Oritis74

Avancement de lecture : Tome 1 fini

Résumé : Thys est un jeune adolescent à la vie paisible, normal... Normal ? Pas vraiment lorsque l'on fait d'une famille d'Ostendes, les premiers humains à avoir peuplé la Terre et capable de tisser un lien puissant avec la nature. Alors que Thys est assailli par les « sensations », Téodor Lux, Maître Arcane de rang pirouette cacahuète (non, en vrai, j'ai juste oublié le titre complet) devra accompagner le jeune homme dans son initiation. Un chemin pavé d'épreuves entre les secrets des adultes et les attaques d'une faction ennemie. Heureusement, le jeune Thys pourra compter sur ses amis et surtout, Mélia, sa sœur jumelle, qui semble elle aussi très réceptive aux forces de la nature.

Un roman d'urban fantasy ado/jeunesse très agréable à lire et divertissant. Je n'ai pas du tout senti les 40 et quelques chapitres qui le constituent.

Une plume savoureuse

Énorme coup de cœur sur le style. Alors, ce n'est forcément le style que je préfère, MAIS c'est un style que j'ai trouvé parfaitement, impeccablement, magnifiquement adapté à l'œuvre.

L'autrice a compris qu'elle s'adressait à un public jeune en employant un vocabulaire qui sait rester simple et varié (il y a eu quelques mots que je ne connaissais pas, mais le contexte permettait toujours d'en deviner le sens) et des phrases bien équilibrées. Il y a un travail absolument excellent sur le rythme. Le mieux est encore que je donne quelques exemples...

Franchement, je l'ai vécu la bagarre. J'ai pleinement ressenti la rage des belligérants (alors même que ce passage est totalement anecdotique, qu'on ne connaît pas les gus et qu'on en reparle plus après xD).

Un talent pour nous faire vibrer au diapason des personnages qui s'avère d'autant plus utile que les pouvoirs des Ostendes passent par des « sensations ».

J'ai trouvé très visuelles ces descriptions des sensations, et par conséquent très efficaces. De manière générale, les descriptions passent super bien dans ce livre. Allez, une petite dernière pour la route :

Je pense que j'ai employé suffisamment de superlatifs pour manifester mon admiration envers la patte de l'autrice. Maintenant, quelques moutons noirs dans ce ciel trop bleu :

Saute-mouton avec les points de vue

Pendant les 15 premiers chapitres, j'ai cru qu'on était en focalisation interne sur Thys : on a accès à ses émotions, à ses fameuses sensations, ses connaissances sur les membres de sa famille, son entourage à l'école, par contre, et les autres informations concernant l'Oritis (le fameux rituel initiatique) ou le fonctionnement de la société des Ostendes sont savamment cachées.

Puis, ça a changé.

Précision : en tant que lecteur, je considère qu'on ne brise pas la focalisation interne tant qu'on a des informations que le personnage suivi connaît ou est susceptible de connaître.

Exemples (citations inexactes retranscrites sur la base de mes souvenirs) :

• « Tantine regrette beaucoup de ne pas avoir été appelée pour son Oritis » > A priori, Thys le sait, il s'agit de sa tante et il vit avec elle...

• « Cid se dit que, quand même, son ami devenait de plus en plus bizarre. » > Thys ne peut pas deviner ce que Cid pense, donc on a changé de point de vue.

• Gros passage complètement focalisé sur Thys, puis tout de suite après : « Mélia partit se coucher et fit un rêve étrange... » > Je peux encore me dire qu'on garde la focalisation sur Thys, car Mélia a pu lui raconter son rêve après coup (on sait que les jumeaux sont proches).
Mais ligne suivante : « Mélia décida de garder cela pour elle. » > Ah, donc elle n'en a pas parlé, donc on était passé sur son point de vue.

Il n'y a évidemment aucun problème à changer de point de vue au cours d'une œuvre (c'est même un choix très majoritaire), mais pour le bien du cerveau du lecteur, je pense qu'il vaut mieux que ce changement soit le plus clair possible.

C'est un peu comme au cinéma : si les cut sont aléatoires, que la caméra ne se retrouve pas à l'endroit attendu pendant qu'on filme une conversation, qu'un élément a changé à cause d'un faux raccord... Le spectateur risque de trouver ça bizarre ou d'être perdu.

C'est pour ça que la plupart des auteurs qui choisissent de switcher de focalisation interne utilisent les changements de chapitres (facile, mais efficace) ou un basculement dans l'intrigue, un changement de scène (subtile, mais ingénieux).

On peut aussi adopter un point de vue omniscient. Et ce fut d'ailleurs ton choix après le chapitre 15, MAIS ! : Comment se justifie ce changement ? Pourquoi ne pas avoir adopté un point de vue omniscient dès le début ? Pourquoi donner de temps en temps des infos sur l'univers, alors que la narration est très avare le reste du temps ?

Par exemple, ici la narration se demande littéralement « Est-ce que Jonas est son père ? » puis répond d'elle-même à la question quelques lignes plus bas. J'ai trouvé ça un peu maladroit...

