📚 Les Affaires des Autres
ERRATUM : Dans ma précipitation, j'ai loupé l'info selon laquelle ce livre a une suite (tome 2 & 3). Par conséquent, beaucoup de mes interrogations ou remarques sur les points non résolus s'expliquent par ce quiproquo. Navré pour la gêne occasionnée.
Avancement de lecture : Terminée
Avertissement : Descriptions morbides graphiques, sang, dissections, violences... (terme large pour ne pas spoiler)
AVEC spoilers : entre balises
Résumé : Laura Woodward est médecin légiste, mais pas que ! Agente spéciale, elle est envoyée sous couverture pour étudier les agissements d'un suspect dans la ville de New Tren. Là-bas, un tueur en série, surnommé Le Dévoreur de Foies, sévit. Et il semblerait que le médecin légiste local, le docteur Ubis, bâcle étrangement ses autopsies pour couvrir ces meurtres...
Je m'excuse par avance, car j'ai pris peu de notes au cours de cette lecture. C'est le quatrième roman que je lis de cette autrice, je savais donc que je n'aurais pas vraiment de « problèmes techniques » à relever. Je me suis laissé entraîner par l'intrigue et ses mystères. Cet avis sera donc à prendre pour ce qu'il est : une réaction à chaud purement subjective.
Première surprise : Entre le résumé, le prologue à la sortie d'un procès, l'introduction du travail médico-légal à la morgue, je pensais qu'on allait partir sur une enquête. Il y en a une, mais on réalise très vite, que ce roman est loin de n'être que ça. Un mélange des genres qui déroute ou au contraire élève le roman policier à un nouveau niveau ?
Le style
Au bout du quatrième livre, je m'y attendais : c'est propre, maîtrisé. Leo nous embarque dans l'univers fictif d'un monde très similaire au nôtre. La grisaille, la poisse, la mer grise et l'hiver mordant nous évoqueront quelque localité entre les côtes anglaises ou le nord-ouest de l'Amérique du Nord.
On admirera l'art des descriptions d'ambiance qui travaillent l'atmosphère plus que la cartographie, avec la présence néanmoins notable de détails marquants qui se rappelleront au lecteur tout au long de l'histoire, tel un fil rouge discret. Je pense notamment à cet amour des « trench coat » et autres manteaux, doudounes qui caractérisent certains personnages, aux architectures religieuses, à la pluie ou à la verrière de la morgue de New Tren.
Les descriptions fleuves ne sont jamais gratuites. Ces longues considérations se concluent souvent par une petite « punchline », comme pour nous rappeler qu'il y a bien un propos derrière chaque mot. Le ton ne manque pas non plus de ce cynisme désabusé qui m'a rappelé l'hommage aux romans noirs.
Une chose est sûre : une personnalité affirmée se glisse sous chaque mot et on se laisse embarquer avec plaisir par ce style mordant.
Personnages
L'enquête autour des meurtres s'oublie vite au profit des personnages et des relations que Laura tisse avec eux. La subjectivité de Laura, frustrante quand elle nous induit en erreur, dresse cependant un portrait psychologique merveilleusement complet de la protagoniste. Elle a son caractère, sa cohérence et le roman s'y tient ! (même si ça m'a donné envie de la secouer par moments, Laura était comme elle était, et je préfère la logique et le réalisme aux grandes sorties exagérées).
Les autres personnages se distinguent aussi par une personnalité très clairement établie, que ce soit le côté bourru et renfermé d'Ubis, la galanterie presque trop parfaite de Sam ou l'obstination d'Aaron dans sa foi.
En général, il ne faut pas plus d'une périphrase pour nous brosser un portrait efficace d'un personnage :
Évidemment, Celarghan remporte la palme avec sa personnalité aussi déconnectée qu'improbable, mais extrêmement cohérente dans son référentiel interne. Il est de ce fait un personnage excessivement réussi.
