Lien, ligature

En rallumant mon PC, l'odeur de moisi vient à nouveau envahir mes narines déjà bien mises à l'épreuve. Trop peur de le casser en versant quelques gouttes du produit sur mon clavier. J'ai une meilleure idée : je lance le jeu le plus gourmand que j'ai d'installé et un rictus sadique apparaît sur mon visage alors que mon ventilateur se met à souffler pour tâcher de garder mon processeur et ma carte graphique aux environs de 80°C.
J'vais la frire.
En attendant, je descends au local poubelle.

Je profite de la séance de cuisson pour m'écrouler un moment sur mon lit, pause bien méritée tout bien considéré. La peinture du plafond est écaillée et une tache un peu plus claire peine à masquer une fissure. Ma respiration devient chape puis fleuve langoureux et je me perds dans les étangs et les confluents de mes basses nuées et les constellations se déforment, se jouxtent et s'assimilent pour mieux se recombiner : un visage se divise et deviens baiser, une silhouette coule au fond, sans cesse reformée, des muscles noueux muent en une poitrine, de longues jambes se multiplient en cils, un poing se liquéfie en vulve, un nez s'allonge en pénis et je sursaute, un collier de sueur.
Le ventilo de mon ordinateur ronronne mécontent.
Je titube, alt f4, buée noire, staccato de souffle et mon crâne dévoré de lumières, fourmis de couleurs. Je vois, retire mon ongle de mon pouce, souffle un grand coup.
Mon PC cesse de ventiler, je déglutis.

« Véra ?
– Oui mon amour ?
– Tu me manques, fort.
– Oh, toi aussi !
– J'aime pas être dans ma chambre.
– Je sais... Tu déprimes pas trop ?
– Hm, je crois un peu quand même.
– Prends soin de toi ma chérie...
– Tu penses qu'on pourra se faire un date ? Avant que tes parents ne repartent.
– Je crois, attends... Après-demain ?
– Soir ?
– Oui ! Papa et maman vont voir un film, je devrais pouvoir leur faire faux bond le temps de la séance.
– Deal.
– Je t'aime.
– Je t'aime aussi. »

Je tape jusqu'à ce que mon cristallin me laisse en plan, l'écran en bulles de flou, les mots pompettes dansent. Je m'écrase au fond de mon lit, la kwet en poids rassurant. Ça tourniboule dans ma tête, les idées pour mon mémoire, ma dernière nuit avec Véra, la moisissure dévorée par mon éponge, un sourire sans visage. Ce n'est que l'après-midi que l'odeur ressurgit d'entre mes doigts, serpente humide sur mes bras, caresse moite mes épaules, friction grasse mon cou, évaporation sur les lèvres et frisson répulsion.

Ma chaise racle quand je recule précipitamment, mais son crissement n'atteint pas mon cerveau. Je colle à mes vêtements, comme si l'intérieur fluide de mon corps purulait par mes pores.
Il faut je sorte.
Clefs, lacets, claquement, tournis de l'escalier, l'air qui pépie, l'air assez loin de moi pour ne pas m'étouffer, l'air qui souligne mon visage pointé d'une larme.
Je respire les bourgeons vert timide, l'écorce musquée, la terre qui sèche paresseusement, les brins d'herbe en farandole de vagues, le battement lointain des oiseaux qui vrillent, le moteur de kéké des bourdons, le moteur lissé d'habitude des voitures, le grondement puissant d'un train de marchandises, le murmure omniprésent et rassurant du vent chargé de tous ces sons : voix de la ville ; parfois lesté des percussions discussions.
J'appartiens à ce paysage, je suis un pixel indissociable de l'ensemble, ma voix est teinte dans la peinture.
Alors pourquoi l'apaisement me fuit-il ?
Et pourquoi ma peau me démange, peau morte, à muer ?
Mes doigts grésillent et convoquent les gestes oubliés des cigarettes.
J'ai un volcan dans la gorge.


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