La vie d'une domestique

En arrivant dans l'écurie, Tsinna essora ses cheveux bruns et les noua en une tresse. Sa robe était déjà lourde et chargée d'eau. Elle regarda les box et les animaux qui les occupaient en souriant. Elle aimait beaucoup les chevaux. S'occuper d'eux n'était pas une corvée pour elle, mais elle ne devait en aucun l'avouer à son maître sinon il la priverait de ce plaisir.

Elle saisit le matériel nécessaire pour longer les destriers et en harnacha un. Elle le mena sous la pluie et commença le travail. Elle fut rapidement trempée. Quelle idée de longer les chevaux par ce temps ! Ils risquaient vite de prendre froid. Elle regarda autour d'elle pour tenter de voir si la manège était libre. Et il l'était. Elle savait qu'elle n'en avait probablement pas le droit mais elle s'y dirigea quand même, suivit par le cheval. Une fois à l'abri, elle se sentit déjà plus légère et recommença son travail. Le pas dans un sens, dans l'autre, la même chose au trot et au galop. Puis elle ramena le cheval, le sécha et recommença avec quatre autres.

Après cela, elle saisit les énormes seaux et alla les remplir. Ils étaient vraiment lourds, si bien qu'il lui fallu une heure complète pour tous les remplir au puits et les ramener aux animaux. Jamais de sa vie elle n'avait été autant mouillée. Entre la pluie et les quantités d'eau qu'elle avait renversé, sa robe sèche et ses cheveux coiffés n'étaient plus qu'un souvenir. Elle était presque certaine que si elle se jetait dans l'eau de la mer, elle ne serait pas plus mouillée.

Quand elle eut fini, ses bras la faisait souffrir et elle fut obligée de s'asseoir un instant. Elle vit soudain, dans l'allée principale, l'un des gardes de son maître. Le regard de la jeune fille tomba sur le fouet qu'il tenait dans sa main. Elle déglutit. Les deux seules pensées qu'elle fut capable de formuler étaient que la pluie n'avait pas l'air de déranger cet homme et qu'elle ne devait pas rester assise plus longtemps. Alors elle se leva et se dirigea vers la brouette en espérant que le garde n'avait pas remarqué qu'elle venait juste de se remettre aux travail. Elle saisit une fourche et se dirigea vers les boxes pour les décrotter.

Elles ôta la paille salle et en mit une fraîche et propre. Après avoir déposé la matière souillée dans le tas de fumier, elle s'attaqua aux autres boxes. La pluie rendait ardu le seul fait de pousser la lourde brouette. Le garde passa à nouveau dans l'autre sens, elle fit comme si elle n'éprouvait pas de difficulté.

Deux heures plus tard, son travail à l'écurie était terminé et elle se dirigea vers le potager. Elle s'agenouilla dans la boue pour ôter les mauvaises herbes sans même se poser de question. Elle n'avait plus cure que de se salir. Le Maître n'en serait que plus heureux.

Trois heures plus tard, elle sortait du potager, trempée, gelée et fatiguée comme jamais. Quand elle eut fini, elle se dirigea vers la porte. Entre temps, il avait cessé de pleuvoir et elle ne se pressa pas pour entrer dans la demeure du Maître. Sa robe était lourde à cause de la boue et du fumier qui s'étaient accumulés dessus. Les odeurs qu'elle avait jusque-là ignoré grâce à la pluie envahissait ses narines. Elle se sentait lourde comme jamais. Elle avait froid aussi. Elle tremblait mais s'efforçait de le cacher. Elle ne voulait pas qu'on la voit trembler. Il était bien assez réducteur de marcher dans les rues avec une robes plus marron que bleue, de la boue jusqu'aux cheveux et le pas vacillant à cause de la fatigue. Pourtant, arrivée devant la porte, elle n'osa pas entrer. Non qu'elle fut incapable de marcher. Il y avait autre chose.

Il était là, devant la porte comme s'il attendait.

Le Maître.

Tout sec, plein de ses parures, coiffé, lustré, propre, droit, regard dur et lèvres pincées.

Tsinna s'inclina devant lui en patientant pour pouvoir passer. Elle se redressa d'elle-même, oubliant quelque peu sa fatigue et négligeant son allure méprisable. S'il y avait bien un homme devant lequel elle ne devait pas se montrer si faible, s'était bien celui-ci.

L'homme baissa la tête vers elle et la toisa.

Toujours ce même mépris qu'elle ne comprenait pas. Toujours cette rancune étrange et ce dégoût non dissimulé quand il posait les yeux sur le tatouage étoilé.