Par contre, d'autres personnages m'ont semblé un peu trop anecdotiques. Ils auraient pu avoir leur utilité, mais comme le livre a pris d'autres chemins...
[SPOILER]
Je pense notamment aux collègues de Murmay (la ville dont est originaire Laura et qu'on ne voit pas). Je comprends qu'ils servaient à apporter un ancrage et un passé à Laura, mais finalement, le récit aurait pu se passer de leur donner de l'importance.
Le plus frustrant pour moi a été Jonathan : un psychiatre qui occupe une place égale avec Laura dans le prologue. On nous parle même de ses soucis, de ses conflits... Et le récit n'en fait rien. Laura part à New Tren, on ne reparle PLUS JAMAIS de Jonathan (si ce n'est quelques mentions telles que « ses compétence de psy auraient été utiles ici »). Sauf que Laura ne l'appelle jamais. Il ne revient dans l'histoire que lorsque Laura apprend qu'il a été assassiné. Un meurtre qui aurait un lien avec l'enquête en cours ? A priori, non, on n'en apprend jamais plus. Finalement, Jonathan n'aura servi qu'à « offrir » une phase de déprime à Laura. Déprime certes légitime et utile, mais j'ai l'impression qu'on a déployé des ressources absolument disproportionnées pour un résultat très faible. Un peu comme pratiquer la pêche à la grenade, quoi.
Sauf si, la mort de Jonathan est destinée à faire l'objet d'une autre enquête pour un prochain roman, car j'ai l'impression que le projet initial était de constituer un corpus d'enquêtes fantastiques autour de Laura, à la manière des romans de Conan Doyle ou Agatha Christie. Cela permettrait d'expliquer les quelques éléments qui tombent dans l'impasse. Mais j'en reparlerai.
Autre personnage sur lequel je suis mitigé : Aaron (oui pardon CBH, mais c'est comme ça). À vrai dire, je ne suis pas mitigé parce que je ne le trouve pas à sa place : au contraire, je pense qu'il est indispensable au récit, vu l'importance que prend la religion dans Les Affaires des Autres, il me semble capital d'avoir un prêtre pour nous mettre progressivement dans le bain.
Non, mon problème avec Aaron (et qui a gâché toute la suite), c'est la rencontre. Laura débarque dans une nouvelle ville, nous explique qu'elle ne va pas rester longtemps, elle n'est là que pour son enquête. Elle ne compte pas s'attarder, donc lorsqu'elle part explorer la ville au premier soir, je l'imagine en repérage, et si elle s'arrête pour parler à ce prêtre qui traîne devant son église, c'est sûrement pour recueillir un témoignage d'un riverain. Que nenni : Elle veut juste... sympathiser. Et dans le contexte où j'étais encore dans le mindset d'un polar, ça me semblait tellement... incongru. Il y a une certaine forme de réalisme à se balader, croiser des gens, leur parler et matcher avec eux, pourquoi pas. Mais dans ce contexte-là, je trouve que ça ne colle pas. On s'attend à ce qu'une rencontre s'inscrive dans une intrigue.
A contrario, j'ai trouvé la rencontre avec Sam bien plus efficace :
- Rencontre dans le cadre d'une intervention pour son travail de légiste
- Prétexte du reportage sur les métiers insolites pour offrir une approche à Sam
- Les étincelles, avec ce premier rencard sous la neige
Je n'ai ressenti aucun de ces trois éléments avec Aaron et n'avais donc pas d'implication dans leur romance potentielle. Mais je pense qu'en modifiant la rencontre (si elle se passe à la morgue lorsque Aaron viendrait identifier le corps du type tué dans son église ?) et aussi les cachotteries (non nécessaires) de Laura sur sa mission au début du roman (comme ça, on a davantage confiance en ce qu'on voit, et on s'imagine pas des stratégies tordues où Laura prendrait en fait Aaron pour un suspect... (oui, oui, j'ai passé l'histoire à élaborer des théories loufoques)).
