Prologue



Non loin du domaine du Duc d'Hermelent.

On dit que ce jour fut funeste, un énorme nuage noir surplombait la plaine de Chompant. Il se déplaçait laissant une aura maléfique derrière lui. Il était d'une telle noirceur que son ombre suffisait à faner les plus belles fleurs. Mais dans le château du Duc d'Hermelent à cet instant même, une femme ruisselante de sueur, épuisée sous l'effort, dans un dernier hurlement déchirant, mit au monde une petite fille dotée du plus beau des visages, qui aurait même rendu les anges jaloux. Elle avait un si joli minois la future duchesse ! Sa seule imperfection physique était une grosse tache de naissance sur son épaule, en croissant de lune, avec une petite vague superposée.

Le miracle se produisit au moment où elle fit découvrir ses petits yeux violets, d'un sublime ton améthyste, dégradés de mauve et framboise, dont la couleur était pure et éclatante. Après un bref clignement de paupières, elle entrevit par une fenêtre le mal flânant au dessus de la vallée et le scruta d'un air terrifié. Le nuage alors se dissipa laissant apparaître derrière lui une légère pluie. Les habitants de la plaine revirent enfin les rayons du soleil et la pluie recouvrit petit à petit les fleurs meurtries, leur rendant jeunesse et beauté, sous les yeux ahuris du Duc son père. Cette époque fut gravée dans les mémoires durant de nombreux siècles ; certains disaient qu'il avait vu une silhouette dorée dans le ciel, d'autres parlaient d'une brume violacée.

Des années ont passé mais ce furent de loin de beaux moments pour notre petite duchesse, Freyja. Ainsi nommée par son père en hommage à la déesse Freia qui rendait la jeunesse aux dieux. Pour protéger son « trésor », le Duc l'avait enfermée au cachot depuis la mort de son épouse la duchesse Geneviève ; pour garder pour lui seul le pouvoir de sa fille, ayant la capacité de rajeunir et de rendre vie aux choses ou aux êtres qu'elle voyait. Elle faisait sa richesse depuis sa plus tendre enfance et était contrainte de garder le silence. Le royaume du Duc était réputé pour la vie qui émanait de sa région, nul ne se doutait que c'était l'œuvre de la jeune héritière, prétendument morte lors d'un accident de cheval. Pourtant, malgré les richesses que le Duc apportait à son peuple, que ce soit en agrandissant les troupeaux, les champs et soignant les êtres chers de certains, le seigneur d'Hermelent insufflait la peur et la terreur dans chaque cœur. Ô grand jamais, personne n'a contesté son autorité. Comme s'il n'avait pas d'âme, il pouvait juste pour satisfaire un plaisir sadique, faire souffrir les plus faibles. Plusieurs villageois s'enfuirent de ce royaume maudit, mais n'eurent pas le temps de savourer leur escapade car tous furent arrêtés pour trahison.

Freyja, elle, restait silencieuse au fond de sa cellule, espérant qu'un jour ce cauchemar finisse. Son cachot se remplissait au fur et à mesure que le temps passait de végétation. De nombreuses plantes avaient poussé dans sa cellule. Tous les fruits qui lui étaient apportés pour ses repas faisaient naître dans l'obscurité de sa geôle un arbre ou un buisson. Comme attirés par son aura magique, quelques rongeurs et autres petits animaux s'étaient fait une place dans la mini clairière que la jeune duchesse s'était fabriquée.

Étant très jeune, ne contrôlant pas encore assez ses pouvoirs, Freyja avait déjà pu observer la force de la nature. Une fois elle eut une pomme en repas, elle la mangea et laissa tomber par inadvertance les pépins au sol. Ce fut une des nuits les moins horribles qu'elle eut, car même si elle ne le savait pas encore, son don lui permettait de communiquer légèrement avec la nature. Les petites graines de la veille lui parlaient sans qu'elle ne s'en rende compte et quand elle rêva que ce reste de pomme devenait pommier, cela se produisit réellement. Au matin, un des geôliers du cachot, chargé d'apporter le petit-déjeuner de l'héritière, vit l'étrange phénomène et avant que la jeune enfant fut réveillée, il partit quérir l'avis du Duc. En voyant les racines solidement ancrées dans le sol, les branches traversant l'épais plafond et le tronc ouvrant une grande brèche dans le mur, le seigneur ordonna de couper ce monstre végétal. Il donna également l'ordre de ne plus apporter de pomme, de poire ou encore de cerise à sa fille.

Même du haut de son jeune âge, la jeune duchesse avait non seulement vu mais compris la scène, et elle regrettait encore maintenant de ne s'être pas réveillée plus tôt pour pouvoir s'enfuir.

Des rumeurs circulaient dans le village. On racontait que les prisons du château étaient hantées par le fantôme de l'héritière « morte ». Certains gardes affirmaient que pendant leur ronde autour de l'immense bâtisse, ils entendaient quelques nuits une jeune fille pleurer ou encore chanter.

