Chapitre 2
Le lendemain matin, c'est avec nettement moins d'appréhension que Léandre s'avança vers sa deuxième journée de cours. De toute façon, mieux valait encore venir au lycée que de rester dans le nouvel appartement, aussi désert que déprimant. L'entrainement avait terminé tard la veille et chacun s'était hâté de rentrer chez soi, aussi les échanges dans les vestiaires avaient été limités. Mais dans l'ensemble, l'ambiance avait l'air bonne. Même s'il allait devoir mettre les bouchées doubles pour retrouver son niveau, surtout pour le jeu au pied, il s'était senti rassuré. Il n'était pas tellement à la ramasse vis-à-vis de ses nouveaux coéquipiers, ce qui était soit en sa faveur, soit inquiétant pour le niveau global.
En approchant du lycée, il aperçut un de ses coéquipiers : celui avec les tresses qu'il avait repéré comme étant dans une partie de ses cours. Sa grande et large carcasse adossée avec désinvolture au mur que la pollution parisienne avait grisé, il ajoutait aux pots d'échappement des voitures alentours en fumant une cigarette. Avisant Léandre, il le salua d'un geste de la main et d'un grand sourire de branleur qui l'incita à s'approcher. Tôt ou tard, il devrait reprendre l'habitude de socialiser, et l'occasion semblait plutôt bonne. Désignant le moignon de cigarette qui finissait de se consumer, Léandre ironisa :
— Pas sûr que ça rentre dans les critères de bonne conduite du coach.
Le grand jeune homme éclata de rire et écrasa son mégot sur sa semelle avant de le jeter négligemment dans une poubelle à proximité.
— Il a d'autres chats à fouetter, plus emmerdants que moi. Tant que je tiens le coup en mêlée, il est content et ne me prends pas la tête.
— Tu es pilier ? demanda Léandre en inspectant la large stature du métis.
— Deuxième ligne en fait, mais je peux monter en première si besoin. Je suis archi polyvalent, ricana-t-il.
Tendant une poigne solide à Léandre, il se présenta.
— Valentin au fait. On est dans la même classe de tronc commun. Bienvenue dans l'équipe, ainsi qu'au bagne, désigna-t-il le lycée derrière eux.
— Léandre, et merci. Ça va, j'ai connu bien pire en terme de prison. Mon ancien bahut était en travaux permanents, on passait notre vie dans des préfa pourris.
— Tu arrives de Bordeaux ? c'est ça ?
— Pessac plus exactement, mais le lycée était à Talence, juste à côté de Bordeaux.
— Et qu'est ce qui t'amène à Paris ? Ça doit être chaud de quitter le CREPS pour un lycée normal, même avec une section rugby aménagéE, questionna carrément Valentin.
— Problème familiaux, éluda Léandre comme à l'accoutumé. Et puis mon père a changé de taf donc on a suivi à Paris, et du coup me voilà.
Tout en discutant, ils s'étaient mêlés aux flots d'adolescents qui se dirigeaient doucement vers leurs salles. Ils furent vite rejoints par un immense gars aux cheveux cendrés coupés ras et aux airs de nounours sous stéroïde dont les larges épaules et le survêtement trahissaient son appartenance à l'équipe. Il était accompagné du blond plus petit et plus léger que Léandre avait repéré la veille, dont la mine constipée rendait évident qu'il n'était pas super ravi de le voir.
— Léandre, tu les as croisés vite fait hier mais je te présente Colin, notre incroyable pilier, et Louis, demi d'ouverture. Ils sont en terminale aussi mais dans une autre classe.
Ils se serrèrent la main. Le plus grand, Colin, était amical et malgré sa carrure de colosse, sa poigne était aussi douce que son sourire. Léandre le trouva tout de suite sympathique, dans le genre gentil géant. Louis en revanche lui laissait une impression mitigée. Au-delà de la rivalité qu'il semblait déjà entretenir avec lui, stupidement d'après Léandre, puisqu'après tout à leur âge ils étaient censés être relativement souples et adaptables sur les postes occupés, il n'aimait pas tellement sa manière de l'évaluer, fronçant légèrement son nez étroit en avisant le peu d'effort vestimentaire dont il s'était rendu coupable, à nouveau. Il sourit intérieurement à la pensée qu'il avait peut-être trouvé son Drago Malefoy, en un peu plus musclé tout de même.
Ils avaient grimpé l'escalier et se dirigeaient vers leurs cours respectifs quand Léandre entendit soudain Louis siffler entre ses dents.
— Cette saloperie de pédé est toujours là. Je ne peux pas croire qu'on va encore devoir se le farcir toute une année, putain !
