📚 Babylon - Les Mondes de Miracle

Garnath

Avancement de lecture : Terminé

Avec spoilers : entre balises

Résumé : Miracle est une victime. Alors qu'elle étouffe entre des parents atypiques et trop protecteurs, elle doit en plus survivre au harcèlement que lui vaut sa peau grise, et aux problèmes cardiaques. Dans ses conditions, difficile d'imaginer Miracle partir à l'aventure dans un monde extraordinaire. C'est pourtant ce qui arrive, le jour où le monstre de ses cauchemars la retrouve dans sa réalité et la pourchasse...

Ce roman est inclassable. Même s'il s'ancre dans un terreau de fantasy YA, il se démarque par une patte unique et marquée de son auteur, ainsi qu'un côté déjanté assumé.

Je vais avoir du mal à vous parler. La raison ? Il s'agit du tome 3 d'une saga. Et même si ce tome se veut indépendant en prenant pour héroïne la fille des protagonistes des tomes précédents, puis-je en parler avec pertinence sans avoir lu le début de la série ? Je ne pense pas. Notez donc bien que je ne vous donne qu'un aperçu limité du travail de Garnath sur cette saga ambitieuse, qui mérite qu'on s'y intéresse dans sa globalité.


Un début sur les chapeaux de roues

Le prologue m'a soufflé. Vraiment, je ne m'attendais pas à être à ce point emporté en quelques lignes. Il faut dire que la vibe « Fallout » et les références générales au post-apo que j'affectionne particulièrement ne m'ont pas laissé insensible. Je me suis senti immergé directement dans la peau de ce personnage qui marche vers un destin funeste, je pouvais imaginer ce monde en perdition avec une acuité fascinante, jusqu'à la chute, à la reprise de la narration qui nous introduit au personnage de Miracle, et à une question qui me taraude : où est-ce que l'auteur veut nous emmener ?

Et j'ai signé ! J'ai acheté mon ticket pour le voyage. J'étais prêt à être dépaysé et à découvrir ce qu'il se cachait derrière le sinistre rêve de Miracle.

Les premiers chapitres ne m'ont pas déçu. On plongeait dans un cadre tout à fait différent. Presque pittoresque, avec Désiré, le héros des tomes précédents. Et même sans avoir lu ces tomes, j'ai été capté, tel un insecte dans le halo d'un lampadaire, par l'aura qu'il dégageait. Je trouve ça super cool d'avoir créé des personnages qui en imposent et de continuer à les faire vivre, même une fois que leur histoire a été écrite.

Mais revenons à Miracle. J'ai apprécié qu'elle affiche d'entrée de jeu un certain caractère. Elle dénote, pas uniquement parce que c'est un personnage racisé, mais aussi parce qu'on la voit avec ses doutes, ses maladresses, ses échecs, ses angoisses... Entre ses camarades qui la rejettent et son cocon familial — qui réussit l'exploit d'être étouffant et protecteur, tout en la tenant à l'écart des secrets — Miracle sent qu'elle n'a pas sa place et rêve d'une bouffée d'oxygène.

Jusque-là, on a une introduction plutôt prototypale de l'ado « ordinaire » qui va être confrontée à l'extraordinaire. Une intro qui fonctionne, car on a un cadre travaillé et un personnage crédible dans ses caractéristiques floues et mouvantes, comme on peut l'attendre d'une ado qui se cherche.

Le style est aussi au service de cette immersion. On sent que l'auteur s'amuse avec les mots, en jonglant entre les registres avec des descriptions léchées ou des dialogues incluant de l'argot.

On retrouve aussi cet effet de jeu avec le rythme : pas mal de passages sont entrecoupés d'éléments répétés (les battements du cœur malade de Miracle, des heures, ou des onomatopées) :

Ça donne des passages très vivants qui permettent au récit de s'incarner dans la tête du lecteur.

J'ai aussi trouvé très maligne la façon dont le récit marquait la dyslexie de Miracle dans les passages qu'elle lit.