Malgré la grande somme que le Duc offrait aux geôliers, le poste de garde devint vite déserté, plus personne ne souhaitait garder les cellules. Seuls quelques jeunes hommes insouciants acceptaient ce métier, pour pouvoir un jour s'acheter des chevaux et parcourir le monde à la recherche d'une éventuelle âme sœur. L'un de ces jeunes hommes se lia d'amitié avec la jeune prisonnière qu'était Freyja. Ils s'entendaient bien tous les deux et devinrent vite complices. La veille de son anniversaire, quand le garçon demanda à la jeune duchesse ce qu'elle désirait. Elle n'hésita pas, elle lui confia son souhait qui était d'avoir une pomme. Le jeune gardien ne se posa pas de question et lui offrit l'objet de son désir dès le lendemain. La jeune fille ne dormit pas de la nuit, elle songea à la décision qu'elle allait prendre. Elle se refusait d'admettre qu'elle s'était servi de ce jeune geôlier, mais elle voulait partir d'ici et ne souhaitait en aucun cas risquer la vie de son ami. Elle mangea le fruit et garda précieusement les pépins, les cachant du regard de son père. Après de nombreux jours, où elle s'interrogea sur le choix qu'elle allait prendre, elle décida enfin de raconter au jeune homme la vérité. Il ne se sentit pas trahi mais triste, car il s'était profondément attaché à cette jeune femme au yeux violets. Il comprit son choix et accepta de garder le silence, en échange il posa juste une question. Quand il voulut savoir qui elle était vraiment, elle mentit et affirma qu'elle n'était autre qu'une esclave ayant trahi la confiance du seigneur d'Hermelent qui lui laissa la vie du temps où la Duchesse Geneviève était encore en vie. Freyja refusa de lui dire la vérité, car depuis toute petite jamais elle n'avait considéré le Duc comme son père.

Leurs adieux faits, le garçon s'en alla, la laissant seule dans son cachot ; les graines insérées dans un trou d'une des pierres, la jeune élue ferma les yeux et utilisa son pouvoir pour faire pousser un immense pommier. Comme la fois précédente un immense passage se forma dans le mur à l'endroit où le tronc passait. La sortie que l'arbre avait formée inonda de joie et d'espoir la jeune duchesse, et cela lui serra le cœur de devoir tuer cet être qui lui avait rendu un si grand service. L'arbre mort et décomposé laissa au sol un tapis de mousse sur lequel Freyja posa un baiser qui fit apparaître une fleur blanche. Elle se faufila dans l'ouverture faite dans le mur, et s'enfuit sans se retourner.

Après quelques heures de liberté, sans se douter des conséquences qu'aurait son escapade nocturne, elle enivra ses poumons du parfum de la liberté et courut jusqu'à l'épuisement dans les hautes herbes. Cela dura toute la nuit. Au fond elle, elle avait peur car personne n'avait réellement réussi à échapper aux griffes de son père, mais "Carpe diem" se répétait-elle, la vie était courte et elle décida d'en profiter au maximum.

Comme chaque matin, le Duc amenait à sa fille des objets abîmés, de vieux animaux, des fleurs... des présents abîmés par l'âge. Sauf que, quelle ne fut sa surprise, en découvrant que Freyja s'était enfuie. Il n'avait pas porté une grande attention sur la frêle petit fleur, il n'avait d'yeux que pour l'immense trou dans le mur. Le Duc, fou de rage à l'idée que quelqu'un d'autre que lui se serve du pouvoir de sa fille, détruisit plusieurs vases les projetant dans les airs avant qu'ils ne s'écrasent au sol dans un profond fracas. Il réunit ses hommes et après quelques minutes de préparation, partit avec des soldats à la recherche de Freyja.

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Au petit matin, Freyja épuisée par sa course folle s'autorisa un peu de repos. Malheureusement, son répit fut bref car à peine eut-elle repris son souffle et apaisé le rythme de son cœur, assise à l'ombre d'un arbre, qu'elle vit les hommes de son père arriver à ses trousses. Elle se redressa, voulant saisir l'infime, mais encore réelle petite chance de s'enfuir. Elle n'eut le temps de ne faire que quelques pas avant de se retrouver nez-à-nez avec M. d'Hermelent, sur sa monture d'ébène, qui s'approchait d'elle. D'une souplesse étonnante, il descendit de son cheval et s'approcha de Freyja qui reculait à chaque seconde. En arrivant près de son visage, il lui caressa la joue de sa main gantée. Ce geste si affectueux étonna l'intéressée, n'ayant jamais dans son souvenir connu ce genre de marques de tendresse. Alors, éliminant au fur et à mesure les centimètres qui les séparaient encore, il lui murmura dans le creux de l'oreille :

« Je ne peux te garder indéfiniment enfermée, tu chercheras sans relâche à me fuir. Malheureusement, tu ne me laisses pas le choix. D'un regard pensif, pesant le pour et le contre, il poursuivit. Je te sais gré pour les richesses que tu m'as offertes... "

En prenant bien soin de la regarder dans les yeux il continua...

"Même si tu m'as privé de ma femme qui a malencontreusement mis au monde un monstre." Voyant l'air plus que blessé de sa fille, le duc leva les yeux au ciel et supplia : "Pardonne moi Geneviève ».

Après ces quelques mots, il lui enfonça la lame d'une dague, ornementée de pierres précieuses, dans le ventre. De son regard d'améthyste, elle le toisa, voulant le narguer, car de son geste, il la libérait. Sans vraiment se rendre compte de ce qui lui arrivait, elle ferma les yeux et attendit que cela se termine enfin.

Mais le destin n'avait pas dû apprécier qu'un père avare tue l'un de ses pions et que ce pion en question n'ait pas encore joué...

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