympa que tu sois là. J'attends juste quelqu'un d'autre.

─ De plus important que moi ?

─ De plus cool que toi, l'ai-je informée.

Elle n'a pas renchéri, désormais habituée. Il était presque incroyable de se dire qu'à peine salués, on parvenait déjà à être complice. Il avait fallu un certain temps – très précisément sept rencontres et quatre mois – pour que cesse tout malaise de retrouvailles. On avait passé un cap. Au vu de la lenteur où allaient les événements, je risquais de fonder une famille avant que notre relation amorce le prochain. Si c'était la tournure qu'Agathe voulait qu'on prenne, et très honnêtement, j'avais encore de nombreux doutes sur le propos.

Ensemble, on s'est avancé vers la grande table dressée pour la meilleure fête de l'année. J'ai nommé celle de la naissance du petit Jésus. Si le gars m'entend de là-haut, je tiens à le remercier de m'avoir fait passé les plus beaux moments de mon enfance, en particulier cette fois où grâce à lui, j'avais reçu un dinosaure radiocommandé. Je n'y joue plus, mais il trône toujours fièrement sur une de mes étagères.

Faisant le tour de la tablée pour scruter les places attribuées, Agathe et moi avons rapidement trouvé nos prénoms, à l'extrémité réservée aux enfants. Elle a tiré la carte placée près de l'assiette à sa droite, avant de rire.

─ T'as vu ? m'a-t-elle montré. Ce gars s'appelle Georges. Un moment, il faut dire aux parents que la mode des prénoms rétros, c'est pourri.

Je lui ai arraché l'étiquette des mains avant de la remettre à sa place.

─ Ton cousin s'appelle Augustin, mon cousin s'appelle Georges, c'est comme ça. Et il est beaucoup trop cool pour que je te laisse te moquer de son prénom.

─ Ah, a-t-elle compris, c'est à cause de lui que tu as été déçu de me voir ? Ça voudrait donc dire que ce soir, je vais me retrouver assise entre Gabin, et quelqu'un de pire que Gabin ?

─ Non, l'ai-je contredite, pas pire que Gabin, quand même pas. Mais disons qu'il m'a appris pas mal de choses, comme « Comment bien réussir sa fête d'anniversaire de dix-huit ans ».

Elle m'a interrogé du regard.

─ Je t'expliquerai, lui ai-je rassuré. C'était majestueux.

Les phares d'une voiture ont illuminé la fenêtre du salon et je me suis précipité pour voir si je reconnaissais le véhicule. Agathe a marché dans mes pas, visiblement amusée de me voir autant enthousiaste.

─ Ça va, s'il a plus de dix-huit ans, m'a-t-elle glissé pendant qu'on regardait à l'extérieur, pas de risques de le perdre dans un magasin celui-là.

─ Ouh là, ne tirons pas de conclusions hâtives, la soirée n'est pas terminée.

La portière a claqué, les pas ont fait crisser le gravillon, des coups ont résonné contre la porte. Ils ne se sont pas faits attendre et la seconde d'après, ma grand-mère, celle qui m'avait trouvé très beau au mariage de mon frère, mon cousin et ma tante sont entrés. En le voyant, j'ai levé les bras au ciel et il s'est précipité pour me donner une accolade de bourrin.

C'était simple de décortiquer ma relation avec mon cousin Georges. Nous étions le meilleur côté de sa famille. La sœur de ma mère, sa mère à lui donc, s'était mariée à ce vieux résidu d'aristocrate contre l'avis de mes grands-parents et avait coupé tous les ponts. Pendant de longues années, on n'avait eu aucun contact avec eux, ce qui expliquait que je connaissais mal mes autres cousins, plus âgés, déjà mariés et parents. Vers mes dix ans, ma tante a exprimé son ras-le-bol de vivre recluse, et a ravalé sa petite fierté, celle qui l'avait toujours empêché de nous rendre visite, participant pour la première fois aux fêtes de famille avec son mari et son plus jeune fils : Georges.

J'avais fumé ma première cigarette avec lui, et ça, ce n'était pas rien. Il m'avait appris la plupart des bonnes bêtises, prenant ainsi le rôle de mon grand-frère, qui avait toujours été trop sage à mon goût. J'avais mis des pétards sous des chaises, de la terre dans les chaussures de mon grand-père, des lombrics dans la soupe, tout ça sous sa direction. Il n'y aurait pas eu le Gabin d'aujourd'hui sans Georges, même si je veux bien croire que je suis devenu une plus grosse terreur qu'il ne l'aurait jamais pensé. Malheureusement, depuis qu'on était tous les deux rentrer dans l'adolescence : je ne le voyais pas souvent, il était baladé entre la Normandie et La Rochelle et ne revenait que rarement à Brest. Alors quand on se retrouvait, c'était la fête à la maison, la réunion d'un duo parfait : lui le cerveau rebelle, moi le fauteur de trouble sans peur et sans reproche.