Dans Xash, dont j'ai parlé il y a quelques chapitres, l'autrice fait aussi le choix de l'omniscience, mais le bouquin est très bavard. On apprend une myriade de choses sur l'univers ! Alors que dans Thys, il y a presque une omerta sur le monde des Ostendes. Se contenter du point de vue des enfants nous rendrait plus indulgents face aux zones floues du lore (j'y reviendrai).

C'est le chapitre 38, qui m'a fait me dire que l'omniscience... c'est pas ouf pour cette histoire. Certes, c'est utile pour donner une vision globale des évènements, mais ça m'a donné une impression d'inventaire plutôt qu'une réelle implication avec les personnages. J'ai peiné à ressentir suffisamment d'intensité, ce qui fait qu'au moment où on aurait dû se prendre une vague d'émotion.... Ça plus été un petit remous qu'un tsunami.

En plus, chapitre 41 : on a un récit rapporté de l'action (et on est donc de retour sur le pdv de Thys). Une action concomitante avec le chapitre 38. Pourquoi avoir choisi un discours rapporté pour celle-ci alors qu'on a montré les autres en direct ?

Certes, l'omniscience a l'avantage de permettre la description des sensations (quand ça ne concerne pas les héros), mais en même temps, je me dis que ça peut être aussi intéressant de décrire ce que voient Thys et Mélia sans forcément tout comprendre ?

Bref, j'aurais trouvé plus efficace une narration par l'omission pour ce passage (on ne sait pas ce qui se passe à l'extérieur > donc renforcement de la peur et de la tension).

Pour résumer :

• Si tu veux de l'omniscience : mieux de l'établir dès le début ou après une bascule dans l'intrigue (après l'Oritis ou après la fête des Tallec, par exemple)

• Si tu veux de la focale interne (ce que je préfèrerais largement vu l'histoire) : fonctionner avec une alternance des pdv de Thys et Mélia, mais en ayant des transitions plus claires / marquées. *

*Recommandations sans obligation contractuelle.

L'intrigue

J'ai trouvé la progression assez lente (mais normal pour une saga en 7 tomes), cependant efficace avec différents paliers jusqu'au climax final. Peut-être un peu dommage d'avoir un léger effet de répétition entre ce qui arrive à Thys, puis ce qui arrive à Mélia.

Les indices sont bien posés (quoique de façon un peu évidente), mais ça donne au moins la satisfaction au lecteur de pouvoir se dire : « Ahah ! Je le savais ! » x)

D'autres passages ont réussi à me surprendre (mais je ne sais pas si c'est une bonne chose :S cf la partie spoilers)

Le récit sait alterner entre un ton léger et un ton plus grave selon les circonstances (même si des fois ça restait encore un peu trop dans le léger à mon goût, cf les spoilers...), le tout est parsemé d'un humour attendrissant !

L'univers

J'ai beaucoup aimé le concept des Ostendes. Il y avait un certain flou autour du fonctionnement de leurs pouvoirs, mais c'était un flou artistique qui fonctionnait super bien à l'écrit. Ce média permet d'exploiter à merveille le concept des « sensations » (ce serait d'ailleurs difficile à adapter en film)

Le mélange entre le monde des moldus et le monde des Ostendes se fait tout en douceur et de façon naturelle, mais...

Les contours de la société Ostendes m'ont paru un peu vagues (et là j'y ai pas vu de flou artistique par contre xD). Je pense que c'est surtout lié aux informations qui ne sont pas données au moment où elles devraient être données, qui parfois se répètent, mais d'une autre manière... L'univers se comprend dans sa globalité ! Mais peut-être qu'on pourrait en dévoiler les informations de façon un peu plus carrée...

Les personnages

Les enfants sont absolument adorables ! Hyper crédibles dans leur peau d'ado, dans leurs réactions. Leur quotidien est au collège est raconté avec beaucoup de justesse et d'habilité. J'ai plusieurs fois souri de nostalgie en mode « mais c'est trop ça ! ahah »

Leur complicité est très touchante, que ce soit entre Thys et Mélia ou entre les amis de Thys. On se projette totalement dans leur vie d'adolescents. Ce qui est plutôt un bon point pour un livre destiné à un public plutôt ado.

Par contre, les adultes... les adultes vivent dans une autre dimension (et je ne parle pas que du plan éthérique xD).

Leurs physiques et leurs personnalités sont très bien caractérisés ! Je n'ai eu aucun mal à me figurer la moustache de Téodor ou le côté guilleret de Tantine. Les adultes ont un côté loufoque que les enfants n'ont pas. Les enfants ont au contraire les pieds sur terre et je les ai trouvés finalement plus « adultes » que les adultes.

Car ces derniers avaient des réactions... pour le moins surprenantes...

🚨 Attention, ça spoile !