L'histoire se déguste avec délice jusqu'à l'apparition de l'élément perturbateur et cette course folle, digne d'une Alice tombant dans le terrier du lapin blanc. Dans ce passage, on avait une intensification qui confinait au voyage transcendantal. Je me souviens avoir frémi en me demandant jusqu'où cet enchaînement d'anneaux allait la mener.

Et alors ? La destination en vaut la peine ?


Une suite plus mitigée

Soyons réalistes : j'étais tellement hypé par le début que je ne pouvais qu'être déçu par la suite. Ce n'est pas la faute de l'auteur. J'avais des attentes sur la direction qu'allait prendre l'histoire. Je m'étais installé, tout trépignant, à l'avant du bus pour voir les magnifiques paysages qu'on allait traverser. Manque de pot : c'était un jour brumeux.

Je vous fais une confession : je suis rincé de la fantasy YA. Pas que je n'aime pas ça — respect à tous les auteurices qui ont font — mais on va dire que ce n'est pas mon genre préféré et que j'ai eu ma dose sur Wattpad. Donc vraiment, je n'avais pas envie de retrouver le trope « another world » et tous les clichés associés au YA. Surtout après un début qui me laissait espérer autre chose.

Quand je dis ça, c'est parce qu'on avait notamment un passage avec Miracle qui interagit avec son IA personnelle, joue à des jeux en VR... En bon lecteur conditionné au fusil de Tchekov, je me dis que c'est pas là pour rien, qu'on part plutôt sur un univers SF... Et non, on tombe dans un monde médiéval.

Au moins, on ne peut pas dire que l'auteur ne nous surprend pas !

Hélas, quand je lis de la fantasy avec le trope de « découverte d'un monde caché », je m'attends à m'émerveiller, en même temps que le personnage, du voyage en terre inconnue. Ici, je ne peux décemment pas dire que le monde de Svata Zeme m'a fait rêver.

C'est la Tchéquie, mais au XIXème, sous la neige et par temps de brouillard. Il fait froid, il n'y a pas de technologies, les habitants sont présentés comme ignares et intolérants, au point qu'il faille cacher la couleur de peau de Miracle sous un sac en toile et surtout pas dire qu'on vient d'un autre monde parce que ce serait vu comme de la sorcellerie, il y a des animaux « bersek » qui cherchent à bouloter la pauvre Miracle, il y a des maladies pas sympas, des religieux qui aiment les bûchers, des pauvres ou des orphelins de partout... Ouais, non, ça donne pas trop envie d'y passer ses vacances.

Je ne vous spoile pas la suite, je vous laisse la découvrir, mais c'est à partir de là que j'ai compris que je n'allais pas y trouver mon compte. Pas à cause du monde terne, mais plutôt en raison des clichés (l'amourette, l'entraînement, la présentation façon cours de Svata Zeme, les rivalités...) qui tranchaient avec le ton jusqu'à présent « insolent » du roman. J'avais affaire à un auteur pétri d'imagination qui aime surprendre, donc je ne savais pas trop quoi penser de ces ressorts « faciles ».

Mais il y avait une autre raison :


Une ode au chaos

Le problème de débarquer dans un tome 3, c'est que vous ne savez pas si un élément vous semble abrupt parce qu'il a été introduit dans les tomes précédents ou parce qu'il n'est simplement pas introduit.

J'ai souvent eu, à partir de l'arrivée à Svata Zeme, ce sentiment de débarquer dans une soirée où je ne connais personne : les gens sont aimables, ils te passent un verre, ils se présentent... mais ils retournent très vite parler entre eux à coups de private joke ou de références que tu n'as pas.

Et c'était ça à Svata Zeme : je ne savais pas ce que j'étais censé connaître, ne pas connaître... Je suivais Miracle comme point de référence, car elle ne connaissait soi-disant rien à ce monde. Je me disais « ok, on va lui expliquer les choses, donc je vais suivre comme elle », sauf que j'avais quand même le sentiment que quelques éléments de lore étaient survolés (les chasseurs, par exemple...). Ce qui est normal : l'auteur ne va pas répéter des choses déjà instaurées dans les tomes d'avant.

