Le goût de l'odeur

Le lendemain, la progression n'est pas assez significative pour être exploitée. Pour combler mon attente frustrante, je profite de ce que Véra ne travaille pas l'après-midi pour longuement natter ses cheveux tandis que nous regardons une série. Je prends les plus petites touffes de cheveux possible avant de les lier de ce mouvement dans lequel ma conscience se dilue. Je savoure d'avance les boucles légèrement ondulées qui orneront sa tête quand je les déferai. En parallèle, j'absorbe sa présence en éponge, son odeur de camomille si familière mais qui me provoque un coup d'habituel oublié à chaque fois que je la respire ; sa chaleur de plus en plus dense à mesure que j'approche sa peau ; le grain élastique de celle-ci dans sa nuque qui se couvre parfois de grains de frisson ; le rythme simple et lent de sa respiration, qui m'évoque celle de Léa : gonflement à peine perceptible puis minuscule affaissement de ses épaules ; la texture de ses cheveux, fine et étonnamment peu souple ; sa voix ronde et vaporeuse quand elle comment la série à demi-mot. J'ai envie de la couvrir de baisers, que ma salive devienne armure flamboyante, un prisme discret mais notable qui la diffracterait car sa lumière viendrait de ses yeux.
Mais ne pas couper un épisode en cours.

Générique enfin. J'en profite :
« Je crois que j'aimerais vraiment fort me faire un side cut.
– Oh cool !
– Et puis tant qu'à faire, un under cut.
– Eh bé !
– Peut-être raccourcir aussi. Du genre beaucoup.
– Olala ! C'est un gros changement ! Ya une raison particulière ?
– Hm non, je crois pas. C'est juste, quand je me vois dans un miroir, je me dis que ça m'irait bien. Ou que je me sentirai mieux comme ça. Je sais pas trop. Ça appelle en tout cas.
– Ça vaut le coup d'essayer, alors !
– Merci, dis-je en l'embrassant sous l'oreille (éruption de frisson).
– On prend rendez-vous aujourd'hui ? me sourit-elle.
– Oh ! Ça me touche !
– Je connais une coiffeuse queer qui saura bien faire ce que tu veux.
– Super ! »
Nous partageons nos lèvres.

En rentrant du rendez-vous, je ne peux m'empêcher de passer ma main sur le côté rasé de ma tête. Ça fait des rangs de frfr, trop bien. J'adore aussi la façon dont ça change mon visage : un peu moins rond, les arêtes plus marquées. Je me redécouvre et rêve déjà de tout passer au sabot 50 mm. Hâte de montrer à Véra à son retour ! Je me mets devant mon PC et vérifie le matos que j'ai installé : tout semble bien contaminé. Parrrfait ! Mon estomac se tord de stress et d'anticipation alors que j'augmente le son des enceintes – minimum.
Rien.
Léger souffle dû au volume élevé.
Déception.
Tant pis, test suivant.

Je lance une vidéo de musique sur l'écran principal et déplace la fenêtre jusqu'à une des taches opalescentes.
Crrr...
Ma respiration se coupe d'exultation.
Je déplace la fenêtre ailleurs.
Le son cesse.
Je la replace.
Crrr...
Léa réagit !
Je bloque dans la gorge alors que tous les mots se précipitent « yesenfineurêkayahooj'airéussielleestvivanteblblbl. »
À la place, mon sourire dévore mon visage.

Sans réfléchir, je pose mon doigt sur la tache activée.
Crrr-vmmm...
Un son se superpose.
Mon cerveau vidé.
Un instant et je reprends conscience.
Je peux interagir avec Léa.
Est-ce qu'on peut... communiquer ?
J'appuie un chouïa plus.
Crrr-vmMM...
Il me faut encore une absence avant d'enregistrer que Léa a appuyé en retour.
Oh c'était à la limite du perceptible, un souffle d'air ou le plus léger des frôlements, la caresse d'une odeur, mais.
Je sens le mot poindre je n'ose pas le penser pourtant il faut c'est vrai il faut
Léa est consciente.
Des stimuli extérieurs et de ceux électriques et mécaniques de l'ordi.
Sentience ?
Non quand même pas, ce serait...
Secoue la tête.

Je retire mon doigt, en pleine ébullition et, sans y penser, le lèche pour retirer la couche de moisissure noire qui y est affixée.
Goût sucré, un peu amer, pas désagréable.
Oups. Tant pis, hein ?
Bon.


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