12 : Le mardi gras, un samedi, d'Agathe.


La dernière fois qu'on s'était retrouvés tous les deux dans cette cuisine, des cheveux avaient été maculés de chantilly, de la farine avait infiltré des vêtements, et des yeux étaient devenus rouges à cause d'une sauce barbecue lancée avec passion. Cette fois, tout était bien plus calme. Assise sur le plan de travail, les pieds dans le vide, je regardais mon téléphone pendant que Gabin faisait des crêpes. Il s'était trouvé une passion récente pour la pâtisserie, et faisait plein d'essais culinaires, que j'étais obligée de goûter.

En tombant sur une photo sur Instagram, une pensée m'a traversé l'esprit.

─ On sait pas ce qu'il est devenu, ton cousin, lui ai-je rappelé.

─ Bien sûr que si. Il est parti au Pérou après Noël. Ma tante a prévu d'aller le rejoindre à la fin mars.

─ C'est une bien belle histoire, quand même, ai-je commenté. Faire des milliers de kilomètres pour retrouver l'amour.

Il m'a fixé.

─ Tu penses qu'on a une belle histoire ? m'a-t-il demandé sérieusement.

J'ai souri.

─ Mais oui. On a dansé sur du K-Maro, fait des batailles de nourriture, perdu des gosses dans les magasins, et j'ai même essuyé ta morve. C'est une très belle histoire.

Il a repris la cuisson de ses crêpes, un rictus béat sur le visage. Je l'ai observé. Ses traits, ses yeux, ce grain de beauté qu'il avait dans le cou.

En réalité, Gabin n'était pas si canon que ça, loin de correspondre aux garçons de dix-sept ans – qui en avaient en réalité vingt-cinq – qu'on nous présentaient à la télévision, ou même sur les couvertures des livres pour adolescents. Non. Ses joues étaient bien garnies, peu sculptées, il avait toujours des énormes poches sous les yeux, même en ayant dormi douze heures trois jours d'affilée. Ses iris ne variaient jamais, d'un brun profond peu importe la lumière ou le temps, jurant avec son teint pâle de joueur de jeux vidéos reclus, qui lui même contrastait avec le mien, beaucoup plus foncé. En fait, Gabin, il avait le physique de ce gars qu'on croisait au supermarché, entouré de ses potes, à acheter de la bière. Pas dégueu, mais pas ouf non plus. Il n'aurait pas été le personnage principal d'un roman. Il aurait été le meilleur ami de ce héros. Drôle, pas très malin, un peu trop bourru. Dans un autre contexte : en marchant dans la rue, dans une foule de festival, eh bien, je ne me serais certainement pas retournée sur lui.

Et pourtant, à ce jour, lorsque je l'avais en face de moi, je n'avais qu'une envie : attraper tout son visage, et tout embrasser tellement je trouvais chaque recoin de sa peau adorable. Ce n'était pas un mythe, l'amour rendait beau.

Sans transition, je lui ai annoncé.

─ Il y a ce gars dans ma classe qui m'a invitée à une fête ce soir. Il était en train de me draguer lourdement, donc j'ai dû sortir la carte « Je suis en couple ». Donc voilà, toi aussi tu es invité.

─ Ah ouais ? s'est étonné Gabin comme si c'était étrange que je le présente comme mon petit ami. Il s'appelle comment ?

─ Gaston.

Gabin a haussé les sourcils, et j'ai d'abord pensé que c'était à cause du prénom. Je veux dire, qui donne ce genre de prénom à son gosse ? À moins de ne pas l'avoir voulu, ou de chercher à lui pourrir sa rentrée en sixième. Il suffisait que le gamin soit un peu maladroit, et c'était toute sa scolarité qui était foutue en l'air avec un mauvais surnom lui collant à la peau. Mais à ma plus grande surprise, Gabin a répondu :

─ Thomas ? Gaston Thomas ?

J'ai haussé les épaules, n'ayant pas retenu son nom de famille.

─ Peut-être. Tu le connais ?

─ Vite fait, a-t-il avoué.

