Chapitre 1
— Tu as attendu la nouvelle ? s’exclame une sœur dans le couloir à une autre.
— Non.
— Notre sœur Marielle nous quitte ce soir.
Marielle, partir ? Non, c’est impossible. Pas elle. Je me dirige rapidement dans le couloir en m’écriant :
— Sœur Xaëlle !
— Oh ! sœur Chrystal. J’ignorais que tu étais dans ta chambre. Je te croyais au jardin.
— Non, pas ce matin. Alors, où as-tu attendu la nouvelle ?
— C’est notre mère Hilda… En fait, elle parlait avec une autre personne.
— Ce n’est pas vrai ! Tu as encore écouté aux portes. Si elle l’apprend.
— Elle ne l’apprendra pas… À moins que tu parles.
— Hmm…
— En tout cas. Sœur Marielle s’en va ce soir.
Bien sûr, je sais que cela la réjouit. Marielle est une sœur timide, mais d’une grande beauté. Souvent, cette dernière a été choisie par les hommes que convoitait sœur Xaëlle, lors de nos soirées, avec le clan masculin. Verte de jalousie, elle lui jouait des tours dits inoffensifs, mais tout le monde sait que c’est pour se venger. Bien sûr, Marielle ne disait jamais rien ; contentant de sourire.
J’attends donc que les deux sœurs tournent le couloir pour courir vers la chambre de Marielle. Je dois avoir le cœur net. Je n'endurais pas qu’elle dise encore des inepties. Je cogne à sa porte avant d’entrer. Je la trouve là, assis près de la cheminée, lisant un livre. J’examine la chambre, son sac est près de la porte. Elle part vraiment ! Je me sens mal. Les larmes que j’ai aux coins des yeux menacent de se tarir sur mes joues.
— Ô, Chrystal, tu es là.
Je me secoue la tête en attendant sa douce voix, prononcé mon prénom. Elle affiche un sourire que je sais est : faux. Celle-ci fronce les sourcils en ne me voyant pas réagir. Marielle dépose son livre avant de se lever et venir vers moi. Ses grands yeux verts me scrutent. Pourquoi doit-elle partir ?
— Chrystal.
— Est-ce vrai ? Je murmure.
— Oui.
Un torrent de larmes dévale mes joues, Marielle est la seule vraie amie que je possède dans cette demeure. Bien sûr, certaines d’entre elles sont aimables ou me lèchent les bottes à cause de mon nom de famille. Savoir que mon amie de toujours s’en va me ronge de l’intérieur. À qui vais-je rencontrer les histoires farfelues du jardinier ? Avec qui vais-je me promener la nuit quand tout le monde dort ? Qui va manger la dernière part de gâteau, quand sœur Xaëlle sera encore moquée de mon physique ? Sans Marielle, je ne suis plus personne.
— Chrystal ne pleure pas, je t’en supplie. Je ne veux pas pleurer encore.
— Depuis quand le sais-tu ?
Elle ne répond pas; contentant de mordre la lèvre inférieure. Son geste me laisse prévoir que celle-ci est au courant de son départ depuis un moment déjà. Comment a-t-elle pu me le cacher ? Moi, sa meilleure amie ? Marielle me prend la main que j’enlève brusquement et je me secoue la tête. Elle me connait assez bien pour prévoir ce que je m’apprête à dire que je n’ai pas le temps de souffler un mot.
— C’est pour ça que je ne t’ai rien dit.
— …
— Je savais comment tu allais réagir et malheureusement on ne peut rien y faire. J’ai essayé de repousser mon départ, mais je ne peux plus.
— Depuis quand le sais-tu ?
— …
— Quand ? Je le lui hurle, les yeux larmoyants.
— J’ai été mise au courant, lors de la fête des perséides.
— Il y a trois mois ! Et je le sais que maintenant. Ce n’est pas juste.
— Je sais… Je suis tellement désolée, mais on a besoin de moi.
— J’ai besoin de toi.
— Tu sais très bien que non. Tu es bien la seule personne ici, qui n’a besoin de personne. Chrystal que tu le veux ou pas, tu es le cœur de nous toute.
— Mais tu es ma meilleure amie.
— Et je le resterais toujours. Je te promets de t’écrire.
— Tu sais que lorsqu’une sœur sort du sanctuaire, elle finit par nous oublier.
— Je ne pourrais jamais oublier ma meilleure amie.
