Après quelques mois, j'ai fini par retenir le nom de ses plantes : Maggi la monstera, Fanny la phalangère, Auriane l'orpin de Morgane, Calypso le cactus tête de vieillard et, ma préférée, Chantale la chaîne de cœurs ; ainsi que la quantité d'eau à leur pourvoir, et à quelle fréquence. Plus que me donner le double des clefs – après un petit mois de relation seulement –, c'est sa confiance dans mes capacités à faire survivre ses bébés qui m'a donné cette sensation diffuse mais non moins grisante que nous construisions quelque chose toutes les deux. Quelque chose qui durerait tant que le chœur chlorophyllé resterait verdoyant. Et plus d'un an après, tout va bien de leur côté. Mais :
– Peut-être que je guette avec anxiété toute apparition jaunâtre chez nos protégées.
– Peut-être que je sais que notre histoire ne tient pas au bien-être des p'tites plantes qui joyeusent son appart'.
– Peut-être que ça m'empêche ni d'angoisser, ni de m'en vouloir quand j'oublie la cuillère mensuelle de Calypso.
– Peut-être que tout ça n'est pas important face au foisonnement d'amour que provoque Véra en moi, jungle dense, pleine de moiteurs et de doigts de lumière, d'une canopée luxuriante et de mousses gorgées de vie jusqu'à exsuder de gouttes laborieuses qui lentement ruissellent le long de troncs à l'écorce vive et dure.
L'écorce, c'est du mort, ça étouffe, sans cesse la repousser, respirer de tous ses poumons pour gonfler la poitrine, devenir voilier, toujours créer de nouveaux réseaux de sève : s'irriguer de joie.
La mousse, c'est ce qui m'accueille lors d'un pèlerinage dans mon cagibi – une sombre histoire de manteaux à ranger dans une valise pour en ressortir les hauts printaniers. J'allume donc la lumière trop blanche du néon. L'éclaircie martienne filtre dorée à travers les trous du rideau vieux de deux bons siècles. J'ai du mal à réprimer un frisson de tristesse en entrant dans cette pièce que je n'ai jamais habitée – tout au plus encombrée. Soupir, j'exhale la dépression qui menace de me coller à la peau comme du tabac froid. Se concentrer sur les actions, mécanique efficace, en finir au plus vite, jusqu'au cliquetis des clefs et le claquement libérateur du verrou – le conjurer de mes gestes précis, chaque zzzip une étape de plus de franchie vers la fuite.
Sauf que cette hideuse tache noire grippe la machine. Elle grignote un coin de la pièce, l'air pas gênée de squatter mon taudis. Glisse les doigts : humide -> isolation naze. Fenêtre simple vitrage, pas d'aération. Pondération : laisser la fenêtre ouverte ? Risque de dégradation plus important. Tant pis, nettoyer avant l'état des lieux et basta. T'façon iels devraient tout refaire, c'est pas ma faute. Trois gestes, fringues échangées, je me casse.
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