Prologue : Le Réveil


Quel paradis... quel merveilleux paradis...

C'était ce que je me disais chaque seconde quand j'admirais ce paysage qui s'étirait jusqu'à l'infini. Tout était si beau, ici : les nuances de vert brillaient de mille feux sur le sol et ondulaient doucement quand le vent les caressait. Le soleil éclatant apportait ses couleurs chaleureuses et faisait scintiller le bleu limpide des lacs. Les arbres aux couleurs printanières chantaient sous le vent et abritaient en leur sein de merveilleuses créatures dont le sifflement clair dansait devant mes yeux. Je pouvais même voir caracoler au loin des bêtes étranges dont le pas soulevait le rouge argileux de la terre et voltiger dans les airs les motifs étincelants de merveilleux êtres volants.

Qu'importe où je me trouvais, cet endroit ne pouvait être qu'un paradis. Même si je ne pouvais pas mettre un vrai nom sur ce lieu merveilleux, je pouvais au moins l'appeler ainsi. Paradis. Mon doux et éternel Paradis.

Un jour, alors que je me laissai encore bercer par cette harmonie de sons et de couleurs, je sentis la terre frémir sous mes pieds, comme prise de frissons. Un vague bruit semblable à un gargouillis s'en échappa et je rapprochai ma tête du sol, intrigué par ce changement inhabituel : la terre était-elle malade? Ma curiosité se mua vite en inquiétude : je reculai d'un pas alors que les frémissements devenaient de plus en plus fort et que le sol semblait se distordre et gonfler sous mes pieds. Soudainement, la terre se déchira et une puissante secousse me fit perdre l'équilibre. Sans rien pour m'accrocher et malmené par les tremblements, je me mis à dégringoler le long d'une pente et un cri m'échappa quand un rocher freina brusquement ma chute.

Le choc me vit voir le monde sous un voile blanc et flou et mes oreilles sifflaient. Je secouai la tête pour recouvrir mes esprits sonnés et tentai de savoir où je me trouvais, mais mon cœur s'arrêta de battre à la place : durant mes quelques secondes d'inattention, le monde avait changé. Les animaux s'enfuyaient, les arbres perdaient leurs feuilles, et le soleil était masqué par des volutes noires éructées par la terre, laissant autour de moi un monde monotone et glacial. Le vent avait échangé sa caresse pour un fouet qui faisait gronder les eaux et plier les arbres. Les tremblement continuaient de plus belle alors que j'observai avec impuissance mon Paradis disparaître sous mes yeux.

Je glapis de surprise quand des images erratiques passèrent derrière mes yeux comme de douloureux éclairs. Des murs de pierre irréguliers, des lumières rougeoyantes, des éclats métalliques, des flaques de rouge, des ombres à la forme étrange sertie d'écailles. Ces choses incompréhensibles qui défilaient dans mon esprit ne firent que me saisir dans ma terreur. Je sentais mes muscles trembler de plus belle au fur et à mesure que ces éclats m'assaillaient.

Mon sang finit par définitivement se glacer quand j'entendis une voix chanter, dépassant la fureur même des éléments. Ce chant, je le connaissais, mais la panique m'embrouillant l'esprit, je ne parvenais plus à savoir pourquoi. C'était le chant le plus malheureux, le plus désespéré et pourtant le plus beau que j'aie jamais entendu. Les notes résonnèrent pendant un temps interminable, faisant danser des braises de couleurs autour de moi. Mon cœur se souleva en voyant ces éclats renaître, mais le vacarme eut raison de la mélodie : elle finit par s'éteindre, emportant avec elles les vestiges de mon Paradis et tout mon espoir. Le monde s'assombrit alors, avant de définitivement s'envoler avec ce chant mortuaire. Le vent arrêta de souffler, la terre cessa de trembler, l'eau calma ses tumultes, et sur mon cœur pesa un lourd sentiment de solitude en voyant l'étouffant noir autour de moi.

Je me recroquevillai sur moi-même, et cherchai dans ces ténèbres une once de couleur me permettant de reconnaître le Paradis que j'avais tant aimé. Je n'en trouvai aucune. Juste le noir. Un frisson de terreur me traversa l'échine alors que je laissai échapper de ma gorge un mélancolique chant de détresse sans destinataire.

Jamais je ne m'étais senti aussi seul et terrifié de toute ma vie.

Cette noirceur engloutissait tous mes membres et me paralysait, telle une créature de la nuit m'entraînant dans son antre pour me dévorer. J'appelai à l'aide, poussai des geignements toujours plus fort, mais rien n'y faisait : la solitude était la seule présence qui me tenait compagnie, ici.
Un souffle frigorifiant me lécha le cou. Je me recroquevillai sur moi-même dans un effort vain de trouver en moi un peu de chaleur pour me réchauffer, mais tout mon corps était trop glacial. Je tremblais de plus en plus fort et mes membres commençaient à s'engourdir lentement sous la caresse du froid. J'entrouvris la bouche et pris une profonde inspiration, avant d'être pris d'une horrible quinte de toux : l'air était humide et puant. J'étouffais dans ces ténèbres intenables.

Je tentai de contracter mes muscles pour les empêcher de geler sur place : ils tressaillaient sensiblement, mais commençaient lentement à tomber dans la froide torpeur. J'essayai de lever la tête, mais l'obscurité lourde et pesante commençait à avoir raison de moi. L'esprit affaibli par l'asphyxie, je me laissai tomber sur le côté avec un gémissement résigné. C'était fini pour moi.

— SORTIR, me hurlait une voix au plus profond de moi, étrangère et familière à la fois.

Je voulais écouter cette voix. Je ne voulais pas que ça se finisse. Pas ainsi. Pas si tôt. Mais j'étais si faible...

— RESTER ICI, MOURIR, continua la présence au fond de moi avec un détermination qui faisait battre mon cœur froid. SORTIR!

Un couinement s'échappa de ma gorge endolorie. Cette voix était bien trop forte. Ses cris stridents faisaient battre le sang dans mes tempes et déchiraient mon cœur d'un sentiment que je ne parvenais pas à cerner, un mélange étrange de colère et de tristesse profonde que je ne pouvais expliquer. Ma poitrine était... chaude, si chaude que je commençais à en avoir mal. C'était une terrifiante douleur : elle me brûlait, me lançait, me déchirait, me contraignait et en même temps, me libérait d'un poids immense. Ce désir brûlant qui n'était pas exactement le mien me fit lever mon corps beaucoup trop lourd. Mes membres tremblèrent sous mon poids, mais ne cédèrent pas.

Je levai le nez vers le ciel de ténèbres et, en poussant un hurlement pour me donner du courage et libérer ces émotions qui me brûlaient de l'intérieur, je me débattis face aux ténèbres. Des vagues de couleurs dansaient autour de mes membres contractés et me donnaient un nouveau souffle.

— PRESQUE! CONTINUER!

L'espoir soulevait mon cœur. Après un énième effort, les ténèbres répondirent à mon assaut avec un craquement sec.

Et enfin, je fus libre.

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