[/SPOILER]
Les dialogues
De ce que dit l'autrice dans ses notes, elle a surtout souhaité mettre l'accent sur les échanges entre tout ce petit monde, à travers les dialogues. C'est en effet un point fort du récit : des discussions réalistes, qu'on imagine avec aisance et dont l'émotion nous imbibe avec netteté. Un art du dit, mais surtout du non-dit à travers une flopée de mensonges et secrets qu'on devine en sous-texte.
Un point fort, donc, mais aussi ce qui a pu me lasser dans ma lecture : trop de blabla. Je reconnais que c'est un biais de ma part : j'aime l'action, le rythme nerveux, les péripéties qui s'enchaînent (surtout que j'ai tendance à attendre ça d'un polar, mais comme ce n'était pas vraiment un polar...) J'ai pu trouver frustrant ces longueurs entre moments contemplatifs (dont l'apport ne m'a pas toujours convaincu) et dialogues (qui s'avéraient parfois redondants ou trop phatiques).
[SPOILER]
J'ai souvenir par exemple de conversations téléphoniques entre Laura et les collègues qui ne débouchent sur aucun élément d'intrigue, mais bon à la limite, certain pourront y trouver du charme.
Par contre, ce que je trouve dommage, c'est la sous-exploitation des échanges avec Celarghan : ils occupent une majeure partie de la deuxième moitié du livre et peuvent se résumer (grossièrement) à : « Laura essaye de convaincre Celarghan d'épargner Ubis > Celarghan est sûr de son bon droit et ignore ses arguments. »
Puis, lors du dénouement, on apprend que Celarghan a finalement décidé d'épargner Ubis. Ça aurait pu être un ressort intéressant, que la volonté de Celarghan s'effrite petit à petit, qu'on le voit s'humaniser aux côtés de Laura, au point de remettre en question tout l'objet de sa mission et ses certitudes à la dernière minute... Hélas je ne trouve que ça ne fonctionne pas pour deux raisons :
- L'affrontement avec Ubis a lieu en off. Laura n'étant pas présente, on ne voit pas cette fameuse bascule, et j'ai donc d'autant plus de mal à y croire ou à en ressentir de l'émotion.
- Je n'ai pas perçu l'évolution de Celarghan au cours des dialogues. Pour moi, il est resté droit dans ses bottes du début à la fin (ou alors peut-être que c'était trop subtil pour moi), en tout cas, peut-être qu'en exploitant mieux ces longues conversations, la fin me convaincrait davantage.
[/SPOILER]
Équilibre et focus
J'ai tout à fait conscience que c'est un point subjectif (comme tout le reste, vous me direz), mais, malgré toutes ses qualités, cet approfondissement sur le réalisme du cadre et de la psychologie des personnages, je me suis demandé pendant ma lecture : Où est-ce qu'on va ? Qu'est-ce que cet élément fait là ? Pourquoi nous donner cette info comme si c'était important pour qu'au final ça ne serve pas ? Inversement, pourquoi tarder à donner une info qui ne méritait pas tant de suspens ? Beaucoup d'impasses, d'égarements, de digressions, et j'ai fini par être perdu. Pas dans l'intrigue, mais dans ce que voulait proposer ce roman.
J'ai eu la sensation que l'histoire employait beaucoup de harengs rouges. Certains font mouche (j'ai été ravi d'élaborer d'improbables théories pour me rendre compte que j'étais complètement à côté de la plaque) et d'autres non.
[SPOILER]
J'ai eu plusieurs fois la sensation d'apprendre les infos à des moments inopportuns :
- Les cachotteries bizarres de Laura qui nous apprend l'objet de sa mission à New Tren après plusieurs chapitres.
- Laura qui parle des circonstances de la mort de son père, et même que c'est pour cette raison qu'elle a signé pour la Société. À la façon dont c'est présenté, on se dit que ça va être important, puis ça ne revient pas.
