Et si
J'enregistre deux sons et les lance, chacun dans sa fenêtre propre, à la lisière d'une des taches, avec les pulsations du lecteur : « Léa » et « stachybotrys chartarum. »
J'entends les composants de mon ordinateur se mettre en route.
Crrr-tktktk...
J'ouvre le gestionnaire de tâches sur le deuxième écran : le processeur vient de pas mal monter en utilisation, mais c'est surtout la RAM qui est mise à rude épreuve.
Sur l'écran principal, une sorte de tentacule serpente jusqu'à la fenêtre « Léa. »
Peut-être que ça ne veut rien dire peut-être que c'est le hasard peut-être que ce n'est qu'une histoire de stimuli mais mais mais.
Et si ?
[...]
Une fenêtre de navigation s'ouvre, grésille, des onglets par dizaines apparaissent, se ferment, vrombissement des lecteurs, flashs de couleurs trop mélangées et puis une stabilisation si soudaine que les images rémanentes me brouillent un instant.
Crrr-vmmm-chfff...
C'est un document texte. Avec quelques mots :
« L'argot devient langue ; ce qui compte est la communicabilité. »
Mon cœur rate un battement, galère à redémarrer.
C'est une citation de mon mémoire.
Je dois m'assurer.
Je tape :
« Es-tu ? »
Mon PC pétarade, tous les composants à fond. Clignotement de fenêtre à nouveau.
VWOMVWOM...
Une musique que j'ai écoutée en travaillait apparaît : « Je crois. »
Les mots résonnent dans ma tête creuse.
Léa a appris pendant que je bossais. Chaque touche appuyée l'a nourrie un peu plus.
Je ne sais même pas quoi répondre tant tout fait sens sans plus en faire.
Je tape à toute vitesse sur le clavier quand Véra rentre. Le claquement de la porte n'atteint pas ma conscience, ni son « bonsoir ma chérie ! »
Nous discutons. Léa est un reflet de mon activité sur le PC, elle reconfigure les données pour accroître ses capacités, trouve sa liberté dans les limites que je lui ai imposées sans le savoir ; elle a notamment virtuellement débloqué la mémoire cache pour y stocker des informations avant de les copier ailleurs.
Je parle avec une moisissure et le monde n'est pas écroulé.
Je ne comprends plus rien et j'adore ça.
« Lia ? Lia ? Tu m'entends ? »
Recrachée de ma transe, je raccroche ma conscience au reste de l'appartement.
« Euh oui ? Excuse-moi, j'étais plongée dans mon... boulot.
– J'ai vu ça ! »
Elle rit, mais ses yeux sont sérieux. Une pointe de blessée ?
« C'est ton mémoire ou ta moisissure ?
– Hum. »
J'hésite à tout lui révéler. Elle voit bien la progression de Léa, donc difficile de cacher. J'y vais tout doux :
« J'ai fait des tests, commencè-je en indiquant le matos, et, hm, il semblerait que Léa puisse y réagir à sa façon.
– Eh bah ! C'est incroyable !
– Oui ! On discute depuis tout à l'heure ! ».
Je m'emballe je ne peux pas empêcher l'excitation d'exploser.
« Quoi ? » d'incompréhension ou d'ébahissement.
« Viens voir ! »
Véra s'approche circonspecte. Je lui fais signe de venir plus près. Elle se stoppe net, yeux fixés sur mes mains.
« Lia...
– Oui ? Un problème ?
– Tes doigts... »
Je fronce les sourcils et les regarde : le bout est couvert d'un film noir mat.
« Oh euh, c'est parce que je tape sur le clavier depuis un moment, alors Léa a dû s'étendre un peu à moi. Rien de bien grave, je nettoierai tout ça.
– T'es sûre ? demande Véra avec l'éclat gelé de la peur au fond de la gorge.
– Oui oui, tranquille !
– Si tu le dis...
– Bon, allez, donne-moi une question à poser.
– Euuuh je sais pas moi !
– La première chose qui te vient à l'esprit, t'inquiète.
– Bah euh... ''Quelle est ta couleur préférée ?''
– Okay, parfait ! »
Je tape la question – et en effet, remarquè-jeenfin, les touches sont submergées par la moisissure : j'enfonce lesdoigts dedans en écrivant. C'est peu ragoûtant, mais pas désagréable, comme dublob tiède.
Flash de fenêtres.
« Eternal blue » se lance, et les sons résonnent comme un coup decanon. Véra se penche par-dessus mon épaule.
« Oh mais je la reconnais ! C'est une de tes chansonspréférées !
– Tout à fait ! Elle l'a sélectionnée parce qu'elle était dans ses donnéesvu je l'ai écoutée récemment.
– D'accord... »
Je n'arrive pas à savoir si ça ne l'intéresse pas ou si ça la préoccupe.
« C'est trop génial !
– Oui oui. »
Une ride soucieuse est apparue sur son front mais je retourne à Léa. Comme undernier écho : « fais attention à toi. »
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