Nouvelle #6

Je suis seule.

Toujours seule.

Si seule que même la vie ne veut pas me tenir compagnie.

Assise sur mon banc, je regarde à la dérobée deux jeunes adolescents qui se partagent un sandwich. J'aimerais leur toucher le bras, caresser leur barbe naissante et leur murmurer des douces paroles. Ils ne me jettent pas un seul regard, même pas un tout petit, et continue leur discussion en essuyant leurs lèvres pulpeuses pleine de miettes. J'aimerais tant être une de ses miettes et m'accrocher à leur visage. J'aimerais tant être cette miette qui se fera toucher et caresser.

Je pousse un soupir et serre ma robe noire tout en regardant les deux adolescents se lever. L'un deux se tourne vers moi et je sens mon cœur faire un bond dans ma poitrine. Un doux sourire vient se déposer sur mes lèvres et ma bouche s'entrouvre pour laisser passer de légères paroles. Néanmoins, le garçon ne me regarde pas. Il ne plonge pas son regard vert menthe dans le mien, il ne se penche pas pour observer mon visage angélique. Non, il regard par-dessus ma tête et secoue la main en souriant. Ce sourire ne m'est pas destiné, il est destiné à une jeune rousse qui se dirige en toute hâte vers le garçon. Celui-ci ouvre grand les bras et la fille vient se réfugier dedans. Elle place sa tête sur son épaule et sent son odeur. Cela semble chatouiller le garçon aux yeux verts puisqu'il glousse en recouvrant la tête de la fille de baisers.

Un élan de jalousie me transperce le cœur et je sens mon corps se tendre. J'aimerais être à la place de cette fille et être chouchouter par mon petit ami. J'aimerais être la fille qui se fera embrasser, enlacer et dorloter.

Mon regard se tourne vers l'autre adolescent. Il est en retrait, le regard fixé sur son cellulaire. J'aimerais qu'il vienne s'assoir sur mon banc, avec moi et qu'il me laisse l'enlacer. Je voudrais qu'il s'approche de moi, me caresse la joue et vienne se réfugier dans mes bras.

Je voudrais qu'il vienne s'assoir sur mon banc, à mes côté et que nos mains s'entrelacent. Je voudrais tant que ma froideur l'encercle et le garde prisonnier pour toujours. Mais c'est impossible, il ne peut pas venir s'assoir sur mon banc. Il ne peut pas pour la simple et bonne raison que ce banc n'existe pas pour lui. Il regorge de vie, il est donc impossible pour lui de voir le banc de la Mort. Seuls les morts ou ceux qui doivent mourir dans les minutes qui viennent peuvent le voir et s'assoir dessus.

Je regarde donc le trio s'éloigner de moi, me laissant seule. Je défroisse ma robe noire et tends les jambes devant moi. Je porte ensuite mon poignet à la hauteur de mes yeux et fixe ma montre. Encore deux minutes à attendre.

— Est-ce que je peux m'assoir? me demande une voix fluette au-dessus de moi.

Je lève les yeux et croise le doux regard océan d'une jeune fille. Elle semble si sereine avec ses cheveux blonds vénitiens qui encadrent son visage constellé de tache de rousseur. Mon regard descend plus bas et j'avise ses vêtements. Elle est habillée d'une courte robe rouge et de petites chaussures noires.

— De quel couleur est ta robe? lui demandé-je en lui souriant pour la rassurer.

Elle regarde sa robe, perplexe, avant de croiser à nouveau mon regard.

— Ma robe est blanche, me répond-t-elle en sautillant. Maman m'a obligé à la mettre parce que c'est le mariage de ma tata.

— Et tu as quel âge?

Elle cligne des yeux et porte un doigt à ses fines lèvres rouges. Elle se dandine d'un pied à l'autre et fixe la place libre à coté de moi. Je sens qu'elle veut s'assoir à mes côtés. Elle est fatiguée, elle ne veut que reposer ses petites jambes.

— Quel âge as-tu? lui demandé-je à nouveau.

— Neuf ans.

Je hoche la tête et me tapote le menton du doigt.

— Où sont tes parents?

Elle hausse des épaules et virevolte. Sa robe rouge effleure mes jambes et je me dépêche de les ramener vers moi.