Sur ce ton mystérieux, il a continué ses crêpes, mettant une dose astronomique de beurre dans sa poêle avant de verser la pâte. J'ai regardé avec un certain dégoût les galettes qui transpirait de gras. Et malgré ça, il a badigeonné la sienne de pâte à tartiner avant de l'engloutir en deux bouchées, se maculant la bouche au passage, et s'essuyant avec la manche de son pull blanc.

C'était bien lui, mon petit ami.


Allez savoir pourquoi, mais Gabin a tenu à emmener ses crêpes à la fête. C'était la première fois qu'il réussissait à cuisiner autre chose que des pâtes au ketchup, alors il voulait montrer à tout le monde que c'était lui qui les avait fait. Je me suis préparée avec une certaine appréhension, je ne gardais pas un bon souvenir de la dernière fois où j'étais partie en soirée avec Gabin. J'avais un peu peur qu'une autre catastrophe survienne pendant la nuit, et brise la complicité parfaite qu'on partageait depuis une semaine. Il n'y avait pas de raison, mais tout de même... un mauvais pressentiment me tiraillait.

Lorsqu'on est arrivé, on est entré sans frapper. Il était 23 heures, on avait eu ordre de ne pas se pointer avant, car comme mon super camarade de classe m'avait précisé « Eh, oh, on n'est pas des campagnards ! » En montrant le message à Gabin, il s'était tout de suite vexé, prenant la remarque à cœur. J'avais à peine entendu quelques ronchonnements comme quoi, quand on savait s'amuser, on commençait la fête dès 18 heures. Je lui avais donné raison, et ça avait semblé le calmer. Cette réaction de gros bébé m'aurait énervé si ça avait été n'importe qui d'autre, mais pas Gabin. Avec Gabin, c'était différent, plus rien ne m'agaçait chez lui, même ce qui avait le don de me mettre en rogne avant qu'on soit en couple ne me m'embêtait plus le moins du monde.

Désolée si je précise trop souvent que Gabin et moi, on est ensemble. J'ai encore un peu de mal à l'assimiler. Par exemple, là, tout de suite, je pourrais me pencher sur lui, et l'embrasser, et personne ne trouverait ça étrange. C'est difficile à concevoir dans les premiers temps.

En pénétrant dans le salon, j'ai aperçu un visage vaguement familier, sur lequel j'étais incapable de mettre un prénom. C'était un garçon, assis dans le canapé avec un paquet de chips au vinaigre. Il ne bougeait pas, ne parlait pas. Il mangeait ses chips, et observait les gens.

─ C'est pas ton pote ? ai-je demandé à Gabin.

─ Ah, si c'est Loïc. T'inquiète, il fait tout le temps ça. Il va à toutes les soirées qu'il peut, et il reste dans son coin toute la nuit. On l'adore.

Attends, je vais lui proposer des crêpes.

─ Gabin, attends ! Ne me laisse pas toute seule.

Il a froncé les sourcils.

─ Eh, mais c'est tes amis, pourtant ?

Et dans un sourire malin, il m'a laissée en plan au milieu du salon. J'ai commencé à revoir le sens de mon existence. Je n'étais pas faite pour les soirées en général, j'étais mal à l'aise, et je ne buvais pas d'alcool à cause du goût. Je ne me souvenais même pas pourquoi j'avais accepté. Ah si, pour faire plaisir à mon copain, parce que les fêtes, c'était son dada. Je lui laissais encore une heure avant qu'il ne monte sur une table pour chanter Les Bourgeois de Jacques Brel. J'espère simplement qu'il ne sera pas trop dans le personnage et les paroles, et qu'il ne montrera pas son cul et ses bonnes manières.

J'ai senti qu'on m'attrapait les épaules.

─ Ah, c'est cool que tu sois venue, a lancé Gaston, sorti de nulle part. Parce que j'ai été très vexé que tu sois pas là pour le 31 décembre. Tu m'as beaucoup manqué.

J'ai levé les yeux au ciel, il en faisait toujours des tonnes, ce gars-là.

─ Bon, ton copain, vous avez conclu ? Au lit, je veux dire.