Nous avons fini par nous détaché, il a tapoté mes joues.

─ T'as pris de la barbe, m'a-t-il fait remarquer.

─ Pas toi.

─ Merci, je sais, je complexe dessus tous les jours.

Il s'est tourné vers Agathe pour lui faire la bise avant de m'interroger du regard pour savoir qui elle était, se voulant sûrement discret. Puisqu'elle était loin d'être stupide – malgré toutes les facilités qu'il y aurait eu pour moi à lui rendre la vie dure dans le cas contraire – elle s'est présentée d'elle-même.

─ Agathe, je suis... ouais, c'est compliqué, je suis la personne à côté de qui tu vas être assis pendant le repas. C'est plus simple.

Il a acquiescé et en attendant que l'apéritif commence, on s'est installé sur le canapé. Georges et moi avons rapidement fait un résumé de nos vies des derniers mois, sur la famille, les études et tout ce genre de discussions basiques. Il était en médecine – vous voyez, j'avais raison, j'écoute quand ma mère me parle – et venait de terminer les examens déterminants. Sans trop vouloir le dire, il m'a glissé maladroitement que ça s'était mal passé, et qu'il était inquiet pour l'avenir et le second semestre. Mes tentatives pour le rassurer se sont révélées bien vaines : je n'avais même pas mon bac, les études supérieures, c'était encore trop loin pour moi.

J'ai senti Agathe un peu à l'écart, sur son téléphone, dans le fauteuil en face de nous. Elle ne savait pas où se mettre : en général, il n'y avait que nous deux, et des tonnes d'enfants insupportables. Pour la première fois, il y avait trois adolescents. Ça changeait tout. J'aurais bien voulu l'inclure dans notre duo, mais je n'ai pas trouvé le courage. De peur de paraître insistant, ou de montrer sans faire exprès à mon cousin qu'il y avait un truc entre nous – peu importe ce que ce truc était réellement. J'ai été lâche, pour résumer. J'ai préféré ne rien assumer et la laisser dans son coin. Bravo, Gabin.

Je me suis enfoncé dans le moelleux du fauteuil dans un soupir, et me suis imprégné de l'ambiance pour éviter de penser aux mauvais sentiments qui faisaient surface. Le salon sentait bon Noël, les lumières tamisées clignotaient de partout, et mon père avait poussé le vice en diffusant une playlist spécialement conclue pour l'occasion. Entre le brouhaha joyeux des conversations et la voix entraînante du chanteur de Jingle Bells, je me suis dit que la vie, malgré tout, était loin d'être terrible. Pendant que dans la cuisine, les adultes préparaient les tartines chaudes de foie gras, notre grand-mère s'est glissée dans notre dos et a agité devant nous de petites enveloppes, me ramenant immédiatement sur Terre.

─ Et surtout, ne dîtes rien à votre mère, a-t-elle chuchoté en riant.

Georges et moi nous sommes regardés, et discrètement, j'ai jeté un coup d'œil à l'intérieur de l'enveloppe : il y avait quatre-vingts euros. Mon cousin a aussitôt tendu l'argent à ma grand-mère :

─ Mamie, garde-le, j'ai pas besoin de sous, je te jure.

─ Non, non, s'est-elle énervée en rejetant l'enveloppe avec sa main, tu le prends. Allez, tu l'utiliseras pour acheter un cadeau de Noël à ton petit copain. C'est toujours ton petit copain ? J'espère hein, il était très beau. Mais je peux pas savoir, n'est-ce pas, puisque tu ne m'appelles jamais !

Georges a paru mal à l'aise, s'excusant et promettant de téléphoner plus souvent, et s'est résolu à glisser l'enveloppe dans la poche intérieure de sa veste. Ma grand-mère a fini par nous laisser, préférant aller embêter ses filles et leur demander quand est-ce qu'on passait à table. Georges a toussoté, gêné, et lorsqu'il a levé les yeux sur moi qui le dévisageait, il a lancé :

─ Quoi ?

─ Ça va ? T'as carrément flippé quand elle t'a parlé de ton copain. T'es toujours avec lui ? Enfin, si c'est celui auquel je pense, que t'as embrassé à ton anniversaire.

─ Ouais, m'a-t-il assuré, ouais on est toujours ensemble, t'inquiète.