Ou des éléments en trop :
- Jonathan
- William Willis (pas que ce soit en trop, mais sûrement sous-exploité... Quid des raisons de sa haine ?)
- Les zombies (on avait déjà les démons, les dieux égyptiens et les anges, alors les zombies, c'était too much pour moi xD)
- L'assistante de Celarghan aussi vite évacuée qu'elle est apparue
- La première partie
Bon, sur la première partie, bien sûr, je comprends l'objectif de développer les relations, d'intégrer Laura dans son nouvel environnement... mais 23 chapitres avant le premier élément déclencheur ?
Il aurait pu se passer d'autres choses entre temps. Il y avait cette piste d'exhumer les corps sans foies, par exemple. Je me dis qu'on aurait pu ajouter quelques éléments de polar pendant toute cette phase. Cela aurait d'ailleurs renforcé la crédibilité de Laura comme agent spécial (qu'elle clame sans cesse par la suite pour justifier sa présence dans l'enquête). Je ne dis pas que l'évènement du chapitre 23 devrait survenir plus tôt, mais qu'il y aurait certainement moyen de rendre Laura moins passive et observatrice ?
A contrario de passages un peu trop développés, d'autres m'ont paru... survolés ou flous ? Sam, par exemple, je crois déduire de la fin qu'il aimait en réalité VRAIMENT Laura (plus de foies mangés pour entretenir le mal, il se laisse contaminer par l'amour ? Humaniser ?) ? Mais le roman semble vouloir montrer le contraire ? D'ailleurs, pourquoi ne mange-t-il pas le foie de l'ex-femme d'Ubis puisqu'il était déjà dans sa colère de la rupture à ce moment-là ?
Et en parlant de survolage, ce dernier chapitre qui ne nous gratifie même pas de dernières conversations alors que tout le livre repose sur des conversations... C'était à la fois signifiant, à la fois bizarre. Mais je respecte ce choix !
[/SPOILER]
L'avantage, c'est que l'histoire a su me surprendre. Je trouve qu'elle se démarque des classiques du genre, y apporte sa touche personnelle. C'est aussi une expérience que de sortir des sentiers battus, d'explorer d'autres horizons et d'essayer de nouveaux chemins. Avec Les Affaires des Autres, oubliez les "tropes" et autres "schémas scénaristiques" bidons. L'autrice s'est octroyée une liberté revitalisante et qui fait que je me souviendrai de ce livre.
Conclusion
Même si les productions plus récentes de Léo m'ont marquées encore davantage, Les Affaires des Autres est une lecture que j'ai bien aimée et que j'ai dévorée sans me faire prier. Elle a son potentiel. Tout dépend de ce que l'autrice souhaite en faire : un corpus d'enquêtes ? Un one shot ? Selon l'objectif, je pense qu'il peut devenir un polar fantastique tout à fait prenant. En l'état, je le trouve perfectible, à cause du rythme (des longueurs) et de l'agencement / exploitation un peu confuse des éléments.
Malgré tout, le mystère est efficace ! Je n'aurais jamais pu imaginer cette fin après ce début. La découverte était passionnante.
A qui je le conseille ?
C'est un roman qui vaut la peine qu'on s'y intéresse. Déjà parce que le travail réalisé sur le cadre, l'ambiance est tout simplement exquis. Laura est parfaitement crédible en médecin légiste, les procédures sont renseignées avec un soin clinique. L'idée est originale ! (Si on oublie un certain livre sorti après celui-ci x) ) Et les personnages attachants (si l'on en croit mes comparses commentatrices x) (Sam restera mon chouchou).
Maintenant, si, comme moi, vous êtes adepte de romans plus nerveux, je vous recommande plutôt Toujours Moi ou Aveuglés de la même autrice. Les Affaires des Autres, c'est cool si votre dada, c'est de faire mariner 50 hypothèses et d'accepter qu'aucune ne soit juste ;)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top