📚 Le Corbeau
Avancement de lecture : Terminé
Avec spoilers
Genre : Fantasy (dark fantasy ?)
Résumé : Dans la salle du trône d'un royaume imaginaire, surgit un funeste messager de la mort. Le Corbeau apporte au roi ses dernières paroles — une sombre prophétie — avant de s'éteindre.
La nouvelle fait 700 mots, alors l'exercice va être différent des reviews que j'ai pu faire sur des longs romans.
On se concentre sur une seule scène : l'irruption de ce personnage énigmatique (le Corbeau) dans la salle d'audience du roi. L'histoire est simple et très avare d'infos, mais le peu dont on dispose est largement suffisant pour qu'on comprenne la situation.
L'autrice s'est surtout attelée à peindre une ambiance et j'ai trouvé le résultat tout à fait à la hauteur.
La nouvelle s'ouvre sur la description de ce personnage éponyme en se concentrant sur des détails atypiques qui l'ancre aussitôt dans la mémoire du lecteur (ses cicatrices dorsales en forme d'ailes de corbeau). La caractérisation s'opère par de nombreux autres éléments extérieurs : la démarche (lente) du Corbeau, ses vêtements (qui semblent flotter sur sa carrure trop maigre, lui donnant une allure presque fantomatique), le sang (qui goutte du personnage et dispense une aura terrifiante dans son sillage), le silence (qui s'installe à sa venue), la frayeur (qu'il suscite chez les spectateurs de la scène). Son visage, en revanche, n'est pas décrit, ce qui contribue à nimber le Corbeau de mystère, le réduisant à une silhouette et à l'émoi que son apparition provoque.
Est présenté ensuite le second personnage : le roi. Le focus est mis sur le roi après le Corbeau. J'interprète cela comme une manière de montrer que son pouvoir tout puissant est vain face à l'être surnaturel. D'ailleurs, on le voit encore lorsque le premier à parler est le Corbeau qui lui demande s'il règne sur ce pays. Ce à quoi le roi répond :
J'ai beaucoup aimé cet étalage de titres qui traduit à la fois l'envergure certaine de ce roi, mais appuie encore une fois cette sensation de futilité face à la funeste fatalité que draine le Corbeau. Peu importe la puissance du monde des hommes, il succombera.
Le sens du détail est très cool dans ce texte : le fait que le Corbeau ait besoin d'étancher sa soif avec les « offrandes » du roi, les marques sur les personnages (cicatrices du Corbeau ou le doigt manquant du roi). Bref : on ne sait pas « pourquoi » les choses sont ainsi, mais elles sont ainsi, et elles ajoutent des touches de pinceau, des finitions au tableau général.
C'était aussi intéressant d'observer la réaction du roi : on aurait pu s'attendre à ce qu'il se sente offensé, terrorisé, menacé par la venue d'un messager de la mort. Il est au contraire fébrile, comme s'il voyait cette irruption comme un présent plutôt que comme une malédiction. Peut-être voit-il en la connaissance de ce destin une manière de s'en détourner ? Ou alors il respecte simplement ce qu'il estime comme appartenant à des forces supérieures ? À moins qu'il soit si sûr de son pouvoir qu'il n'imagine pas que les révélations du Corbeau puisse être funestes ? La nouvelle nous laisse le choix de la libre interprétation et conserve ainsi sa part de mystère.
La chute m'a plu. J'aime les nouvelles qui se terminent sur des questionnements, et pour le coup, celle-ci se termine littéralement par une question : « Alors pourquoi Moral sentait-il, à nouveau, le souffle du Corbeau contre sa joue ? » Le Corbeau aurait dû mourir une fois sa mission accomplie, alors pourquoi semble-t-il encore en vie ? Le symbole d'un espoir malgré l'apocalypse annoncée ? Un autre message à délivrer ? L'imagination du roi ? Car notons que nous sommes du point de vue du roi : ce qui renforce encore le doute et le mystère. Le fait qu'on précise que c'est le roi qui semble sentir quelque chose apporte une nuance encore plus intrigante que si l'on s'était contenté d'une question externalisée.
Je vais tâcher de répondre aux questions que l'autrice se pose à la fin :
Avez-vous été directement captivé.e par l'histoire ? > Directement, ça se discute, car peut-être qu'on pourrait pinailler sur certains points de forme pour améliorer encore l'emprise du texte sur le lecteur (voir juste en-dessous). Mais, très vite, assurément ! L'entrée in media res fonctionne à merveille.
Avez-vous remarqué des structures qui se répètent, lourdes ou trop confuses ? > L'écriture était tout à fait prenante, j'ai pu noter de belles tournures. Peut-être aussi quelques phrases longues ou lourdes. Je dirais qu'au global, tu pourrais songer à recourir à davantage de phrases nominales, quitte à tomber dans l'anacoluthe. Sur un texte à ambiance, je trouverais ça pertinent. Puisque j'interprète ta nouvelle comme un exercice de style autour d'une scène (et qu'elle est courte), je me permets donc de la décortiquer, en me focalisant surtout le rythme :
« Le Corbeau avait pénétré dans la salle... » > Pourquoi pas l'imparfait ? Le plus-que-parfait impose un retour en arrière qui ne m'a pas semblé nécessaire. Avec l'imparfait, on reste dans une dynamique continue qui ne coupe pas l'action.