─ Hein ? me suis-je offusquée.

─ Attends, on est super potes maintenant. Tu peux me le dire si t'es satisfaite. Et si tu l'es pas... enfin, tu vois, on peut s'arranger.

Je suis devenue cramoisie. Gaston n'était pas un ami, pas même un « pote ». C'était un gars de ma classe un peu trop dévergondé qui avait pour objectif de « profiter de sa jeunesse ». Ce qui signifiait pour lui sortir avec le plus de filles que possible. Il y arrivait, en plus de ça, malgré ses dents trop en avant et ses cheveux trop longs, et les petites secondes naïves autour de qui il tournait gloussaient dès qu'il leur faisait un compliment déplacé. Il n'était pas méchant, mis à part ça, c'était bien pour ça que j'avais accepté son invitation. Il savait mettre une bonne ambiance.

─ Salut, Thomas, nous a interrompu une voix, tu veux une crêpe ?

Je me suis tournée pour voir Gabin à mes côtés. Il a fixé le mec en face de nous, lui tendant l'assiette de crêpes. Un instant, j'ai cru voir entre eux deux une sorte de rivalité – ou une tension sexuelle, peut-être, les deux étant très proches, en général. Gaston, dans sa désinvolture habituelle, a pris cinq crêpes à la suite, les enroulant pour les faire toute tenir dans sa main.

─ Bon, Gabin, ça va pas du tout, là. Ta copine n'est pas satisfaite au lit, est-ce que tu veux mes conseils ? Tu veux que je te montre ?

─ Quoi ? a rigolé Gabin. T'es en train de me proposer de coucher avec toi ?

Gaston s'est raidi, une crêpe dans la bouche.

─ C'est ça, c'est ça. Joue au plus malin.

Avant de partir, il s'est penché vers moi pour me dire à voix basse.

─ Toi et moi, pendant la soirée, faudra qu'on parle.

Gabin – qui avait tout entendu – et moi nous sommes regardés, perplexes. D'un signe de tête, il m'a indiqué de ne pas m'en préoccuper. Il a fini par poser son assiette de crêpes encore faramineuse, et est resté avec moi, cette fois-ci, ayant terminé de faire le tour de l'assemblée. Gabin m'a attiré à lui pour me prendre dans ses bras, je suis d'abord restée très droite. Lui ne semblait avoir aucun mal à afficher ses sentiments en public, à balancer notre relation au visage de tout le monde. Moi, d'un naturel beaucoup plus réservée, je n'étais pas à l'aise, surtout pas au bout d'une petite semaine. Je me suis laissée attraper, prête à faire des efforts.

En riant, il m'a expliqué que son objectif de la soirée, c'était de me faire boire, pour que je cite, « j'apprenne à m'amuser », et que je me détende. Je ne voyais pas en quoi se bourrer la gueule, c'était s'amuser, mais soit. On accepte des trucs complètement débiles quand on est jeunes et amoureux, j'imagine. Je l'ai laissé me servir un verre, et en voyant la dose d'alcool qu'il me versait, j'ai halluciné.

─ Arrête, tu veux me tuer ! J'ai jamais bu, je connais pas ma limite.

─ C'est simple, m'a-t-il assuré, au moment où tu te dis qu'enlever tes vêtements pourrait être une bonne idée, c'est que tu as sûrement atteint ta limite. Je parle d'expérience.

J'ai levé les yeux au ciel avant de me saisir du verre. La première gorgée était dégoûtante, j'ai rajouté du soda pour la faire passer. J'ai eu beau faire un effort monumental, le goût ne passait pas. Gabin m'observait siroter ma boisson dans un sourire.

─ Eh, me suis-je offusquée, pourquoi tu as les mains vides, toi ? Accompagnes-moi, c'est ton rôle en tant que copain.

─ Non, pour le moment, je vais rester sobre.

─ Pourquoi ? l'ai-je interrogée.

─ Crois-moi, ça vaut mieux pour toi.