Par contre, il y avait d'autres moments où mon décrochage n'était plus dû à « cherche pas, c'est un truc des tomes précédents », plutôt à l'attrait de l'auteur pour le chaos.

Quand je parle de chaos, faut pas l'interpréter dans le sens « maléfique », mais plutôt dans le sens « un peu désordonné ». Peut-être que je me trompe complètement, mais j'ai senti pas mal d'improvisation, comme si l'auteur avait écrit l'histoire comme ça lui venait.

Souvent, je ne savais pas quel était l'enjeu. À un moment, Miracle décide de rester à Svata Zeme, parce que elle en a envie. D'accord, pourquoi pas, mais je trouvais quand même que ça manquait d'une motivation claire. Typiquement dans un roman de fantasy classique, le personnage voudrait rester pour sauver le monde, pour retrouver un proche, accomplir une vengeance, que sais-je... Alors, ça peut être un choix intéressant, aussi, de ne pas avoir le fil évident d'une quête toute tracée à suivre. Perso, ça m'a plutôt laissé une impression de brouillard.


🚨 [spoiler] 🚨 D'autres fois, on chemine sur une quête principale sans s'en rendre compte. Quand Havel, Lumir, Jocelyn et Miracle partent à la recherche de Lukas, à aucun moment je me suis dit : « ça y est, voilà l'enjeu de l'histoire ! » C'est uniquement quand ils ont passé plusieurs semaines dans la grande ville que j'ai réalisé que « Ah, non, finalement, c'est pas juste une sous-intrigue... »

Je trouve que ça aurait pu mieux marcher si on avait eu :

- un plus de construction sur l'histoire d'amour avec Lukas (parce que sur le papier, moi, j'ai juste vu Lukas débarquer de nulle part, faire « je suis sûr que tu caches davantage sous ton sac en toile » et Miracle tomber instantanément en pâmoison devant lui)

- un peu plus d'intensification dramatique sur le « Je me sens tellement coupable de l'avoir blessé ! »

- un argument plus solide que « faudrait pas qu'il propage des rumeurs » pour monter cette (périlleuse) expédition, ou à défaut, du lore sur l'importance de la sorcellerie, les relations entre les clans, la guerre qui larve...

Bien sûr, on peut voir ça comme un MacGuffin : il y avait besoin d'un prétexte pour partir à l'aventure, Lukas a donné ce prétexte... Mais quand même, je pense qu'un autre élément a ruiné l'introduction de cette quête : l'analepse.

Ce n'est que mon avis, mais je ne l'ai pas trouvée bien employée. Une analepse est efficace quand l'arc narratif commence sur une scène clé et qu'on fait un retour arrière pour comprendre comment on en est arrivé là. Sauf que l'ouverture du chapitre 15 où la compagnie marche sous la neige n'est pas une scène importante, alors que les éléments qui ont justifié ce départ, si. Du coup, tu subordonnes des éléments importants sous un élément moins important : ça m'a donné l'impression que le tout n'était pas important et que ce serait donc une sous-intrigue vite résolue.

Il y avait un autre moment avec une analepse bizarre : le début du fameux Plan de Miracle. Même problème : la scène qui sert de développement au flashback est peu capitale, et le flashback qui suit, trop long. Mais là, c'était moins gênant, car les éléments du retour arrière n'avaient pas non plus besoin d'une grosse mise en exergue (on était plus sur de l'explication essentielle, mais pas constitutive de la tension). 🚨 [/spoiler] 🚨


Un autre truc qui m'a gêné : l'irruption abrupte des éléments d'intrigue. Ça tombait souvent comme ça : Blaaam [faut imaginer le bruit d'un carton de déménagement qui échappe des mains]

D'un côté, on peut voir ça comme une manière d'aller de surprise en surprise, ce n'est pas plus mal quand on aime sortir des sentiers battus. Perso, j'ai plutôt revu mes parties de jeu de rôle où le MJ tirait l'apparition d'un nouvel ennemi / évènement aux dés.


