Nouvelle #8


Les rues étaient surpeuplés : des enfants couraient à en perdre haleine, des femmes tenaient dans leurs frêles bras leur bambin et des hommes riaient aux éclats. Parmi ses thaïlandais se trouvait une jeune brunette qui tentait tant bien que mal de se faire discrète aux yeux des marchands. Elle n'était pas passée dans cette rue commerciale pour gaspiller son argent mais plutôt pour rejoindre son complice qui l'attendait. Elle jouait des coudes à mainte reprise et tentait de se faufiler entre toutes ces personnes qui vivaient leur vie.

En passant devant une boutique de vases, elle en fit tomber un et le rattrapa de justesse. Lorsqu'elle se redressa- le vase entre ses mains-, elle croisa les yeux d'un vieil homme qui la détaillait des pieds à la tête. Il fit courir son regard sur son pantalon noir et son pull à manche longues qui recouvrait son corps au complet tout en hochant de la tête, satisfait. Pour lui, un thaïlandais qui respectait la culture à la lettre, voir une jeune touriste se vêtir adéquatement était une preuve que le monde n'avait pas changé de la pire des façons. Amélie- la brunette- se félicita d'avoir lu le document que l'agence lui avait envoyé. Ce document qui renfermait toutes les informations nécessaires pour mener cette mission à bien. En le lisant, elle avait appris plusieurs mots, la base de la religion thaïlandaise et les coutumes. De ce fait, elle ne s'est pas cassée la tête pour se choisir une tenue et elle a prise celle qui camouflait le mieux son corps.

Maintenant, elle était complètement désemparée : si l'agence avait eu l'intelligence de lui donner un document sur la Thaïlande, elle n'avait pas pensé à lui donner un plan de la ville où elle se trouvait. C'est en se grattant la tête qu'elle fit quelques pas hésitants vers la droite avant de se diriger vers la gauche.

Les bras ballants, elle se mit sur la pointe des pieds et tenta de regarder par-dessus les têtes qui se profilaient devant elle. Son regard tomba sur une tête turquoise qui dépassait les autres d'une bonne dizaine de centimètres. Elle ferma les paupières et tenta de se remémorer la carrure et le physique de son complique – complice qu'elle n'avait jamais rencontré d'ailleurs.

Elle visualisa un homme haut et fort, dénué d'émotion si on se fiait à son regard de glace et doté de cheveux colorés. Elle se souvint de ses pommettes hautes, de son nez droit, de ses pupilles bleus qui semblaient si profonde et de sa peau légèrement bronzé. Elle se surprit à rougir et elle secoua rageusement la tête : non elle ne pouvait pas craquer pour son complice, elle ne l'avait vu qu'en photo.

Certaine que l'homme aux cheveux turquoise était la personne qu'elle cherchait, elle avança droit sur lui et s'écarta d'un bond pour laisser des moines habillés d'une tunique orange passer. L'un d'eux la remercia d'un sourire et elle effectua rapidement un waï avant de continuer sa marche. Amélie était tombée dans une ville assez croyante si on se fiait aux nombreux groupes de moines qui déambulait ici et là. Ils étaient facilement reconnaissables avec leur tunique orange et leur crâne rasé. À chaque fois qu'elle en voyait un, elle se sentait obligée de s'écarter pour les laisser passer, comme s'ils étaient supérieurs à elle.

Elle qui aurait pu les tuer avec son petit doigt.

Amélie sourit à cette pensée et avança davantage vers son complice craquant. Lorsqu'elle avait eu douze ans – âge de la maturité lui avait-on dit -, elle fut enrôlée dans une sorte d'agence de tueur à gage. Elle avait été installée dans une chambre où il n'y avait qu'un lit et qu'un bureau. On lui avait donné une dizaine de combinaisons noires aussi identiques les unes et des autres. C'est en se remémora tout cela qu'elle s'arrêta devant l'homme aux cheveux turquoises.

Elle tressaillit lorsque ses yeux bleus croisèrent les siens. Elle n'y lisait aucune émotion, seulement de l'ennuie. Elle l'ennuyait. L'homme qui se trouvait devant elle ne l'avait pas reconnu et était ennuyé d'être dérangé de la sorte. Il s'apprêta à lui demander de dégager lorsqu'elle ouvrit la bouche, toute tremblote :

— Je cherche des pingouins mauves et on m'a dit que vous en aviez.