La famille de Thys fait preuve d'un peu de négligence envers Thys. Pas Mélia. Bizarrement Mélia est couvée à l'excès... Thys, par contre ! Mais pauvre Thys xD

Il a été attaqué (et menacé de mort) 2 fois à côté de la demeure familiale, il a aussi clairement senti la présence d'un Indésirata dans son collège... et tout le monde s'en fout !

La tante, quand tu lui expliques qu'il y a des présences menaçantes à l'école, elle s'exclame joyeusement : « Ok, cool, mais regardez : j'ai un nouveau chien ! » (non, ce n'est pas la citation exacte)

Puis on découvre que le père de Thys savait que la famille, chez qui son fils allait faire une boom, était Indésirata. Alors, certes, il ne pouvait pas savoir qu'ils allaient attaquer Thys. Apparemment avoir échappé 2 fois de peu à des attaques mortelles d'Indésiratas n'a pas constitué un indice suffisant pour le papa x)

Je sais plus si je l'avais suggéré en commentaire, mais au lieu que le papa emmène sciemment fiston chez les loups, peut-être que Thys pourrait faire le mur pour aller à cette fête ? (Bon après, il avait pas spécialement envie d'y aller... mais pour Célia, peut-être que...)

J'ai bien vu que tu essayais de justifier que les Ostendes ne savaient pas que les Indésiratas passeraient à l'action avec autant de virulence, qu'ils sont habitués à s'ignorer... Mais j'ai trouvé que ça ne collait pas avec ce que les adultes savent déjà des Indésiratas (par exemple, quand Rinata raconte sa fuite de Bosnie, elle ne semblait pas découvrir la menace Indésirata), ni avec les deux attaques très rapprochées du début et qui, en plus, ont lieu sur la demeure familiale. (Perso, des gens viendraient agresser mes enfants dans mon jardin, j'arrêterais de considérer ça comme une guerre froide et j'enverrais l'armée x) )

Y'a aussi un truc qui m'a fait tiquer avec ça : comment se déplacent les Indésiratas ? Parce qu'au début, on a l'impression qu'ils se téléportent, sauf qu'on explique jamais que c'est faisable, et à la fin ils se posent même la question (alors qu'ils auraient se la poser dès le début, non ?)

Les adultes ont une façon d'éviter les explications qui met les enfants en danger. Bon, c'est un détail x) Mais ce qui m'a chiffonné, c'est qu'il n'y avait finalement pas de raison de retarder ces explications. À la fin, les Ostendes s'accordent même pour regrouper des alliés parmi les non-initiés, sans que cela soulève le moindre problème. Donc je ne vois pas de raison d'avoir fait tant de mystère avant... Bref, j'ai trouvé un peu dommage d'attendre la toute fin du tome 1 pour réellement présenter le monde des Ostendes.

Autre conséquence de la négligence des adultes : ils ne sont pas montrés attentifs à leurs enfants. Ainsi les révélations sur les âmes doubles et l'Oritis de Mélia ont davantage été pour les personnages que pour les lecteurs.

J'arrête d'enfoncer le clou, j'ai aussi des trucs cools à dire, attends !

• Certains détails anecdotiques se révèlent importants, et c'est chouette. Par exemple, quand Thys doit changer de vêtements à cause d'un imprévu et qu'il oublie ses talismans.

• Le fait que, justement, les enfants soient plus alertes et plus futés que les adultes pourra sans doute se révéler intéressant pour la suite de la saga : ils ne pourront compter que sur eux-mêmes pour sauver le monde !

• L'idée de mêler l'écologie et la sixième extinction de masse au scénario faisait un bon point d'accroche avec le réel.

• J'ai trouvé que tu préparais bien l'arrivée de Cid à ce monde fantastique, en le rendant plusieurs fois témoin des phénomènes des Ethers.

• L'ambiguïté de Briac est bien posée. Peut-être que l'histoire nous crie un peu trop fort : « Regardez, ça va être un gentil finalement ! », mais j'ai quand même l'impression que ce personnage va être un peu nuancé ;)

🚨 Fin des spoilers

Conclusion

Il y a quelques points qui m'ont fait tiquer comme l'expo des infos pas super bien gérée et le comportement des adultes. Ça engendrait quelques petites incohérences, mais ceci était très moindre par rapport au plaisir (très sincère) de lecture !

L'écriture et la caractérisation des personnages sont le gros point fort de ce livre qui sait nous accrocher. Même si j'ai pu pousser des cris d'orfraie devant des petits détails, peu importe, on reste, parce que l'histoire est prenante et qu'on s'attache à Thys et Mélia.

Je conseillerai très volontiers cette saga à des ados amateurs de fantasy, parce que la qualité est indéniable, et même pour d'autres types de lecteurs ! L'univers regorge d'idées cools entre les sensations, l'Oritis, le plan éthérique... Il livre de nombreux éléments qui formeront une saga d'envergure à côté de laquelle il serait dommage de passer !

Un grand merci à toi pour ce partage et cette découverte qui m'a donné envie de m'intéresser à la suite.