Abasourdi par le ton fielleux et la violence des paroles de son coéquipier, Léandre écarquilla les yeux et suivit son regard furibond. Apparemment, l'objet de sa colère était un jeune homme élancé, aux cheveux châtains ébouriffés, qui discutait avec animation avec une demi-douzaine d'élèves rassemblés autour de lui et qui semblaient boire ses paroles. Léandre s'attarda quelques instants sur le jean slim et le tee-shirt noir moulant qui habillait l'adolescent, ainsi que la veste trop grande, de type surplus de l'armée, qu'il avait négligemment jeté sur ses épaules. Le plus marquant chez lui restait clairement ses chaussures, de banales converses blanches, bien amorties, qu'il avait customisées avec une multitude de patchs aux couleurs de l'arc-en-ciel. Probablement conscient des regards des quatre rugbymen fixé sur lui, il s'interrompit et regarda par-dessus son épaule. Léandre entraperçu des traits fins et un regard couleur d'ambre qui le jaugea rapidement, avant qu'il ne se détourne et ne se concentre sur sa cour d'admirateurs.
Il fut ramené à la réalité par un grognement furieux suivi d'une violente bourrade de Valentin sur l'auteur des insultes.
— Putain, Louis, ne recommence pas ces conneries ! grogna le jeune homme qui avait perdu toute son attitude décontractée. Tu as entendu le coach, pas de merdes de ce genre au lycée ou en dehors, alors arrête de faire ton enfoiré ! En plus, tu sais parfaitement que si tu déconnes avec Noah tu fous toute l'équipe dans la merde, alors fais gaffe, sérieux, y a pas plus hors limite que lui...
Colin ajouta avec calme.
— Il a raison, ça tourne limite à l'obsession alors lâche l'affaire, Louis. Je dis ça pour toi.
Louis leur décocha une moue méprisante et sans plus répondre, se dirigea droit vers sa salle de classe, sans prendre gardes aux élèves de seconde sur sa route qu'il bouscula allègrement.
Valentin le suivit des yeux, la mâchoire serrée. Colin se balança d'abord sur ses talons avec incertitude avant de saluer Léandre d'un placide « à toute, mec ! » puis de suivre son ami.
Un peu gêné par l'altercation, Léandre frotta sa main sur sa nuque et regarda Valentin en biais.
— C'était quoi ça ?
Valentin soupira et haussa les épaules avec écœurement.
— Des merdes qui se répètent, encore et toujours.
Il l'examina avec attention.
— Je suppose que tu dois être mis au courant, vu que tu es dans l'équipe maintenant. De toute façon, tout le monde sait tout dans ce foutu lycée, alors autant te raconter la totale plutôt que te laisser avaler toutes ces rumeurs à la con.
La sonnerie retentit, annonçant le début de l'heure. Accélérant le pas, les deux jeunes gens se dirigèrent vers leur salle et s'installèrent l'un à côté de l'autre pour leur premier cours d'anglais. Tout en déballant ses affaires Valentin chuchota.
— Tu déjeunes avec moi à midi ? Je te ferais un topo sur l'équipe et le lycée de manière générale si ça te dit.
Supposant que ce topo inclurait la haine que portait Louis au mec du couloir, et devant bien reconnaitre qu'il était curieux, Léandre acquiesça d'un signe de tête, avant de reporter son attention sur la prof qui leur souhaitait la bienvenue.
Arrivé midi, il avait néanmoins chassé de son esprit l'incident du début de matinée. Escorté par Valentin, Léandre se dirigea vers le self où ce dernier rejoignait ses amis pour le déjeuner. Il y retrouva Colin, sans Louis cette fois, et fut présenté à un certain nombre d'élèves qui constituaient apparemment une bande soudée. Il salua ainsi Nicolas dit Nico, dégingandé et volubile, hélas recouvert d'acné, pilier de l'équipe et élève de terminale, Julien, rouquin à taches de rousseur et air malicieux, talonneur et en classe de première, et enfin sa petit amie, Emma, une jolie brunette qui semblait parfaitement à l'aise au milieu de toute cette testostérone. Ils se joignirent à une table plus grande où mangeaient déjà d'autres élèves parmi lesquels Léandre reconnut d'autres rugbymen, qu'il salua d'un simple signe de tête. Sans faire plus de manières, chacun se concentra alors sur son plateau de steak haricots frites, avec plus ou moins d'élégance.
— Louis ne mange pas avec nous ? s'informa Julien en arquant ses sourcils en direction de Colin, ce qui ne faisait que renforcer son apparence de lutin.
Ce dernier grimaça et répondit d'une voix posée.
