mangeur_de_livre

J'essaye d'éviter les spoils, mais si vous souhaitez vous prémunir à 100%, ne lisez que la conclusion.

Avancement de lecture : chapitre 14 (dernier publié au 01/11/2021)

Avertissement : Tous publics, histoire bienveillante et accessible, mais aborde des sujets comme les violences conjugales, le harcèlement, l'homophobie, les agressions... 

Aujourd'hui, j'ai le plaisir de vous parler de Dans vos yeux, une fiction réaliste qui a à cœur de traiter (et dénoncer) de nombreux problèmes de société.

Nous suivons les histoires parallèles de Mikail et Louise. Mikail est un jeune Tchétchène, contraint à fuir son pays, il traverse les montagnes et les pays étrangers afin de trouver un refuge. De son côté, Louise sort d'études de commerce auxquelles elle ne trouve plus de sens. Elle préfère se reconvertir et se fait embaucher comme bénévole dans une épicerie solidaire.

C'est ce que j'ai vraiment apprécié : rien que dans le résumé, on sent la fibre humanitaire qui vibre chez l'auteure. Nous ne sommes qu'au début, il m'est donc difficile de me prononcer sur l'évolution de l'histoire. On imagine sans mal que ces deux personnages, distants de milliers de km, vont finir par se rencontrer. Surtout si Mikail tente de se rendre en France par les Alpes et que Louise en vient à le secourir par le biais de son association... Je ne m'attends pas à du suspens à foison ou de grands retournements de situation, ce qui va nous intéresser, c'est le chemin parcouru pour en arriver là. Pas seulement le voyage de Mikail, mais aussi l'évolution de Louise.

Ce point du récit m'a d'ailleurs aussi surpris : je m'attendais à ce que tout le drama se concentre autour de Mikail, étant donné sa situation, mais Louise n'est pas en reste. Je l'avais pas du tout vu venir le personnage de Chris !

D'ailleurs, peut-être que ce serait un point à approfondir (à toi de voir). Le pétage de boulon de Chris m'a laissé un peu sceptique. Certes, il est colérique dès le début, mais sa personnalité changeante aurait pu être plus subtile. L'idée d'avoir un contraste entre ce que raconte Louise « oh, il a été tendre avec moi ce we... » et les insultes qui sortent finalement de sa bouche quand le lecteur le voit, c'était pas mal ! Mais pour moi, ça manque un peu de bases. Peut-être que tu gagnerais à mieux insérer le personnage dans l'histoire (même s'il est destiné à vite en être centrifugé). Par exemple, les moments où Louise raconte qu'il est redevenu tendre et affectueux, peut-être qu'on pourrait nous les montrer au lieu de les balayer en ellipse.

« En ce début de semaine, Louise avait passé la majeure partie de son temps avec Chris. En effet, celui-ci venait d'être en vacances et il n'avait plus aucune raison de réviser. La jeune fille l'avait donc rejoint dans son appartement le dimanche et ils avaient profité du lundi pour se redécouvrir. Cela leur avait été bénéfique et l'étudiante avait retrouvé le Chris de leur début, il se montrait attentionné, à l'écoute. Ils étaient sortis au cinéma, avaient discuté de longues heures sur les différents livres qu'ils lisaient. Ils avaient parlé du futur, planifié leurs vacances d'été, ils avaient même regardé les annonces d'appartement pour habiter ensemble l'année suivante. »

> Au lieu de ce résumé, on pourrait voir Chris jouer les « faux-tendres » en mode compliments mesquins, gas lighting, dénigrement... Il y aurait moyen de montrer les abus psychologiques tout en ayant une Louisette un peu naïve qui ne les réalise pas. C'est juste une piste.

D'ailleurs, c'est le point qui m'a un peu gêné avec cette histoire : beaucoup de discours rapporté. J'avais l'impression que la moitié du récit était retranscrite sous cette forme d'ellipse.

Je donne un autre exemple, chapitre 9, l'agression de Mikail :

« Mais le soir du neuf mai, alors qu'il rentrait de son service, il s'était fait piéger par un groupe d'hommes. Ceux-ci avaient commencé à l'apostropher, mais il était impossible pour Mikail de leur répondre ne parlant toujours pas turc. Le ton employé par les individus, lui firent revivre des flashs de vie en Tchétchénie. »

> On arrive à un point pivot de son histoire puisque cet évènement va compromettre ses plans d'avenir en Turquie. De ce fait, la scène aurait selon moi mérité un peu plus d'intensité et de préparation (installer une ambiance un peu inquiétante en préambule, par exemple).