J'ai fini mon premier verre, et je m'en suis resservie un avec plus de soda. C'était meilleur. Le troisième, j'ai mal dosé, mais je l'ai quand même bu, sans trop savoir pourquoi. Et après, Gaston m'a piégée dans un concours de shots, et Gabin, ce gros ingrat, ne m'a pas stoppée. Ensuite, il y a eu un moment flou, où je crois que j'ai beaucoup crié, et couru dans le jardin sans manteau, ce qui, après coup, était totalement irresponsable en cette fin de février toujours glaciale. Mais je crois que la Agathe de cette soirée s'en fichait pas mal du temps, elle avait juste envie de courir dans le jardin.

À un moment, je me souviens être rentrée, et avoir aperçu Gabin sur un canapé, en train de parler à son super pote Loïc. J'ai voulu le rejoindre, mais quelqu'un m'a saisi pour me dévier de ma trajectoire. Soudain, je me suis retrouvée dans la cuisine vide, face à un Gaston qui mangeait un yaourt. Ma première réaction a été de froncer les sourcils devant le pot blanc.

─ Tu manges un yaourt ? me suis-je étonnée.

─ C'est pour les protéines, a-t-il expliqué, mais ça n'a fait aucun sens dans mon esprit brumeux. Bon, ma petite Agathe, il faut qu'on discute, toi et moi.

Il s'est assis à moitié sur le plan de travail de chez lui, toujours avec son yaourt. La manière qu'il avait de porter sa cuillère à sa bouche et de parler la bouche pleine m'a hypnotisé. J'étais complètement soûle, en train de fixer un gars qui grignotait un yaourt à 3 heures du matin. On aurait dû me filmer. Gaston a continué.

─ Quand tu m'as dit que t'avais un copain, je me suis dit : « Très bien, elle a pas encore pris conscience que j'étais là. » Tu vois, on fait tous des erreurs dans la vie. Mais tu m'avais pas dit que c'était Gabin Schneider.

J'ai haussé les épaules.

─ Pourquoi je te l'aurais dit, tu connaissais même pas nom avant la semaine dernière. Tu m'as appelé Marguerite quand tu voulais m'emprunter mon cours d'éco.

En temps normal, je n'aurais probablement jamais été aussi cash, surtout pas envers quelqu'un d'aussi intimidant que le grand Gaston Thomas. L'alcool me désinhibait, et faisait sauter tous les filtres que je posais d'habitude.

─ C'était pour rire, a-t-il affirmé, même si j'avais du mal à le croire. Plus sérieusement, fais attention avec Gabin. Genre... je sais qu'on n'est pas amis ou un truc comme ça, mais ça me ferait mal qu'il te brise le cœur.

Je n'ai pas réagi sur le coup, ne comprenant rien à ce qu'il voulait me dire. Je croyais que Gabin et lui ne se connaissaient que « vite fait ». Pourquoi me parlait-il de mon copain comme s'il était le grand méchant loup des contes de fées, et pas le prince charmant que j'avais imaginé ? Soudain, alors que cette conversation me désintéressait totalement jusque là, j'ai voulu plus de détail. J'ai même senti que les nombreux verres dans mon sang perdaient un peu de leur effet, je suis redevenu alerte du monde extérieur. J'ai demandé à Gaston.

─ Qu'est-ce que tu veux dire ? Tu penses qu'il va me tromper ?

Je n'aurais jamais osé y songer. Pas Gabin. Gabin qui semblait toujours droit dans ses pompes, à qui l'on attribuait le statut de célibataire endurci. On aurait pu me mentir ? Non, non, non...

─ Carrément pas ! a tout de suite réfuté Gaston. Mais... tu vois, Gabin, moi, je le connais depuis qu'on est gosses. Il est solitaire, même s'il fait croire le contraire à tout le monde. Un truc de mauvais dans sa vie, et il repousse tout son entourage. Il m'a déjà fait le coup, il peut te faire la même. Tu crois que t'es une part importante de son existence, et bam, il te jette comme une chaussette trouée. Juste parce qu'il veut être seul.