Il haussa un sourcil et étouffa un ricanement. Non, il n'arrivait pas à y croire. La fille qui se trouvait devant lui, cette petite chose fragile, était censée être une des fortes espionnes de l'agence? Elle avait quoi, quinze ans? Et elle mesurait à peine un mètre cinquante. Il croisa ses bras musclés sur son torse ferme et transperça Amélie du regard. Celle-ci déglutit difficilement et frappa le sol du bout de son pied.

— Et bien ma petite dame, vous arrivez trop tard, je n'ai plus de pingouins. N'empêche, je crois qu'il me reste deux ou trois girafes jaunes, répondit l'homme – aussi appelé Adam- en passant une main dans ses cheveux turquoises.

Un poids disparu des épaules d'Amélie : elle avait trouvé son complice, une partie de sa mission était terminée. Elle se sentit libérer et laissa même échapper un petit couinement de bonheur qui n'échappa pas aux oreilles d'Adam qui la fusilla du regard. Elle murmura un petit « désolée » et fourra ses mains dans ses poches pour se donner une contenance.

— Je propose qu'on aille discuter quelque part loin des oreilles indiscrètes... dit-elle en pointant du menton un homme qui ne les lâchait pas du regard.

Adam hocha de la tête et écarta une mèche turquoise. Amélie ressenti l'envie de passer sa main dans ses cheveux et de l'attirer vers elle pour ensuite...

Non, elle devait rester professionnelle! Elle s'écarta d'un pas et baissa la tête pour camoufler ses joues qui avait rosis.

— Allons manger du Khao niao ma mouang.

Amélie lui lança un regard perplexe et Adam lui répondit par un sourire las. Peut-être qu'elle était forte, mais elle avait l'intelligence d'une truite.

— Du riz gluant à la mangue, expliqua-t-il en l'invitant à le suivre.

*

C'est l'estomac plein que les deux coéquipiers prirent le bus en direction du centre-ville.

— Pour endormir l'orang-outan, on profitera de la bataille d'eau pour lui faire boire du coolie de fraise.

Amélie hocha la tête en traduisant sa phrase codée : pour tuer le dalaï-lama, ils allaient profiter de la grande bataille d'eau pour lui faire boire un poison qui agira dans son organisme et qui le tuera en une trentaine de secondes. Ils ne s'étaient pas donner rendez-vous par hasard, cette journée-là : ils étaient le treize avril et c'était aujourd'hui que débutait le Songkran, le nouvel an thaï. Et pour l'occasion, le dalaï-lama sera présent et participera à la grande activité soit les batailles d'eau.

— Est-ce que tu as le coolie de fraise avec toi?demanda Amélie tout en regrettant d'avoir tremblé lorsqu'il lui avait effleuré le bras.

— Il est dans ma poche, ma belle, ne t'inquiète pas,dit-il en prenant un malin plaisir à lui caresser la main.

Adam savait qu'il lui faisait de l'effet, même un aveugle aurait pu voir les tremblements d'Amélie lorsqu'Adam la touchait. Il savait qu'il était irrésistible et il aimait se sentir supérieur à cette jeune fille qui lui avait volé sa place de meilleur agent.

— Tu as quel âge, en fait? lança-t-il à-brûle-point en étirant le cou pour voir s'ils étaient arrivés à destination.

Amélie se tourna de sorte à se trouver face à lui et déglutit une nouvelle fois en croisant son regard. Comment était-ce possible d'être aussi beau? Elle avait regardé ses photos des jours entiers, elle croyait être prête à lui résister. Mais maintenant qu'elle se trouvait devant lui, elle se rendit compte qu'entre voir quelqu'un en photo et en réalité étaient deux choses complètement opposés. C'est en rougissant qu'elle répondit :

— Dix-neuf ans...

— Dix-neuf ans?! Tu ressemble à une gamine de quinze ans, s'écria Adam en ouvrant grands les yeux.

Amélie se renfrogna et s'empare d'une mèche de cheveux qu'elle se mit à entortiller autour de son doigt. Elle savait qu'elle faisait jeune, on le lui avait toujours dit. Mais entendre Adam le lui dire ne la faisait pas rayonner. Non, elle s'obscurcit.