— Il n'est pas d'humeur. Valentin a encore dut le recadrer ce matin alors du coup il se console avec la bande des fils de bourges.
Il désigna du menton une table où Léandre remarqua en plus du blondinet certains des élèves qu'il avait déjà catalogués, au vu de leurs fringues et d'un certain air qu'ils se donnaient, comme faisant partie de l'élite sociale du lycée, tendance très très friquée.
Valentin rigola en dévoilant toutes ses dents, apparemment de nouveau dans son personnage de mec cool et décontracté.
— Tant mieux pour lui et pour nous. Ils se méritent et bon débarras....
Alors que Colin, que Léandre rangeait de plus en plus dans la case des gars gentils, pas compliqués et pas bavards, semblait hésiter entre défendre son coéquipier et approuver, Nico posa la question que chacun avait en tête en regardant Valentin, évident leader informel du petit groupe.
— Qu'est-ce que sa Majesté a encore foutu ?
Il haussa les épaules et leva les yeux au plafond.
— Rien de nouveau, que du vieux. Il ne supporte toujours pas de croiser Noah, ça lui file des envies de meurtre. Il fait chier, c'est tout. Il n'a qu'à prendre sur lui et arrêter de nous péter les couilles avec cette histoire.
Si Léandre avait quasiment zappé cet épisode, sa curiosité revint en force et il chercha machinalement du regard le fameux Noah dans le self bondé, sans l'y trouver.
Se retournant vers ses camarades en général et Valentin en particulier, il demanda.
— Tu me racontes ? C'est quoi l'histoire ?
Comme le grand métis semblait chercher ses mots c'est Nicolas qui passa nerveusement sa main dans ses cheveux bruns, bien organisés en pics gélifiés, et décida de le mettre à niveau.
— Tu touches aux dossiers sensibles de Carnot, le vieux linge sale bien pourri de notre belle famille. Il y a un gros contentieux entre certains joueurs de l'équipe et Noah, depuis bientôt trois ans.
Alors que Léandre le dévisageait sans vraiment comprendre, Valentin soupira et expliqua.
— Le truc c'est que quand Noah a fait son coming-out, en début de seconde, il était le premier à être ouvertement gay dans le bahut. Les anciens joueurs de l'équipe ont été des vrais connards à ce sujet et ils l'ont un peu emmerdé pendant des semaines, après ça.
Nico roula des yeux devant cette minimisation flagrante.
— Ouais, enfin, ils l'ont harcelé bien comme il faut quoi. L'ancien capitaine qui était en première et ses meilleurs potes étaient juste des enfoirés et ils l'avaient dans le pif. Ils lui ont fait toutes les merdes possibles : des tacles dans les couloirs, la tronche dans les chiottes, lui voler ses affaires, l'insulter. C'était carrément dégueu.
Léandre dévisagea ses trois coéquipiers de terminale avec incrédulité.
— Mais vous étiez déjà dans l'équipe vous, non ?
Un air honteux traversa les traits réguliers de Valentin.
— On était en seconde, les bizuts de l'équipe. Julien et Emma n'étaient pas encore au lycée, ils ne peuvent pas se rappeler. C'était une période pourrie et on a été supers cons nous aussi, je le sais parfaitement.
Nico précisa avec solennité.
— On ne l'a jamais harcelé nous-même, mais on ne l'a pas défendu et on n'a rien dit à personne. Ce n'était pas la période la plus brillante de ma vie, j'avoue...
Valentin reprit.
— Les choses ont fini par se tasser en milieu d'année et on a cru que c'était terminé. Noah a repris le blog du lycée et l'a complètement transformé en un truc vraiment sympa à lire, il s'est fait des potes et est devenu bizarrement populaire. Faut dire que c'est un mec super brillant, les profs l'adorent et il a pas mal d'admiratrices.
— Pour ce qu'il en fait franchement... marmonna Julien d'un air faussement jaloux qui lui valut une tape sur la tête d'Emma et un ricanement général.
— Il est vraiment... gay alors ? demanda Léandre, choisissant ses mots avec précaution.
Valentin le jaugea d'un air suspicieux.
— Ouais et il ne s'en est jamais caché. Ça te pose un souci à toi aussi ?
Léandre leva les mains dans un geste défensif.
— Mais pas du tout ! Je suis juste étonné, quand Louis l'a traité de pédé j'ai cru que c'était juste une insulte, tu vois. Moi je m'en tamponne, c'est sa vie, pas la mienne. Je me posais juste la question parce que bon, je ne sais pas, mais c'est rare d'assumer à notre âge, non ?
Julien agita ses boucles flamboyantes.