Sur ces mots, il s'est levé, prétextant avoir besoin d'aller aux toilettes. Je suis resté seul sur le canapé. En face de moi, Agathe a levé le regard de l'écran de son portable, secouant la tête.

─ Si tu veux mon avis, il s'est fait larguer récemment.

─ Tu penses ? me suis-je étonné.

─ T'as vu sa réaction ? Personne ne se braque quand tout se passe bien. Si tu veux, je peux essayer de lui parler pendant le repas.

─ Pourquoi toi ? Je peux très bien le faire, moi.

─ Gabin, Gabin, a-t-elle soupiré, ne le prends pas mal, mais si je venais de me faire larguer... eh bien, c'est pas vers toi que je me tournerais. Tu n'es pas très... diplomate.

─ Moi ? me suis-je insurgé. N'importe quoi, je suis diplomate, je suis super diplomate. J'ai eu plein de diplômes dans vie : mon brevet, mon diplôme de secouriste, mes deux ASSR...

Elle m'a fixé.

─ Tu sais pas ce que veut dire diplomate, a-t-elle affirmé.

─ Non.

Agathe a étouffé un léger rire avant de quitter le salon à son tour. Ma mère venait de nous appeler pour passer à table, nous nous sommes installés. Derrière nous, se trouvait le sapin alléchant et débordant de cadeaux. C'était tout bonnement frustrant de savoir que les gros paquets étaient pour la plupart pour les petits enfants. Lorsqu'on grandissait, on recevait des tee-shirts et du parfum, emballés dans des petites boîtes, ce qui enlevait beaucoup de magie à Noël. Ils devraient faire des bouteilles de parfums dans un gros carton, rien que pour le plaisir de voir un immense paquet avec son prénom dessus.

Georges a fini par nous rejoindre et si on faisait bien attention, on pouvait remarquer qu'il s'était passé de l'eau sur le visage. Agathe m'a lancé le regard qui signifiait « Tu vois » et j'ai commencé à me dire qu'en effet, quelque chose n'allait pas. C'était l'horreur. Bon, déjà, pour lui, parce que s'il s'était fait larguer, ça devait être difficile émotionnellement, mais aussi pour moi ! Mon cousin était souvent la seule chose qui m'aidait à tenir les longs repas de fêtes, s'il déprimait, l'ennui allait être total.

Les premiers petits fours ont été placés sur la table et tout le monde a commencé à les picorer en parlant de la cousine Simonie qui venait d'accoucher. De leur côté, Agathe et Georges avait entamé une conversation dont ils m'avaient exclu sans faire exprès. Agathe me tournait le dos et j'étais donc dans l'incapacité d'entendre ce qu'il se disait. J'ai fini l'assiette de petits fours en attendant.

Au moment de la pause entre l'apéritif et le foie gras, Georges s'est levé pour aller fumer une cigarette, chose qu'il ne faisait plus depuis ses quinze ans, si mes souvenirs étaient bons. Agathe s'est retournée vers moi, je l'ai fixée avec insistance, attendant des informations. Elle a secoué la tête.

─ Il est au bord du gouffre, là, a-t-elle déclaré.

─ Quoi ? ai-je manqué de m'étouffer.

─ C'est une manière de parler, c'est pour dire qu'il a pas du tout le moral.

─ Merci, j'avais compris. Mais il s'est fait larguer ou il s'est pas fait larguer ?

Elle est restée un moment en silence et à la vue de son air dépité, je m'attendais à une énorme bombe, du genre : le gars était mort ou porté disparu.

─ Je sais pas, a-t-elle finalement avoué.

J'ai soupiré, déçu ; elle n'était vraiment pas douée dans son boulot. Je me suis levé de ma chaise, ai contourné les enfants qui, désespérant d'attendre l'heure des cadeaux, jouaient sur le carrelage avec leurs doudous et suis sorti sur la terrasse pour le rejoindre. Georges était adossé contre un mur, faisant défiler son fil d'actualité Facebook. Il a levé la tête en m'apercevant, portant la cigarette à sa bouche.

─ J'aime bien ta chemise, a-t-il complimenté.

Il voulait détourner le sujet, mais je n'étais pas comme ça. On ne détournait pas le sujet avec moi, sauf quand ça concernait un baiser dans un placard, là, on pouvait prendre tous les virages possibles. J'ai croisé les bras, et l'ai confronté :

─ Tu t'es fait larguer ou pas ?

Son visage n'a montré aucune expression, il a fait tomber les cendres de sa cigarette puis a soufflé.

─ Non.

