2. Flashs
― Lenni ! Lenni ! Lenni ! répétèrent plusieurs voix dans l'effervescence qui les engloutissait.
― LENNI JE T'AIME ! hurla l'une d'entre elles de façon plus stridente.
Dès le seuil franchi, le froid la saisit, le brouhaha ambiant rugit de plus belle, et Louve oublia de penser durant un court instant. Elle eut vaguement le cœur qui remonta dans sa gorge, puis le sentit battre d'un coup comme des sabots au galop.
Malgré le tunnel de gardes du corps déployé à leurs abords, ils furent tout de suite secoués dans tous les sens, ballottés comme sur un radeau en pleine mer. La discrète débutante eut plusieurs fois peur de perdre l'équilibre, voire pire, de partir à la dérive.
Elle eut cependant l'agréable surprise de se rassurer de sa proximité avec Lenni, qui, et ce fut l'essentiel, lui offrait un espace plus conséquent que les autres. Encore qu'avec tous ces membres tendus vers leur trio, en quête de la meilleure photo à capturer de leur comédien adoré, en quelques pas, Louve ne fit plus réellement la distinction entre leur escorte submergée et la houle d'individus acharnés.
― Lenni ! se détacha une autre exclamation, tout près de l'oreille droite de la jeune femme, qui tentait désespérément de percer ce mur de chair, d'os, et de hurlements, afin de suivre Sophie et le sujet principal de tout ce chaos. Comment vous êtes-vous préparé pour ce rôle ? Pourquoi vous tenait-il tellement à cœur ?
― Que pouvez-vous nous dire sur votre relation avec votre partenaire à l'écran, Lenni ? interpella une énième sur le côté gauche cette fois. Comment s'est déroulé le tournage en sa compagnie ?
― Tu l'as vraiment baisée ?! fit brusquement écho une masculine au loin.
Louve fronça les sourcils. Elle s'attendait à des huées ou une quelconque réaction de la part de quelqu'un, n'importe qui, mais Lenni poursuivit son défilé comme si de rien n'était, comme s'il n'entendait rien de ce qu'il se criait à tout bout de champ. Il salua chaleureusement le monde qui bouillonnait partout autour de lui, jusqu'à finalement atteindre la portière d'une longue voiture noire et brillante comme de l'eau. Il s'interrompit alors, tout sourire, pivota de trois quarts, et d'un bras tendu avec assurance, céda le passage à son agent puis à sa récente assistante, avant de lui-même plonger à l'abri dans le véhicule.
Une fois dedans, la limousine était aussi basse de plafond qu'elle en avait l'air. Louve n'était pas spécialement grande mais elle eut tout de même le sentiment de devoir garder la tête baissée tant qu'elle se trouvait à l'intérieur. Avant qu'elle n'ait pu en prendre totalement conscience, le véhicule redémarra déjà pour se rendre sur la route principale et échapper à la foule qui ne tarissait pas.
Les fans et la presse mélangés, les alentours parurent envahis par un essaim bourdonnant d'abeilles qui tentait par tous les moyens de récupérer sa reine. Les coudes se livraient bataille pendant que certains commençaient à pousser de plus en plus furieusement. Des chocs sourds résonnaient parfois dans l'habitacle comme si une pluie battante martelait la carrosserie.
Un paparazzi fut même bousculé à plat ventre sur le capot arrière, mais en profita pour y caler son appareil et prendre de meilleurs clichés à travers le carreau embué. Lenni se rapetissa immédiatement, une main protégeant son visage renfrogné, quand Sophie se déplaça sur la banquette avant, juste derrière le conducteur, à qui elle fit signe d'accélérer de deux coups francs sur la petite trappe vitrée qui les isolait de lui.
Par reflexe, Louve boucla sa ceinture de sécurité, qu'elle mit plus de temps à dénicher qu'une habituée. Aussitôt, les regards se tournèrent vers elle.
― On n'a même pas cinq minutes de trajet, fit remarquer Lenni en sortant une mignonnette du minibar à sa droite, une fois hors de portée de qui que ce soit dehors.
― Ça ne te ferait pas de mal à toi, en tout cas, intervint Sophie d'un air réprobateur, tandis que la nouvelle recrue n'osait rien dire.
― Je vois que ça ne t'a pas plus frappée que ça, mais j'ai déjà ma ceinture, dit-il dans la plus séduisante des expressions, son index tapotant la boucle métallique qui centrait son bassin.
― Je parlais de sécurité Lenni, répliqua-t-elle sur un ton grave en haussant un sourcil, pour ce soir au moins...
Elle le fixa longuement, attendant un changement d'attitude de sa part, un défi dans le regard. Un silence s'installant, Louve ne fut pas la seule à se sentir soudain gênée, et ce fut suffisant pour le jeune homme qui soupira en reposant le flacon tout juste dévissé qu'il tenait entre ses doigts.
Il empoigna alors l'unique bouteille d'eau mise à disposition, s'avachit sur presque toute la longueur de la banquette, et, dans un son assez écœurant de succion et de lavabo qui s'évacue, se mità boire à même le goulot. On l'entendit bientôt expirer de manière exagérée, abreuvant un peu plus son insolence à chacune de ses interminables gorgées provocatrices.
