"Ils ont fait l'effort de mourir deux fois. Et vous croyez encore pouvoir leur échapper ?

-..."

Il y a le silence. Puis il y a la peine, la haine, le dégoût. Yoongi n'a pas esquissé un geste mais tout le condamne. Il n'y a plus une once d'humanité sur son visage, quand il attend que Namjoon le regarde à nouveau. Quand il attend la prochaine question. Mais même Namjoon ne peut plus vraiment y penser.

C'est trop. Trop désincarné pour qu'on puisse même l'envisager.

Il y a le sang, devant ses yeux, tout ce sang dans la voiture. La voiture qu'ils ont volée, il le comprend. Il y a le rapport de l'autopsie, le poison, le sang. Le sang, le sang, le sang. La ciguë, la dose n'était pas mortelle. Le poignard n'a touché aucun organe vital. Ils ont voulu s'échapper de la pire des manières. Ils ont voulu disparaître de la surface de la terre. Ils n'avaient pas d'autre choix que de mourir pour que Min Yoongi ne les tue pas.

Sans qu'il ne le réalise vraiment, sa main s'est posée sur son arme de service, dans la doublure de sa veste. Son pouce sur le cran de sécurité. Il sait que le pistolet est chargé.

C'est trop.

Toute cette lumière, tout ce jaune qui inonde la pièce. Le livre sur la table. Les assiettes dans l'évier. Le lit, à l'étage, rouge. Rouge rouge rouge. Jamais Namjoon n'aurait pu penser... Jamais il n'aurait cru toucher l'horreur de si près. Il lève son arme brusquement et Min Yoongi sourit, menotté au canapé. Si Namjoon pouvait encore penser, il aurait réalisé que plus rien ne vivait vraiment dans cet homme-là. Il aurait réalisé que ce n'était plus vraiment un homme.

Hoseok a posé sa main sur l'arme, tentant de la baisser. Le souffle court. Namjoon entend son cœur battre dans son crâne. Jamais il n'aurait pensé se sentir un jour capable de tuer. Toute cette haine dans ses veines. Les images. Le sang. Le sang. Leurs mains si proches, leur vie déversée sans pudeur.

- Namjoon...

Ses mains ne tremblent pas. Ses mains ne tremblent même pas. Le sang aurait dû être sur ses mains, à lui. Pourquoi est-il si propre, si libre. Et ce foutu sourire. Il n'a pas le droit...

- Vous n'en êtes pas capable, commissaire. Vous le savez.

Namjoon ferme les yeux. La châleur, un instant. Il suffirait d'un geste.

Il baisse l'arme, la range dans sa poche.

- Hoseok, va chercher un mandat. Il faut qu'on déterre ces cercueils. Ils sont morts pour qu'on puisse les trouver.

CIMETIÈRE. Puisqu'ils sont morts deux fois.

Hoseok acquiesce gravement, sort de la pièce en lançant un dernier regard en arrière. Presque terrifié.

Namjoon passe un appel, les uniformes entrent dans la pièce et emportent le malfrat et son maudit sourire. Cet homme qui n'est plus un homme, cet homme qui a fait trop de mal à sa propre innocence. Namjoon fume une cigarette à la fenêtre pendant qu'ils l'emportent en arrière plan. Il regrette presque de ne pas l'avoir fait. Il regrette, presque. C'est insupportable. 

Namjoon arrête l'enregistrement, sort la dernière cassette du magneto. Tout était inutile. Les preuves étaient sous la terre, il en est certain. Il la pose sur la pile. Et, à nouveau, l'autre cassette. Sur l'étagère couverte de poussière. 

Min Yoongi, écrit au stylo bic. Quatorze chansons. L'envie de jeter la cassette à l'autre bout de la pièce est immense. Il se retient. Il résiste encore et la met dans le magneto.

Une voix naît dans le silence. Grave et posée. Ce n'est pas de la musique. Ce n'est plus de la musique.

"Mon nom est Jeon Jungkook. Je vais sans doute mourir dans quelques heures..."

Namjoon arrête la cassette. Il n'est pas capable d'entendre cette voix. Il la met dans sa poche et la donnera à d'autres. Min Yoongi ira en prison jusqu'à la fin de sa vie.

Mais son téléphone sonne une fois encore. C'est lui qu'il lance à l'autre bout de la pièce, contre le mur, de toutes ses forces. Les yeux humides. Epuisé.

Er pourtant, il entend la messagerie. La voix d'Hoseok, vacillante, qui dit :

- Min Yoongi est mort. Kim Seokjin l'a tué dès qu'il l'a vu, on n'a pas su l'en empêcher.

Mêmes les cigales se moquent, dans les platanes, de cette histoire insensée de bonheurs gâchés sans raison.