🚨 [spoiler] 🚨 L'exemple le plus frappant : la secte qui a kidnappé Lukas. On n'en avait jamais entendu parler avant. D'ailleurs, on n'en reparle pas après. Le chef de ce groupe était construit sur le modèle des boss de jeux vidéo (avec la fameuse « deuxième phase », toi-même tu sais...) 🚨 [/spoiler] 🚨


Ce mode opératoire se retrouve aussi dans le traitement des relations entre les personnages.

Miracle m'a semblée comme entourée d'une carapace. Il n'y a qu'avec Moniyah qu'elle tisse un lien solide (et encore que cela m'embête parce que ça aussi c'était un élément en suspension : on n'a pas vraiment d'explication à ce qu'elle vient faire là, d'où viennent ses pouvoirs et pourquoi se lier à Miracle, mais bon, on n'est pas obligé de tout expliquer).

J'en profite pour caser ce screen d'une réplique très cool, qui résume assez bien la position de Miracle sur les relations sociales :

En revanche, avec les humains, Miracle était plus distante. Ce qui est cohérent avec la personnalité solitaire, harcelée, qui vit dans sa bulle de VR... Le problème, c'est que j'ai trouvé que l'attachement (ou bien la haine) soudain à certains personnages manquait de bases. Ça a eu pour conséquence que je n'étais pas aussi investi que l'auteur l'aurait voulu quand il s'est passé ce qu'il s'est passé à la fin.

Enfin il y avait des moments de grâce vraiment très chouettes sur le plan stylistique : les rêves hallucinés de Miracle. En tant que lecteur, j'ai eu un effet de transe en voyageant dans les galaxies oniriques auprès de Miracle.

Hélas, aussi beaux soient ces passages, ça reste là encore « aléatoire » dans la manière dont ça tombe dans le récit.

Est-ce un problème ? Franchement, je ne me permettrais pas de dire ça. Je suis juste ce lecteur qui aime quand les choses sont carrées et bien emboîtées. Mais je reconnais que le chaos a aussi son charme.


Un récit décalé

Ce que je sors finalement de ce récit, c'est la liberté de ton. L'auteur s'autorisait beaucoup de choses, et ça avait un côté rafraîchissant, souvent décalé et riche en humour.

Même dans les moments de recueillement solennel, les personnages ne manqueront de s'exclamer « Alénikévomer ! » parce que Désiré a foutu le bordel dans les tomes précédents. Il y a des rebondissements à base de pipi, de cache-cache sous les cadavres, des expositions sous le blizzard sans cache-nez pour attraper *volontairement* une extension de voix...

Et surtout, le récit est émaillé d'au moins un milliard de références. À côté desquelles je suis passé la plupart du temps. Mais quand je les avais, c'était drôle :

C'est l'avantage d'utiliser un personnage issu du monde moderne dans un monde moins avancé. Tout un terrain de jeu s'ouvre sur le décalage, et ça, l'auteur l'a bien exploité.


Conclusion

J'ai eu du mal à venir à bout de cette lecture. Le roman n'est pourtant pas long (une trentaine de chapitres), mais je n'étais pas dedans. Il fait néanmoins montre de qualités certaines : une plume affirmée capable du meilleur, une héroïne drôle et dynamique qui porte l'histoire avec sa personnalité, de l'action, des rebondissements et surtout, une capacité à se glisser là où le lecteur ne l'attend pas. Hélas, le manque de fondations stables et l'impression d'arriver dans un univers dont je ne maîtrisais pas les codes m'ont tenu à distance.

On pourra néanmoins adorer l'humour, la structuration atypique, et surtout, la liberté que s'est octroyée l'auteur pour tisser par endroits une sorte de rêve halluciné. Pour peu qu'on ouvre ses chakras, c'est une histoire qui vaut la peine de s'y plonger.

À qui je le conseille ?

N'hésitez pas à découvrir cette saga. Mais ne faites pas comme moi : commencez par le tome 1 !


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