Je lui souris, peu convaincue des faits. Nous savons tous la vérité. Lorsqu’elle franchira les portes ce soir, tous ses souvenirs s’effaceront. Je trouve injuste cette situation, mais je n’ai pas le droit d’en parler. Si au moins le nom que je porte pouvait me servir à quelque chose !
Marielle me prend dans ses bras, sachant très bien que je ne suis pas pour qu’elle parte. Au moment, où mes lèvres s’ouvrent pour lui souffler quelque chose à l’oreille, nous attendons des pas, résonnez dans le couloir. Nous les reconnaissons que trop bien. Des pas pressés et lourds n’appartiennent qu’à une seule personne. Nos têtes se tournent vers la porte voyant notre matriarche sur le pas de celle-ci. Mère Hilda se tient là, les mains croisées devant elle. Ses cheveux tirés à quatre épingles démontrent sa rigueur et que celle-ci aime le contrôle. Sa longue jupe noire, lui arrive aux chevilles, lui va à merveille. On ne devine pas ses courbes ni son petit tablier de ventre. Sa chemise parfaitement blanche épouse sa forte poitrine comme un gant. Cette femme est l’élégance de ce sanctuaire. Mais pour ce qui est du charisme, on en reparlera.
Lorsque son regard se pose sur moi, mère Hilda, se racle la gorge. Ma présence la dérange et je le sais. Sans détacher ses yeux de ma personne, elle demande à Marielle :
— As-tu réfléchi à la personne qui devra faire la cérémonie des adieux ?
— Non, mère Hilda. Je croyais que c’est vous qui deviez le faire.
— Hmm. Ce n’est pas ce que je vous ai enseigné.
— Comme si ce que vous nous enseignez est utile, je grommèle.
Marielle tousse en me donnant un coup de coude dans le flanc gauche, tandis que mère Hilda fronce les sourcils. Comme si ce que je viens de dire n’est pas la vérité. On ne nous apprend pas ce qui est essentiel. Nous sommes toutes différentes et nous aurions dû avoir de l’enseignement en fonction de ce que nous sommes. Nous apprenons davantage dans les vieux manuels qui se trouvent dans les sous-sols interdits que dans nos salles de classe. Nous devrions apprendre aussi ce qui se passe au-dehors de nos murs, même si certaines de nos sœurs ne quittent jamais le sanctuaire.
— Pouvez-vous me prodiguer un conseil?
— Un conseil ? Hmm… Prenez quelqu’un qui vous connait amplement. Le lien avec le Sanctuaire doit impérativement se briser.
Mon amie se tourne vers moi, les yeux m’implorant. Non, je ne désire pas être celle qui devra couper le lien. Ça fait toujours mal. L’an dernier, je m’en suis remise qu’après une semaine et ce n’était pas moi qui avais brisé le lien. Mère Hilda nous regarde toute les deux et je veux disparaitre à cet instant.
— Chrystal, s’il te plait, soit celle qui brisera le lien. Il n’y a pas mieux que toi pour le faire.
— Je…
— L’affaire est réglée. Sœurs Hesterielle et Zachiella mettront en œuvre toutes les choses nécessaires pour ce soir. Je veux que vous veniez au jardin central à vingt-trois heures cinquante. Je n’accepterais aucun retard. Ton départ, Marielle, ne peut plus être retardé. Ils t’attendent depuis plusieurs mois déjà.
— Ne vous en faites pas, Mère Hilda, nous serons à l’heure.
— Je ne m’inquiète pas pour toi… Mais pour…
— Elle sera là. J’en veillerais personnellement.
— Bien. À ce soir.
Mère Hilda tourne les talons et disparait dans le long couloir. Je n’arrive toujours pas à y croire que Marielle va bientôt partir. Mon cœur se sert à cette pensée. Elle est ma seule vraie amie ici.
— Que fait-on, maintenant ?
La voie de ma sœur me tire de mes pensées. Que veut-elle faire ? Je n’ai pas le cœur à la fête et elle doit s’en douter. Je ne suis pas ordinairement transparente avec mes émotions, mais aujourd’hui, c’est une exception. La rage et la tristesse se mélangent dans tout mon être. Pourquoi m’enlève-t-on la seule personne qui compte ?
— Chrystal ! Me gronde-t-elle.
— Pardon! Que disais-tu ?
— Que fait-on avant mon départ ?