Il aurait pu se fondre dans le noir des sièges en cuir s'il n'avait pas eu pareille présence. Louve ne sut si c'était le résultat de se trouver aussi proche de lui, ou s'il s'agissait de cette confiance en lui qui gravissait des sommets à mesure qu'ils roulaient, mais du peu qu'elle avait désormais vu de Lenni, elle s'inquiéta sourdement de ce qu'il pourrait lui réserver. Dès lors, la remarque pénétrante de sa manageuse s'enracina tout au long du chemin dans l'esprit de la jeune femme.
Ce ne fut qu'en arrivant à destination, qu'une autre source de stress attira toute son attention. Les appareils crépitaient déjà d'excitation de l'autre côté des vitres teintées.
― Si seulement ils t'avaient vu il y a dix minutes, commenta Sophie en levant les yeux au ciel d'un air blasé, avant de se rapprocher de la sortie.
― Ils auraient pris plus de photos, répondit Lenni d'emblée.
― Arrête un peu de faire le malin, dit-elle dans un léger sourire, en lui donnant une petite tape sur le mollet. Allez, file... et amuse-toi surtout !
Les acclamations gonflèrent brusquement, à la seconde où la portière s'ouvrit devant le long tapis rouge déroulé pour l'occasion, face à l'entrée du théâtre de la ville.
― Tu sais très bien que j'ai raison, répliqua l'acteur avant de leur lancer un clin d'œil à toutes les deux. Mais, ajouta-t-il au moment de s'extraire de la limousine avec la plus grande agilité, le mystère est toujours plus attirant que la vérité... Ça aussi, tu le sais très bien Soph.
Il descendit du véhicule, un large sourire jusqu'aux oreilles, une main spontanément fourrée dans la poche, et salua aussitôt l'immense file d'attente, ainsi que le parterre de caméras et de photographes qui l'escomptaient. Ensuite, il s'élança d'un pas si léger vers les portes béantes du cinéma, que Louve eut en effet du mal à concevoir qu'il fût la même personne que celle engourdie sous sa couette.
En sortant à son tour, elle eut à peine le temps d'apprécier la liberté de se redresser entièrement, que la ferveur du monde lui brusqua l'ouïe et la vue. Un animal pris dans les phares, avec comme une espèce de bruit blanc dans les tympans, la jeune novice ne sut d'abord quoi faire. Où regarder ? Où aller ? Où se cacher ?
Heureusement, Sophie, qui la rejoignit en passant son bras sous le sien, la guida en retrait. Elles longèrent la toile de fond par derrière, et d'un pas vif, parvinrent pile au seuil du bâtiment afin de contempler le spectacle qui s'opérait.
Lenni prenait la pose depuis moins d'une minute, lorsque l'équivalent de sa jumelle se rallia à lui le long du décor dressé entre eux et l'équipe d'agents, d'assistants, et de coordinateurs cachés dans l'ombre. La ravissante actrice, une blonde intimidante aux yeux de chat et en robe fourreau ivoire, écarta les bras vers le comédien en signe d'amitié, l'étreignit avec engouement, et celui-ci, le visage étonnamment rayonnant, coulissa une main derrière sa taille de guêpe.
Toujours à demi entrelacés, ils paradèrent ensemble d'un air accoutuméde jeunes mariés. Accaparant autant la curiosité des passants, que la passion de toutes celles et ceux présents pour l'évènement, ils essuyèrent une rincée de flashs euphoriques ; sorte de grosse nuée pailletée dont la lumière argentée aveuglait les rétines et y laissait traîner des tâches nacrées de plus en plus vastes.
Louve dut fermer les yeux un instant. L'odeur carbonisée des machines en surchauffe flotta jusqu'à ses narines. Puis, ce fut celle plus avenante du caramel et du pop-corn au moment de pénétrer dans le grand hall de l'enceinte culturelle.
Accompagné par d'autres membres du film, ils finirent tous par rentrer et accédèrent directement à la salle principale de l'établissement. Tandis qu'elle, l'agent du jeune homme, et le reste du public convié s'installaient, une partie du casting se plaça en ligne entre le gigantesque écran et le rassemblement de spectateurs.
Dans un état de décontraction parfaite, et à l'opposé de sa nouvelle assistante qui se blottissait le plus possible dans son fauteuil en velours, Lenni resta debout au milieu de la scène, accueillant l'éclat des projecteurs et les regards ébahis de l'assistance avec un naturel déconcertant.
― D'abord, résonna la voix de celui muni d'un micro, que Louve comprit comme étant le réalisateur, nous tenons à vous remercier d'être venu aussi nombreux à cette avant-première. Chacun de nous s'est profondément investi dans ce projet, et nous sommes extrêmement fiers de sa participation au festival international du film de Vancouver. C'est donc avec une immense joie que nous vous présentons « Clair-Obscur » ce soir. Bien, conclut-il avec enthousiasme, je ne vais pas vous faire attendre plus longtemps. Bonne séance à tous !
Puis, ils se dissolurent dans les rangées de sièges sous les applaudissements. Dans un rire dégressif, Lenni gravit l'un des deux couloirs de marches et vint s'asseoir à l'avant-dernier rang, à sa place réservée entre elle et Sophie, quand tout l'éclairage s'éteignit d'un coup.
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