— Et ça fait combien de temps que tu pratique ce métier?Elle leva les yeux au ciel devant la manière dont il avait dit le mot métier. Il a craché le mot comme s'il avait dit qu'elle travaillait comme prostitué.

— Sept ans. Adam leva haut les sourcils, stupéfait. Elle avait donc commencé à douze ans, c'était très jeune! Il s'apprêtait à lui répondre quand le bus s'arrêta brusquement. Au regard que lui lançait Amélie, il comprit qu'ils étaient arrivés à destination.

La mission allait enfin pouvoir commencer.

Ils allaient enfin tuer.

*

Armés de fusil à haut, Amélie et Adam contournèrent plusieurs habitants qui riaient aux éclats lorsqu'ils se faisaient asperger.Bien qu'Adam soit aussi sec qu'au départ, Amélie avait été touchée un bon nombre de fois. Elle tirait sur ses vêtements trempés qui lui collaient à la peau en grimaçant. Elle n'aimait pas cette sensation de vêtements mouillés,c'en était presque une phobie!

— Pourquoi je suis la seule à être attaquée?grogna-t-elle en fusillant le dos d'Adam.

Celui-ci haussa des épaules avant de s'arrêter. Là,à une vingtaine de mètres d'eux, se trouvait le dalaï-lama qui riait avec une petite fille aux couettes. Sa tunique était trempée mais cela ne semblait pas le déranger. Il remonta ses lunettes sur le bout de son nom sans se départir de son sourire et aspergea la petite fille au visage. Celle-ci poussa un cri strident avant d'éclater de rire. En voyant la scène, Amélie eut un pincement au cœur : cet homme était aimé, il ne méritait pas de mourir.Elle se mordit la lèvre inférieure en secouant la tête. Elle devait penser à l'argent, quinze millions de dollars pour la mort de cet homme. Elle pourrait faire tant de chose avec ce montant, ce n'était pas le moment de laisser l'humanité la submerger.

— Tuons-le, dit-elle en tirant la manche d'Adam qui fixait encore leur cible avec une envie de meurtre à peine dissimulé.

— Faisons notre travail et fichons le camp d'ici,ajouta-t-il avançant, l'arme braquée sur le-dalaï-lama. Amélie hocha la tête et le suivit, son fusil serré contre son flanc.

Lorsqu'ils arrivèrent à la hauteur du dalaï-lama, Amélie feinta un évanouissement pour attirer le regard vers elle. Tous braquèrent le regard sur elle – de même que les gardes du dalaï-lama – et elle gémit comme pour attiser davantage la curiosité des gens. Adam masqua un ricanement quand Amélie émit une plainte et s'approcha doucement du dalaï-lama qui tentait de se frayer un chemin vers la jeune fille. Adam vint se poster à sa hauteur et lui tapota timidement l'épaule. Lorsque le dalaï-lama se tourna vers lui, Adam lui offrit un magnifique sourire et l'aspergea de son eau empoisonné. Surpris, le vieil homme ouvrit la bouche et avala l'eau. Adam effectua rapidement un wai et lui offrit ses condoléances avant de s'enfuir. Le dalaï-lama, perplexe, n'eut que le temps de se cligner des yeux qu'il s'affala sur le sol, complètement mort. Des cris stridents se mirent à retentirent ici et là et tous se désintéressèrent d'Amélie qui se releva doucement avant de courir rejoindre Adam qui l'attendait, en retrait.

— Il est mort, dit-elle en empoignant ses cheveux mouillés.

— Oui,répondit-il en fixant un point au loin.

Amélie fut surprise de son ton tranchant, elle était certaine qu'il allait fêter ça. Mais non, il semblait ennuyé, voire même un peu triste.

— Tu voulais qu'il survive?

— Non, mais c'était trop simple. Je préfère poignarder mes cibles.

Amélie hocha la tête : cette mission l'avait ennuyée, elle aussi. Elle préférait mieux tuer avec son fidèle fusil qu'avec du poison.

— On devrait y aller, murmura-t-elle en regardant derrière son épaule, quelqu'un a dû appeler la police.

 Adam hocha la tête et ils partirent sans un regard en arrière. Même si aucun des deux ne voulait se l'avouer, ils avaient aimé travailler ensemble.

Ils avaient aimé leur coéquipier.

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