— Ouais c'est clair, mais Noah assume à peu près tout alors bon... Il est pédé mais il a de sacrées couilles, si tu veux mon avis.
Emma qui était jusque-là restée silencieuse battit des cils vers son amoureux avec une ironie mordante.
— C'est si joliment dit mon cœur ! Tu es toujours si poétique.
Alors que Julien s'excusait de sa grossièreté et tachait d'expliquer à sa copine qu'il pouvait effectivement être très poétique tout en lui léchant l'oreille, Léandre reporta son attention sur Valentin. A ce qu'il semblait l'histoire était loin d'être terminée.
— Breeef, reprit ce dernier d'une voix trainante, début de première, tout était calme, certains des anciens idiots étaient partis mais les pires étaient encore en terminale et là, énorme bordel... Je t'ai dit que Noah était devenu rédac chef du blog du lycée. Avec ses potes, il l'a vraiment remanié dans un style vrai journal, avec des articles sur pleins de sujets et pas seulement les derniers ragots et les concours de popularité à la con. On était en quoi, en octobre ? Il a écrit et diffusé un article sur l'équipe et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il nous a foutu dans la merde jusqu'au cou.
Comme Léandre les dévisageait sans comprendre, Nico précisa, la bouche tordue.
— Il faut savoir que les deux anciens coachs n'avaient rien à voir avec ceux d'aujourd'hui. Le mec de la fédé ne cachait pas qu'il considérait le poste comme un tremplin pour devenir entraineur d'une équipe pro, et nous mettait une pression de folie. Et le prof d'EPS était un vieux pochtron qui n'en avait rien à carrer et le laissait complétement gérer.
— Ça avait complètement dégénéré au fil des années... ajouta Valentin. Les joueurs étaient poussés à bout et certains se sont blessés à cause de ça. Plus grave encore, le coach filait des prods à certains joueurs, principalement des stéroïdes. Il les couvrait en permanence, même quand ils se comportaient comme des connards avec plein de monde... Il y avait même un trafic de devoirs rédigés par de bons élèves, pas toujours volontaires, pour leur permettre d'assurer en cours et de ne pas perdre leurs places sur le terrain.
Léandre était abasourdi et ouvrait des yeux noirs immenses.
— Putain c'est dingue comme histoire ! Et il a raconté ça dans son article ?
Valentin eut un petit rire dépourvu de chaleur.
— Il a tout balancé. Je ne sais pas d'où il tenait toutes ses informations mais tout était raconté en détail, avec les dates, les lieux, tout. Il y avait même des photos de pilules qu'il avait retrouvées dans les vestiaires. Il y avait aussi des témoignages de plein de monde, des anciens joueurs qui avaient du tout lâcher à cause de blessures ou qui avaient eu des soucis de santé, des filles que les gars de l'équipe avaient harcelées voir même agressées et à qui le coach avait dit de la fermer, des intellos qui avaient été emmerdés et forcés à écrire des devoirs... ça a été un énorme scandale.
Il secoua la tête, visiblement encore écœuré. Nico compléta, les coudes bien calés sur la table et son dessert oublié.
— La fédération a logiquement été saisie du dossier, et les deux entraineurs ont été virés et remplacés. Le proviseur qui s'était allègrement lavé les mains de tout ce bordel a demandé sa mutation, et la moitié des gars de l'équipe a été renvoyé à casa.
— Vous n'avez pas eu d'emmerdes ?
— Non, rien ne nous mettait directement en cause. On a écopé d'une période probatoire, comme tout le reste de l'équipe, mais Noah n'a jamais cherché à nous balancer. Et franchement, c'était logique, nous n'étions pas dans les embrouilles du coach et des autres gars.
— Et Louis du coup ? demanda soudain Léandre en revenant à ce qui avait initialement lancé le sujet.
Valentin, Nico et Julien se regardèrent en grimaçant, Colin toujours très concentré sur son plateau qu'il avalait avec régularité.
— Il n'a jamais été suspecté non plus. Par contre, il était très pote avec certains mecs, le capitaine en particulier, et il a toujours cette histoire coincée dans la gorge.
— C'est un truc de taré quand même... Et Noah, après, il n'est pas devenu un paria au lycée ? Personne n'aime les balances, d'habitude.
Emma sourit avec finesse et intervint.
— Ce que les gars ne disent pas, c'est qu'il était loin d'être le seul à détester les joueurs de l'équipe à l'époque. Les bourges de lycée ne les aiment pas de manière générale, parce qu'ils n'ont pas les standards pour être ici et ne collent pas à l'image hype du bahut, et les intellos les détestaient parce qu'ils se comportaient comme des abrutis, même si ça s'est amélioré, heureusement. De manière générale, une bonne partie du lycée trouvait qu'ils avaient bien mérité ce qui leur tombait dessus. Noah était devenu franchement populaire grâce au blog et il a été très soutenu.