« Votre tenue n'est pas convenable pour entrer dans ma maison, fit-il remarquer d'un ton condescendant. »

Il n'ajouta rien. Il n'ajoutait jamais rien.

Mais cette fois, Tsinna était trop fatiguée pour seulement penser à mesurer ses propos. Elle était lourde, salle, gelée. Elle n'avait qu'une envie : se changer et se décrotter.

Elle planta résolument son regard dans celui du Maître.

« Pardonnez-moi, mon seigneur mais la pluie et la boue ont eut raison de mon apparence, laissa-t-elle tomber avec un soupçon de mépris ironique. »

Il n'était pas son maître pour rien. Il ne se laissa pas démonter par son impertinence. Il en sembla même ravi.

« Change-toi alors. »

La jeune fille ne put s'empêcher de lever sur lui des yeux offensés.

« Malgré tout le respect que je vous dois, dit-elle, je ne me changerai pas dans la rue.

- Alors dormez dehors. »

Et il descendit les marches du perron en la toisant encore.

Tsinna le suivit des yeux sans rien dire. Son indignation était bine trop grande pour qu'elle puisse tenir des propos cohérents.

Elle se tourna vers la porte.

Derrière, il y avait de la chaleur et un puits pour laver ses habits sales. Elle ne pensa même pas à ce qu'elle fit. Elle ne pensa pas aux conséquences d'un tel geste. Elle pouvait tolérer qu'on la traite comme une domestique, puisque qu'elle en était une. Mais elle ne pouvait tolérer qu'on la traite comme une moins que rien, car elle était convaincue qu'elle ne l'était pas.

Elle gravit les trois marches et posa la main sur la poignée.

Hélas, le Maître n'était pas parti. Dans sa précipitation, Tsinna s'était détournée de lui avant qu'il ne tourne à un angle de rue. Elle entendit le bruit métallique de ses éperons dans son dos et se retourna. Elle se maudit en son fort intérieur. Elle ne s'inclina pas et la toisa. Elle était sur les marches et lui en bas.

« Vous savez ce qui vous attends, dit-il avec une joie cette fois très mal contenue, pour avoir enfreint un ordre direct. »

Tsinna ne comprenait pas pourquoi il jubilait tant. Sa colère se transforma assez rapidement en confusion.

- Je suis navrée, seigneur mais...

- La peine va tomber.

- Laissez-moi au moins...

- Aux fers, ordonna-t-il en claquant des doigts. »

Avant que Tsinna ne puisse s'échapper, deux gardes lui lièrent les mains dans le dos. Elle ne savait même pas d'où ils venaient. Son cœur se serra douloureusement quand elle prit conscience du frottement de la corde sur sa peau glacée.

Libérée de toute forme de faux semblant, elle foudroya le Maître du regard. Comment osait-il ?Pourquoi ? Elle avait désobéi, mais elle avait simplement refusé de dormir dehors ou de se changer dans la rue. Ne pouvait-il pas le comprendre ? 

Non, réalisa-t-elle soudain. Évidemment que non. Lui avait tout, elle presque rien. Lui était tout dans cette ville, elle presque rien. Non, il ne pouvait pas comprendre. Tout cela, il ne pouvait le comprendre. Il n'avait pas besoin de combattre pour son honneur et sa dignité.

Mais plus encore, il brillait dans les yeux du seigneur de la ville cette joie qu'elle ne comprenait pas. Il n'était pas heureux d'avoir mis l'un de ses domestiques aux fers. Il était heureux de l'avoir mise, elle, aux fers. Cela, elle ne le comprenait pas. Pourquoi ?

« Peut-être réfléchiras-tu à ce que ce que je t'avais dit dans tes derniers jours.

- Vous n'attendiez que cela, cria Tsinna en relevant la tête. Vous vouliez depuis longtemps vous débarrasser de moi.

- Tu as peut-être une étoile sur le visage, tu n'en es pas moins une esclave soumise aux lois de l'abandon, répliqua-t-il.

- Laissez-moi m'en aller et...

- Ton sort est scellé, pauvre idiote, la coupa le Maître. Emmenez-là. »

Sur un ordre de sa main ornée de bagues, les soldats traînèrent Tsinna.

La jeune fille avait du mal à réaliser ce qui lui arrivait. En plus de dix-sept ans, jamais elle n'avait été jetée en prison. Jamais elle n'avait commis un délit.

Et voilà qu'en une seule journée, toute sa vie avait basculé au cauchemar. 

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