« Ses pas... étaient ponctués » > Je suis rarement fan de la voie passive. Ça induit souvent une mollesse dans le rythme et une mise à distance. Dans cette phrase, un « se ponctuaient » ou « , ponctués de gouttes sanguinolentes. » ne m'auraient pas choqué.
« à l'exception d'un dos nu déchiré qui laissait entrevoir les stigmates d'un temps ancien » > C'est dommage de coincer cette information importante entre virgules dans une phrase comme si ce n'était qu'un détail anodin. Si tu veux marquer l'esprit du lecteur avec cette caractéristique, ça ne me semblerait pas déconnant d'en faire une nouvelle phrase, histoire de mettre l'emphase dessus.
« Son nom lui venait du motif imprimé dans sa chair à coups de fouet. » > Ça, c'est bon. La manière dont tu isoles cette phrase la fait ressortir et la rend percutante.
« Assénés de biais depuis le creux de ses reins et s'étalant en un éventail sombre sur ses côtes et ses épaules... » > Trop de détails tuent le détail. J'aime beaucoup l'idée des cicatrices qui forment des ailes de corbeau, mais je trouve ça finalement peu visuel de le décrire aussi précisément. Par exemple, le « en biais » pourrait sauter ? On pourrait aussi dynamiser en évitant le participe présent. Je tente une suggestion : « Du creux de ses reins jusqu'à ses épaules, ses cicatrices s'étalaient en un éventail sombre sur ses côtes. Des ailes macabres qui mimaient les plumes de l'oiseau. » (oui, bon, je sais, faut pas casser le style des auteurs... C'était juste pour donner un exemple, on va dire.)
« Le monarque... faisait reposer son coude sur son genou. » > Je trouve que dans 90% des cas, les tournures en faire + infinitif sont disgracieuses, donc à moins d'être obligé d'y recourir... Ici, par exemple, on pourrait avoir simplement « s'accoudait sur son genou ».
« , le quatrième jouant... et le cinquième étant perdu... » > Mon désamour des pp est parfaitement subjectif, je sais. Il n'empêche qu'avec l'imparfait, tu rendrais ce détail (du doigt perdu) carrément plus marquant. Encore mieux en troquant la virgule en amont contre un point-virgule, car tu isolerais cette info et la rendrais visible.
« depuis longtemps. Depuis aussi longtemps qu'il attendait le retour des Corbeaux. » > Une anadiplose qui marche bien ! Je parlais des phrases nominales, et typiquement les rares fois où il y en a, j'ai trouvé ça cool.
« sans doute affamée et au bout de sa soif. » > Je n'ai pas trop compris « au bout de sa soif ». Pourquoi pas juste « assoiffée » ?
« ses maigres habits arrosant le sol du jus de son offrande. » > Métonymie, je crois ? (les habits maigres au lieu de la silhouette) En tout cas, je trouve que ça fonctionne nickel.
« L'attente, creusée par le silence, s'acheva dans un souffle surnaturel. » > C'est du détail, mais j'ai senti le rythme un peu haché dans cette partie, notamment parce qu'il y avait pas mal de virgules, et celles-ci ne me semblent pas indispensables.
« Moral profita de cette interpellation pour corriger son port de tête. » > Moral corrigea son port de tête ? (on vient de voir l'interpellation, donc ce rappel alourdit sans que ce soit pertinent)
« il se contenta de citer les formules qu'il avait apprises » > il se contenta des formules apprises ? Ou sinon, au moins « réciter » à la place de « citer »...
« pour cueillir le corps pâle et ses dernières paroles. » > Très sympathique zeugme.
« Les lèvres noires comme l'encre la nuit bougèrent » > J'ai l'impression qu'il y a un terme en trop entre l'encre et la nuit ?
« Se transformant en véritable bourrasque, il tourna... » > Véritable bourrasque, il tourna... ?
« Les pierres vibrèrent à l'unisson pour transmettre le message. » > Je ne suis pas convaincu de l'utilité de « pour transmettre le message », je pense qu'on comprend de quoi il s'agit dans le contexte.
« menacés par le verre des fenêtres qui se lézardait de motifs d'éclairs. » > En soi, pas de souci, mais la phrase étant longue, je pense qu'on pourrait la couper à « lézardait » (surtout qu'une lézarde a généralement un motif d'éclair).
« À moins que l'ombre ailée ne devienne lumière, rien ne fleurira d'autre que les ténèbres sans bannière. » > Pour la rime, c'était sympa.
Conclusion :
Une scène dont l'ambiance transperce sous une plume recherchée (potentiellement améliorable à certains endroits, mais cela reste à l'appréciation de chacun). J'ai en tout cas été très sensible au déroulé et à l'atmosphère funèbre qui nous envahit à l'arrivée du messager. Le mystère en filigrane donnerait presque envie d'un roman complet dans cet univers.
À qui je le conseille ?
C'est une nouvelle. Qu'est-ce que quatre minutes à y consacrer dans une vie ? (Même mon commentaire est trois fois plus long xD) Et si elle vous accroche, n'hésitez pas à aller découvrir le chouette univers de Rubissambre.
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