─ Bah alors ? me suis-je étonné. Pourquoi tu te comportes comme si ça faisait trois jours qu'il ne répond plus à ses messages ?

─ Pourquoi ? Je sais pas, peut-être parce qu'il est parti se terrer au Pérou depuis quatre mois ! Le Pérou, Gabin. Le Pérou, le pays des lamas.

J'ai haussé les sourcils, perplexe face à cette révélation. La dernière fois que j'avais vu le gars, il ne m'avait pas paru du genre hippie sans chaussures qui prenait un billet aller sans retour pour le Pérou. J'ai essayé d'avoir un peu plus d'informations et alors qu'il m'expliquait que son petit ami avait tout quitté pour « se trouver » parmi les alpagas, la solution à son problème m'est venu limpide à l'esprit ;

─ Mais pourquoi tu vas pas le rejoindre ?

─ Hein ? a-t-il dit, confus.

─ Bah, oui. Bon, tu penses avoir loupé ton année, c'est peut-être normal, déjà la médecine ça a l'air d'être la mort, mais en plus tu peux pas être concentré sur tes études si tu t'inquiètes toujours de quelqu'un qui se trouve à l'autre bout du monde. Ça veut dire que tu vas peut-être rien faire jusqu'à septembre prochain, sauf si t'es motivé pour te réorienter et je pense que tu l'es pas. Sans vouloir t'offenser. Ensuite, c'est pas comme si tu manquais d'argent. T'as voulu refuser les étrennes de Mamie. Personne dans ce monde refuse des étrennes ! Alors pourquoi tu restes là ? Tu prends le premier avion pour le Guatemala...

─ Le Pérou, m'a-t-il corrigé.

─ Le premier avion pour les alpagas, ai-je repris, et tu restes là-bas avec lui jusqu'à ce qu'il rentre. C'est tellement simple, je comprends pas pourquoi tu n'y as pas pensé avant.

Il en avait oublié son téléphone, sa cigarette et peut-être même tout autour de lui. Il m'a fixé comme si j'étais un ange venu lui faire la Révélation de la prochaine grande religion. Georges est revenu à la réalité après quelques secondes.

─ Je crois que c'est la première fois que je t'entends dire quelque chose qui n'est pas idiot ou beauf.

─ D'accord, me suis-je agacé, il va falloir arrêter d'associer Gabin à l'adjectif « beauf », c'est très dégradant pour mon image.

─ Il faut que j'en parle à ma mère, s'est-il soudain agité. Est-ce que tu penses que je dois appeler Priam ? Ou lui faire une surprise ?

Sur ces derniers mots, il a disparu à l'intérieur de la maison, se précipitant dans le dos de sa mère pour l'écarter du repas et lui parler sérieusement. Je n'ai pas eu le temps de le suivre : Agathe est sortie à son tour.

─ Je crois qu'on vient de faire une bonne action, ai-je déclaré. On est une bonne équipe.

Elle m'a souri avant de me forcer à entrer pour pas que je n'attrape froid. C'était gentil de sa part.


Pendant tout le reste du repas, je n'ai pas pu parler plus à Georges. Cette fois-ci en revanche, ce n'était pas à cause d'une déprime profonde qui l'enfermait dans un mutisme, mais parce qu'il était parti loin dans l'idée que je lui avais soufflé, fouillant les comparateurs de prix sur Internet et les vols disponibles pour le Pérou. Avec un sourire bienveillant, Agathe et moi l'avons observé de loin, préférant le laisser tranquille. J'ai décidé de ne pas faire mon égoïste, et ai sacrifié une super soirée avec mon cousin préféré. Heureusement, il y avait une autre personne toute aussi agréable pour m'occuper jusqu'à minuit. Agathe et moi avons patienté ensemble entre les plats, et sans trop savoir comment, nous nous sommes retrouvés à faire un tour sur son Tinder pour juger la tête des garçons.

─ Lui il te plaît ? ai-je dit en fronçant les sourcils. Mais regarde, il a aucun charisme, c'est juste une photo de lui en noir et blanc.

─ Mais c'est bien, la simplicité, ça a plus de charme que vos photos de profil avec un bob de pêche.

─ Il est très bien mon bob, me suis-je défendu.

─ Tu portes un bob sur ta photo de profil et après tu râles « Gneu gneu, je suis pas un beauf ».

─ Elle a raison, a appuyé Georges sans quitter des yeux son téléphone.

─ J'ai raison, a répété Agathe, bon, allez lui je like. Ah, ça a matché. Regarde, ça a matché, ça a matché.