J'ai secoué la tête. Dans un autre moment, j'aurais ressassé ses paroles obsessionnellement, je les aurais décortiquées de long en large, je m'en serais rongée les sangs, terrorisée par l'éventualité du « Et si ? ». Et s'il avait raison ? Mais là, Dieu merci, j'étais trop soûle pour m'en inquiéter. Les mots de Gaston sont rentrées par une oreille pour en ressortir aussitôt de l'autre côté. J'ai explosé de rire.

─ Tu me fais marcher, c'est ça ?

─ Non, je... l'ai-je entendu essayer de se défendre, mais je l'ai coupé avant qu'il ne termine.

─ Bon, il me faut un verre.

Je suis donc sortie de la cuisine, pour me diriger vers la table qui servait de buffet, où les bouteilles avaient perdu en volume depuis le début de la soirée, et où les gobelets vides s'accumulaient parce qu'aucun d'entre nous n'était capable de retrouver son verre quand il voulait se resservir. J'ai fait le tour du salon du regard. Gabin n'avait pas bougé, toujours en train de discuter avec Loïc. Je me sentais légère, j'avais l'impression qu'il s'était écoulé une éternité depuis la dernière fois où je l'avais vu.

Je l'ai rejoint, m'affalant sur ses genoux. Il a étouffé un cri sous mon poids.

─ Ça, c'est parce qu'à chaque fois que je te vois, c'est pour manger, lui ai-je dit. J'ai pris deux kilos depuis que je te connais, Gabin, deux kilos. Oh, ouah, tes cheveux sont trop bien.

Oubliant rapidement ma première remarque, j'ai mis mes mains sur sa tête, et ai pétri sa chevelure. Il s'est laissé faire en rigolant.

─ Tu es très bourrée, Agathe, m'a-t-il informée.

─ Oui, mais j'ai pas encore envie d'enlever mes vêtements. Enfin, pas en public.

Et sur cette phrase, j'ai pris son visage pour l'embrasser.

─ Tu sais pourquoi je n'ai pas bu ? m'a-t-il demandé.

J'ai secoué la tête, collant ma joue contre la sienne, mes mains toujours dans ses cheveux. Gabin était si doux, j'aurais pu rester toute ma vie sur ses genoux, à le palper.

─ Il fallait que je sache quel genre de personne soûle tu es. Tu sais ce que tu es, Agathe ? Tu es une bourrée amoureuse.

─ Je t'aime, ai-je soufflé, ayant à moitié compris ce qu'il venait de dire.

─ Je dois t'avouer que je m'en doutais. En général, les filles qui rembarrent le plus les mecs sont des bourrés amoureuses.

─ Tu te souviens quand on était dans le placard, et que tu as eu une érection ? C'était drôle. Et quand tu es venu me voir au mariage en me demandant de coucher avec toi ? Gabin, on devrait coucher ensemble. Genre, maintenant.

─ OK, t'es vraiment, très, très bourrée.

─ Mais je t'aime ! ai-je tenté de me justifier. Et j'ai jamais couché avec un garçon avant, il faut bien que j'essaye. J'ai fait plein de trucs pour la première fois avec toi. J'ai chanté du Patrick Sébastien pour la première fois. J'ai mangé mexicain pour la première fois. Tu vois, plein de trucs. Donc je vais coucher pour la première fois avec toi aussi, c'est dans l'ordre des choses.

Sans vraiment réfléchir à l'endroit où on était, sans me préoccuper du fait qu'à côté, il y avait Loïc qui mangeait toujours ses chips au vinaigre, j'ai entrepris de déboutonner sa chemise. Il m'a attrapé les poignets pour m'empêcher de continuer.

─ Agathe, quand tu penses qu'enlever les vêtements des autres est une bonne idée, ça veut aussi dire que tu as atteint ta limite.

J'ai fait la moue.

─ T'es méchant, l'ai-je menacé avec le ton d'un enfant.

─ Allez viens, on va aller dehors regarder les étoiles.

─ Gabin, l'ai-je appelé en rigolant. T'es vraiment un mec de roman !

Il s'est levé, et comme j'étais sur ses genoux, il m'a emporté en passage, me déposant sur son épaule droite. Je me suis soudain retrouvée la tête en bas, avec une vue plongeante sur l'arrière de son jean.