Julien ajouta, calé contre sa copine.
— Dans la foulée, il a créé son assoc anti-discrimination machin. Il s'est présenté à l'élection des représentants des élèves et pof, le voilà devenu la big star du lycée.
— L'article sur l'équipe a même été commenté dans des grands journaux, Libération et Médiapart en particulier. Je suis étonné que tu ne sois pas tombé dessus en faisant des recherches sur le lycée, commenta Valentin en regardant Léandre.
Ce dernier grimaça intérieurement. Inutile de préciser qu'au moment de son inscription, il ne s'était pas intéressé le moins du monde à la réputation du lycée. Seule sa localisation et le fait qu'il pourrait y jouer au rugby avaient compté pour lui. Il se souvint soudain d'une phrase entendu la matinée et rebondit, changeant adroitement de sujet avant que l'attention se ne porte sur lui.
— C'est pour cela que tu as dit à Louis que Noah était hors limite ? Il est genre protégé ?
— Pour être honnête, toute l'équipe est sous surveillance de la direction du lycée et de la fédé. S'en prendre à lui ce serait carrément suicidaire. Noah a apparemment tourné la page et fiche la paix à l'équipe depuis des mois. C'est plutôt un mec sympa quand on ne le fait pas chier alors j'essaye de faire en sorte que ça reste ainsi. Pas besoin de réveiller les emmerdes. Je suis sur les rangs pour être nommé capitaine cette année, et je veux juste qu'on reste concentrés sur le championnat et c'est tout. Le gars n'a clairement pas besoin de moi pour le défendre mais je te garantis que je ferai en sorte que tout le monde se tienne à carreau.
Léandre hocha la tête. Il pouvait voir que Valentin avait les qualités d'un bon capitaine sous ses airs désinvoltes. Il ne connaissait pas encore le reste de l'équipe mais de ce qu'il avait pu comprendre de la dynamique générale des uns et des autres, ce serait un choix cohérent de la part des entraineurs. Une autre question lui traversa l'esprit.
— C'est quoi l'assoc anti discrimination?
Avec un sourire enthousiaste, Emma expliqua.
— C'est vraiment bien, c'est inspiré des clubs américains pour lutter contre le harcèlement et les discriminations. Ils font venir des associations pour parler aux élèves, font des expos sur la lutte pour les droits civiques, l'histoire du féminisme et les droits LGBT, ce genre de trucs. Ils mettent aussi des professionnels, genre avocats ou psy, en relation avec les élèves qui ont des soucis. Je vais souvent à leurs réunions le jeudi soir, il y a une super ambiance. Tu devrais passer !
Léandre hésita quelques instants, songeur. Chloé aurait adoré avoir ce type de clubs dans son école. Elle aurait d'ailleurs tout autant adoré ce type, Noah, et cette histoire d'article. Elle se rêvait en lanceuse d'alerte, avocate à la rescousse des opprimés ou politicienne défenseuse des droits de l'homme. Cette pensée lui envoya une flèche douloureuse dans la poitrine et il tenta de se concentrer sur le regard plein d'espoir que lui adressait la petite brune.
— Euh merci, c'est cool mais habituellement on a entrainement le jeudi, pas vrai les gars ?
Julien lui adressa un clin d'œil et sourit en regardant sa petite-amie avec tendresse.
— Je confirme chérie, il n'est pas dispo. Et puis, tu sais bien que nous autres joueurs de rugby machos et rétrogrades on ne peut pas se mêler à vous autres, féministes et militants de gauche. On flipperait bien trop de se faire lyncher !
Elle lui renvoya un coup de coude dédaigneux dans les cotes sous les rires de la tablée et il glapit. Le sujet ayant été épuisé, la discussion reprit alors sur les profs qu'ils avaient retrouvés, du vieux sadique de philo à la ravissante doctorante qui assurait les cours d'espagnol, le programme des matchs de l'automne et la vie lycéenne en général. Léandre constata avec surprise et un brin de plaisir qu'il se sentait vraiment à l'aise, ce qu'il aurait eu du mal à imaginer vingt-quatre heures plus tôt. Les gens ici étaient plutôt cools, décida-t-il, en tous cas ceux assis à cette table. Il ne réalisa pas qu'alors qu'il écoutait du bout de l'oreille les plaisanteries de ses nouveaux amis, ses yeux balayaient sans résultat le réfectoire bondé, à la recherche d'un tee-shirt noir et d'un regard doré.
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