— Je n’ai pas le cœur à la fête, pardonne-moi. Si c’était une autre, mais…
— Je comprends. Mais réjouis-toi un peu pour moi. Je vais enfin connaitre ce qu’il y a au-delà de nos murs. Tu n’y as jamais songé ?
— Non, Marielle. Ma vie est ici. Je n’aurais jamais le privilège de sortir de cette enceinte et tu le sais bien. Mon nom de famille a peut-être des avantages, mais aussi des inconvénients. Pourquoi me baisserais-je d’illusions ?
— Un jour…
— Pardonne-moi, je vais retourner à ma chambre.
— Chrystal, je…
Je ne souffle pas mot, me contentant de me secouer la tête avant de sortir de ses appartements. Depuis que nous sommes petites, nous savons que seule une de nous deux pourra sortir. Marielle provient d’une famille de sorcier très peu aimé par les têtes dirigeantes, mais détient un grand savoir. En fait, c’est la seule chose que nous connaissons de nos familles respectives. Aucun parent-sorcier n’élève lui-même son enfant. Lors de l’accouchement, une sorcière s’installe dans l’aile ouest et en repart les mains vides. Une pouponnière est alors installée. Les nouveau-nés, garçons, eux sont transférés dans un sanctuaire, car bien sûr, hommes et femmes ne sont pas élevés ensemble.
Dès que nous savons lire, nos gardiennes nous donnent sous ordre de notre mère à tous, un parchemin. Toutes les informations ou devrais-je dire notre pedigree, bref le strict minimum que nous devions savoir. Le nom de famille était le plus important. La mienne DeLaRosa est une vieille famille dont on ignore les origines. Pourtant, elle est crainte par nombreux clans, sauf par quelques-uns. Sœur Xaëlle, par exemple, la famille Tombend qui s’oppose farouchement à la mienne, mais n’est pas assez puissante. Marielle, cependant, les Vossen font partie des membres alliés lointains de ma famille. On dit qu’il y a des siècles sa famille et la mienne ont fait un pacte magique afin de s’allier. Les futurs membres allaient se reconnaitre immédiatement. C’est comme ça que Marielle et moi sommes devenues meilleures amies. Au départ, elle avait fait une révérence que je ne comprenais pas, mais c’est lorsque ses yeux se sont mis à briller que j’ai tout compris. Marielle et moi, notre aventure commençait, mais s’arrêtait ce soir.
J’arrive enfin à mes appartements que je verrouille une fois à l’intérieur. On ne va pas me déranger. Je dois trouver les mots pour ce soir. Bien que ce ne soit pas la première fois que je participe à ce rituel d’adieu, ce soir ça sera différent. Marielle et moi sommes depuis toujours des amies. L’énergie que je devrais employer ce soir sera incommensurable. Je risque de fondre en larmes, lorsque je la verrai traverser le voile de magie pour rejoindre sa nouvelle famille.
J’essaie de taire mes sentiments, il ne faut pas que je pleure. Je m’assois donc à ma table de travail afin de consulter les ouvrages. Je les connais par cœur ; tous les livres de ma bibliothèque sont gravés dans ma mémoire. Des écrits plus vieux que le sanctuaire lui-même au plus récent. Chaque année à mon anniversaire, j’en reçois un de la part d’une personne que je pense être de ma famille. Au début, j’étais impatiente lorsque mon anniversaire approchait, mais depuis quelques années, j’en suis lasse. Je sais que je devrais m’intéresser un peu plus aux affaires de la famille, mais en même temps, je connais déjà mon sort. En tant, que deuxième née, je suis enchaînée au sanctuaire. Comme je l’ai déjà dit, les garçons et les filles ne sont pas dans la même école. Je suis née dix minutes après, mon frère. Habituellement, les jumeaux-sorciers n’ont pas le droit d’être séparés, mais vu le statut de notre famille, mes parents ont été contraints de nous séparer. Bien sûr, ils auraient très bien pu me garder ou pire me vendre à un couple, mais ça ne sait pas passer comme ça. En fait, je ne connais que les grandes lignes et c’est mieux comme ça.
Après des heures à lire, mes yeux finissent par me picoter. Ma tête commence à être lourde. Je bâille. Me voilà partie dans le pays des songes.
*****************
Je ne devais pas commencer à partager cette histoire, mais je me suis dit pourquoi pas.
Je posterai une fois par semaine, le temps de l'écrire et corriger les chapitres.
Bienvenue dans cette nouvelle aventure !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top