─ Tu as des très jolies fesses, l'ai-je complimenté.

Il n'a pas répondu, mais j'imagine qu'il a souri. Il m'a transporté comme ça dans toute la maison, jusqu'à l'entrée. Ça commençait à brasser dans mon estomac, et à tourner autour de moi. Avant de passer la porte, Gabin s'est arrêté, et je me suis débattue pour comprendre ce qu'il se passait. J'ai brièvement aperçu une autre paire de jambes en face de lui. Il avait dû croiser quelqu'un qui s'était étonnée devant le tableau étrange.

Gabin est sorti dehors, pour me poser enfin au sol. Le monde est devenu très flou, les ombres des arbres ondulaient au clair de lune, et l'entrée de l'immeuble, en réalité juste devant moi me paraissait lointaine, très lointaine. Il a remarqué ma sorte d'absence, et m'a forcé à le regarder dans les yeux.

─ Agathe, tu te sens bien ? Pas envie de vomir ?

J'ai réfléchi.

─ Non.

Il a acquiescé, et m'a fait asseoir contre un mur, à même le trottoir. J'ai posé ma tête sur son épaule, et ensemble, on a fixé le ciel de nuit sans nuage. C'était apaisant comme moment, j'aurais pu m'endormir en toute sérénité. Gabin a pointé les étoiles.

─ Ça, tu vois, c'est la constellation du Cygne, m'a-t-il expliqué.

─ N'importe quoi, ai-je formulé d'une voix traînante, la constellation du Cygne n'est visible qu'en été. Peut-être que tu n'es pas un vrai mec de roman, en fait.

─ Comment tu sais ça ? s'est-il étonné.

J'ai haussé les épaules, ne me rappelant plus où j'avais entendu l'information. Je me suis niché un peu plus dans son cou. La rue était silencieuse, son corps était chaud. Je crois bien que c'était la première fois que je me sentais autant à ma place quelque part.

─ Gabin ? l'ai-je appelé.

─ Oui ?

─ Je suis bourrée.

Il a explosé de rire, avant de me prendre dans ses bras pour me serrer un peu plus contre lui.

─ J'ai bien vu.

─ Est-ce que tu vas me quitter parce que je suis bourrée ?

La question n'avait aucun sens, mais elle m'inquiétait réellement. Gabin a ri de nouveau, m'embrassant la joue au passage.

─ Non, Agathe, je ne te quitterai pas.

J'ai fermé les yeux, savourant l'instant à nouveau.

Gabin n'était pas mon premier petit ami. En seconde, j'étais sorti avec ce garçon pendant quelques mois. Tout le monde nous avait considéré comme « le » petit couple de la classe. Ça n'avait pas fonctionné, on était bien trop jeune pour vouloir s'engager sur le trop long terme. En soit, je n'étais pas plus vieille qu'avec mon ancien copain, et Gabin pouvait aussi avoir l'air d'une relation de découverte. Sauf que c'était différent, vraiment. Les gens demandaient toujours « Comment on sait qu'on est amoureux ? » Il y a plein de réponses qui reviennent souvent : on est rouge, on pense à l'autre, on a des papillons dans le ventre. Ces affirmations, en plus d'être niaises, elles sont totalement fausses. Il n'y a pas de symptômes à l'amour. On le sait. On repense aux anciennes relations, on regarde la nouvelle, et on le sait.

─ À quoi tu penses ? a interrogé Gabin en me voyant ailleurs.

─ J'ai encore envie de courir dans le jardin, ai-je annoncé.

Et sur cette décision soudaine, je me suis levé, et l'ai tiré pour le lever. Gabin a bien voulu m'accompagner, faisant une escale près des bouteilles avant, maintenant qu'il avait vu à quoi je ressemblais soûle. On s'est servi tous les deux, et on est parti dans le jardin. Pour tout vous avouer, j'ai un gros trou noir sur ce qu'il s'est passé après. Mais une chose est sûre : on n'a pas couché ensemble. 

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