Dans le sombre

Douche dans l'obscurité. L'eau brûlante couvre et protège mon corps, galop de gouttelettes sur mon visage. Je respire par longues goulées avant de replonger dans le flux. Envie d'être sucre, de fondre, finir en petit tas de plus-grand-chose au milieu du bac. Mousse de moi, informe mais qui contiendrait mon essence dans le plus petit espace fossile. On me confondrait avec du vomi, une moisissure, un truc indésirable. Il resterait trop de physique en moi. Alors on me brûlerait et, en tant que fumée, je serai respirée, j'atteindrai le noyau des autres par les poumons, transmise à dos de globule jusqu'aux neurones. J'infecterai de ma présence nébuleuse tout le corps, mais ce sera doux et grisant. Je serai un fantôme à l'intérieur du corps, un
souvenir juste au-delà du palpable, qui réchauffe très diffus.
J'avale une grande bouffée d'air.
Yeux ouverts.
Toujours l'obscurité, toujours trop de corps.

Nuit. Je flotte dans des fringues très amples, malgré le contact rêche délicieux avec ma peau, je me figure en ectoplasme avec son drap : rien dessous. Dans le salon, mon PC bruit léger. L'odeur a subtilement changé, s'est parée du zeste sucré de la décomposition, cache une strate plus vibrante, limite imperceptible : l'âcreté grave. Probablement un bon signe pour son développement ? J'ouvre un placard et en tire à la mémoire visuelle un paquet de cookies. M'installe à la table, croque (quiétude nocturne fracturée) et me perds dans la contemplation du coin de mon ordi perceptible via la loupiotte d'alimentation. Avant de repartir me coucher, je sème quelques miettes.

Le lit est froid, Véra dort au loin. Je m'installe en plein milieu, essaie de combler de mon trop petit corps tout l'espace qu'on occupe à deux, en vain. Encore trahie. Je ne lui trouve pas la forme qui me conviendrait. Tentée de dormir sur le canapé du salon, mais flemme de bouger. Bonne idée, ça, de naviguer de flemme en flemme. Flemme d'ouvrir les yeux. Flemme de respirer vite. Flemme de penser trop fort. Flemme de lutter.

C'est Véra qui me réveille : les clefs qui cliquettent. Elle a ôté ses chaussures sur le palier pour ne pas trop faire de bruit, adorable. Le tac caractéristique d'un placard qu'on ferme – silence crispé suit. J'entends pas la bouilloire, elle doit faire chauffer son eau à la casserole. Bouffée d'amour, veux la rejoindre l'embrasser la serrer fort, mais ce serait ruiner ses efforts. Me retourne alors, rendors dans la ouate de la savoir là.

Je me lève dans l'étonnement douloureux de la lumière de midi passé. 'Pas l'habitude des grasses mat'. Véra lit au salon, sa tasse vidée depuis bien longtemps. Elle se retourne alors que je suis à quelques pas d'elle, sourire qui m'inonde.
« Coucou mon amour !
– Chalut, je grince en me penchant pour l'embrasser.
– Ça a été ta soirée ?
– Voui, tranquille. J'ai réussi à ne pas bosser.
– Bravo !
– Et la tienne ?
– Oh mais très bien. Oui, vraiment chouette, rosit-elle.
– Tant mieux, ronronnè-je en frottant ma tête contre la sienne. Tu comptes l'inviter bientôt pour que je lae rencontre ?
– Hm je sais pas encore. Peut-être qu'on se reverra toustes les deux encore quelques fois avant de rendre notre relation plus... officielle ?
– Okay. J'te ramène un truc de la cuisine ?
– Je veux bien un cookie, s'il te plaît.
– Voilà.
– T'es un amour ! dit-elle avant de m'embrasser.
– Mh. »
Je pense à ses lèvres qui se sont posées sur celles d'autrui. Ce lien de quelques gouttes de salive qu'on partage. Ce nœud de souffle entre nous et je suis fière de faire communauté de peaux brasillées.


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