— Je sais pas. La dernière fois que je les aient vus, maman criait à papa de ralentir. Elle faisait des larges mouvements des bras et papa tentait d'arrêter la voiture.

— Et pourquoi es-tu dans ce parc?

Elle hausse à nouveau des épaules et un masque de peur vient se déposer sur son visage enfantin.

— J'ai dû sortir de la voiture et me diriger vers ce parc. J'aime pas ça quand papa et maman crie, ça me fait mal au cœur.

— Intéressant. Donc tu es sorti de la voiture et tu t'es dirigée vers ce parc.

Elle hoche de la tête et s'approche d'un pas vers le banc. Je grogne pour l'effrayer et elle recule d'un bond. Elle ne s'assoira pas sur ce banc. Pas tout de suite.

— Oui, je suis venue dans ce parc. Maintenant je peux m'assoir? Je suis vraiment fatiguée et il n'y a qu'un seul banc. Je veux pas m'assoir par terre, ma robe blanche sera toute sale.

Je fronce les sourcils et regarde autour de moi. Il y a plus d'un banc.

— Tu peux me décrire se qui t'entoure?

Elle tourne la tête à droite, puis à gauche, avant de revenir vers moi.

— La terre est rêche et fissuré par endroit, il n'y a plus une seule plante. Le ciel est gris et semble agité, comme s'il allait exploser d'un instant à l'autre. Le soleil est caché par des dizaines de nuages noirs qui semblent grossir. Je ne vois pas d'arbre et c'est censé être un parc. La seule chose qui m'assure que s'en est un, c'est les balançoires là-bas.

Elle a tout faux. Le parc resplendit de vie, des enfants courent partout en tenant des cerfs- volants, le soleil n'est pas caché. La terre sous mes pieds semble en bonne santé, il n'est ni rêche ni fissuré. Le ciel est d'un bleu azur et de magnifiques nuages blancs volent par-ci par-là.

Je pose une main sur le bras de la jeune fille en souriant. J'en étais certaine : sa peau est glaciale comme une nuit hivernale.

— Tu peux venir t'assoir, ma belle. Tu as répondu à toutes mes questions avec brio.

La fille étouffe un cri de joie et vient s'assoir sur le banc à mes côtés. Je lui caresse les cheveux d'un geste absent tandis qu'elle sourit. Elle mouline des bras en riant aux éclats et me pointe quelque chose au loin.

— C'est mon papa et ma maman! Ils sont là et ils me cherchent! Je devrais y aller, ils semblent inquiets.

Je secoue la tête et enroule ma main sur son poignet. Je la tire vers moi et la plaque sur ma poitrine

— Tu t'es assise sur mon banc, tu m'appartiens maintenant.

— Quoi? balbutie-t-elle en tentant de se dégager.

J'appuie mon menton sur sa tête blonde.

- Ma chérie, quand tu a décidé de venir t'assoir sur mon banc, tu as renoncé à la petite parcelle de vie qui te restait.

- Je comprends pas, pleurniche-t-elle.

- Tu as eu un accident de voiture. Ta robe n'est plus blanche, mais rouge à cause de ton sang. Ce n'est pas toi qui t'es dirigée vers ce parc mais ton âme. Et ce que tu m'as décrit, c'est l'autre monde, l'endroit où les âmes flânent.

Maintenant, elle semble effrayée. Elle tente de me donner des coups de pieds, mais je la tiens trop fort.

- LAISSEZ-MOI PARTIR! MAMAN, PAPA, JE SUIS LÀ!

Je desserre un peu ma prise pour rabattre ma capuche noire. Ensuite, je m'empare de ma lame et je coupe la terre devant moi en deux.

- Je te souhaite de trouver ton bonheur dans la mort, dis-je à la petite fille avant de la pousser dans le trou.

Son cri s'atténue petit à petit et disparait complètement quand la terre se referme. Ensuite, je dépose ma lame à côté de moi, enlève ma capuche et regarde les passants.

J'attends ma nouvelle âme.

Elle arrivera bientôt, très bientôt.


Salut! Donc j'espère que la lecture vous a plu.

Cette nouvelle (très courte, je l'admets) est pour un concours et j'aimerais bien que vous me dites se que je devrais changer ou améliorer.

Merci d'avance <3

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top