Elle a agité son téléphone sous mon nez, fière de plaire également à ce garçon insipide et qui voulait se donner des airs de philosophe profond avec son filtre noir et blanc. Dans un geste vif et brusque, je lui ai arraché son portable des mains, avant de le glisser dans ma poche arrière de pantalon.

─ Allez, confisqué, plus de matchs. Comme c'est dommage !

─ Gabin ! a-t-elle râlé. Fais pas ton gamin, rends-le moi.

─ Tu le veux, tu viens le chercher, l'ai-je taquiné.

─ Sachant les mésaventures que j'ai déjà subi avec ton corps, je n'aurais aucun scrupule à toucher tes fesses, Gabin, je te préviens.

Je me suis raidi. C'était la toute première allusion que l'un de nous deux faisait au baiser. Elle n'avait peut-être pas réalisé la bombe qu'elle venait de lâcher, ou bien elle en avait pleinement conscience, et dans ce cas, je ne sais pas à quel jeu elle s'adonnait. Je suis resté crispé, un poids sur la poitrine, jusqu'à ce que Georges parvienne à détendre l'atmosphère. Il s'est levé en chantonnant.

─ OK, moi je vais m'éloigner, je préfère rien savoir.

Agathe et moi nous sommes dévisagés un instant, un quart de seconde, peut-être moins, et une étincelle est passée dans nos yeux. À peine décelable, mais bien présente, une petite flamme qui venait tous les deux nous rappeler que, oui, ça avait bien eu lieu, même si on faisait semblant du contraire depuis des semaines. J'ai d'abord cru que tout ce qui allait découler de cet instant serait différent, qu'on passait à cette étape suivante fatidique. Je me suis trompé. Ça n'a rien changé, car aussitôt après ce minuscule moment de flottement, Agathe abandonnait tout et revenait à la charge pour téléphone, comme si de rien n'était.

On s'est battu un peu jusqu'à ce que nos parents nous demandent de bien nous tenir. Agathe a soupiré et m'a fait la gueule pendant quelques minutes – ou du moins m'a fait croire qu'elle la faisait. J'ai fini par lui rendre son téléphone, après avoir supprimé l'application. Réaction puérile, mais qui avait eu le mérite de me soulager.

Entre le plat et le dessert, minuit a sonné. Comme les enfants étaient soient trop âgés pour croire encore au Père Noël ou trop petits pour en comprendre le principe, personne n'est monté dans la chambre et chacun a attendu patiemment qu'on fasse la distribution des cadeaux. Le soir, je ne recevais que ceux offerts par ma famille, ma mère réservait les siens pour le lendemain : dédoublement de tradition pour deux fois plus de joie. Mes paquets ont alterné entre tee-shirts, parfums et livres sur les chevaliers ; depuis l'obsession que j'avais eu à l'âge de huit ans, j'en recevais au moins un par an.

On a déposé devant moi un dernier cadeau, j'ai froncé les sourcils. Si on faisait le décompte, tous les paquets de ma famille étaient déjà passés : celui de ma grand-mère, de ma tante, de mon autre tante et d'Olivier. Instinctivement, je me suis tourné vers Agathe qui me regardait avec un sourire amusé.

─ C'est de toi ? lui ai-je demandé.

─ Peut-être, a-t-elle feint.

─ Mais non... ai-je chuchoté. Arrête, c'est super gênant, moi, je t'ai rien offert !

─ C'est pas grave, je m'attendais pas à ce que tu m'offres quelque chose. Vas-y ouvre.

Je suis resté face au cadeau, mal à l'aise comme jamais. J'ai fini par secouer la tête et ai poussé le paquet.

─ Non, je peux pas. Écoute, je l'ouvrirai la prochaine fois qu'on se verra et cette fois-là, j'aurai un cadeau en échange.

─ Gabin, ça se trouve on ne va pas se voir avant Pâques, ouvre-le, je m'en fiche de la réciprocité.

─ Non, non. Tu fais quoi pour le Nouvel-An ?

Elle a haussé les épaules.

─ D'accord, eh bien le rendez-vous est pris, on fait le Nouvel-An ensemble et on ouvrira les cadeaux à ce moment.

Agathe a fini par accepter, déçue de ne pas connaître ma réaction en découvrant ce qui se trouvait à l'intérieur du papier cadeau. Je suis monté dans ma chambre pour ranger soigneusement le paquet dans un coin, à la fois coupable de ne pas avoir pensé à elle pour Noël mais heureux de la perspective du Nouvel-An avec elle : j'allais l'emmener à la soirée d'un de mes amis, et on verrait bien si face à eux, elle me trouverait toujours « beauf ». 

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