Côté Louise, j'ai trouvé dommage (chapitre 6) de mettre au même plan une dispute avec Chris et un visionnage de film en racontant le tout sur le même ton :

« Le repas se déroula comme à l'habitude : Chris et les garçons discutaient, et Louise espérait de tout cœur qu'ils l'oublieraient ainsi. C'était sans compter sur son dulciné pour la remettre devant le feu des projecteurs. Lorsque celui-ci commença à se moquer et discréditer le projet de l'épicerie solidaire, elle trouva le courage de se lever et de partir. Sans un mot, elle les avait laissés en plan, ils l'avaient regardé médusé, puis Chris avait essayé de la retenir mais une fois décidée, Louise était inarrêtable. Il jura de lui faire payer son humiliation et s'en retourna la galvauder auprès de ses potes. »

Puis :

« Voulant se changer les idées, la jeune fille alluma son ordinateur et se mit devant un film, une comédie romantique. Une fois fini, elle sortit faire le plein de bouquins à la bibliothèque de son quartier et passa la fin d'après-midi en compagnie de personnages héroïques et plus admirables les uns que les autres. »

> Cela procure une mise à distance entre le lecteur et le ressenti des personnages.

Après, ça peut être un effet intéressant et recherché : avoir très peu d'infos sur ce qui se passe dans la tête des héros et laisser aux personnages secondaires le rôle de les aider, de briser petit à petit leur carapace.

Sauf qu'on a un entre-deux : le début est en full pdv interne de Louise et Mikail, puis, après le chapitre 9, on passe en pdv omniscient avec des incursions dans la tête des autres personnages. Pour moi, il faudrait faire un choix.

- Soit tu décrètes qu'on suit vraiment la pscyhé de Louise et Mikail, et dans ce cas, éviter les listes trop techniques, trop impersonnelles de leurs actions, faire ressortir davantage leurs émotions, nous faire vivre l'histoire à travers leurs yeux (comme dit le titre), et on ne doit pas savoir ce que pensent les autres persos.

- Soit tu choisis de te mettre à distance des pp, en te mettant en omniscient ou externe dès le début, et dans ce cas, approfondir l'ambiance, le décor, par le biais de descriptions un peu plus punchy. (Ce qui aide pas mal, c'est les descriptions qui utilisent les autres sens que la vue, afin de donner du relief.) Si t'es en omniscient, tu peux élargir le champ, en donnant par exemple des infos que Mikail ne peut connaître au sujet des villes qu'il traverse.

Bien sûr, mes remarques sont à prendre avec de grosses pincettes. Déjà, je suis sûrement biaisé par le fait d'avoir lu Ourale avant (qui, elle, n'hésite pas à rentrer dans la tête de ses persos à coups de forceps). Ensuite, ce style n'est pas problématique (il s'agit surtout pas de dire « change et réécris tout ! » xD). C'était même très agréable de te lire ! Je ne fais que soulever des points et me demander ce que tu souhaites faire ressortir de ton histoire.

Sache que j'accroche beaucoup sur le fond ! J'aime les sujets sociaux, encore plus quand c'est documenté et traité avec intelligence. Les personnages sont facilement identifiables, tu as une manière habile de faire ressortir leur personnalité au travers de leurs répliques. Le côté taquin d'Antoine est perceptible avec les surnoms donnés à Louisette (la pauvre), l'humeur bouillonnante de Stella dévaste tout sur son passage lorsqu'elle brandit ses grands discours de maman poule à ne pas froisser et Thomas a son côté bourru qui ressort dans ses mots mâchés, mais bienveillants.

Pour le dépaysement du côté de Mikail, c'était habile d'avoir la réplique en langue étrangère, puis la traduction. Au passage, on est d'accord que l'alphabet géorgien est trop stylé !

En conclusion :

Si vous aimez les sujets sociaux, n'hésitez pas à aller lire Dans vos yeux, qui confronte des thèmes comme l'immigration ou les violences domestiques. L'homosexualité apparaît aussi en toile de fond et n'est (pour une fois dans une fiction wattpad) pas du tout traitée sous l'angle de la romance. C'était même intéressant d'avoir cette comparaison entre l'homosexualité en France versus en Europe de l'Est. On sent derrière cet écrit une auteure engagée qui sait de quoi elle parle et le fait avec beaucoup de justesse et de solidarité.

Les aventures de Mikail et Louise sont poignantes. Même si je m'interroge sur la manière de les raconter, il n'en reste pas moins que l'histoire regorge de tendresse et de sensibilité.