Chapitre 31 : Révélations

D'une main tremblante malgré la chaleur du feu qui brûlait dans la cheminée, Ayden parvint à dégager doucement la flèche de la chair de Sÿervik. La lotion analgésique qu'il avait appliquée sur la plaie ne devait pas très bien marcher, car il sentit la dragonne se tendre malgré ses efforts pour ne pas montrer sa souffrance et bousculer les meubles déjà acculés contre les murs de la pièce exiguë. Il donna la pointe ensanglantée à Räe, qui l'observa d'un air confus, incapable de vraiment savoir quoi en faire.

Ayden nettoya l'incision nette d'un coup de serviette. La flèche s'était fichée tout juste entre les muscles, empêchant la patte de bouger correctement. Le muscle de l'intérieur de la cuisse avait été lacéré, mais heureusement, aucun vaisseau sanguin ou tendon n'avait été sectionné. Il ne pouvait plus faire grand-chose à présent, à part y enduire un onguent antiseptique pour éviter les complications.

— Aiguille, s'il te plaît.

Räe lui tendit l'aiguille du bout des doigts avec un sifflement de douleur : la pointe avait été mise dans les flammes pour la stériliser. Ayden souffla doucement en y insérant un fil, qu'il espérait assez épais pour supporter les efforts d'un dragon. Il n'avait jamais eu l'occasion de suturer une blessure avec Sardas. Qui aurait cru que sa première fois serait sur une blessure de dragon? Ses doigts lui semblaient tremblants et gauches, mais il parvint tout de même à recoudre l'incision malgré l'armure d'écailles qui rendait la tâche complexe. Sÿervik, vraisemblablement curieuse de son travail, lécha l'air près de sa blessure et poussa un jappement de timide allégresse. Räe sourit en entendant cela.

— Quelles mains de fée, blagua-t-il.

Ayden profita que la dragonne soit allongée et tranquille pour observer son état. Après tout, si elle était déjà frappée par l'infection, tout ce qu'il avait fait n'aurait servi à rien. Heureusement, tout semblait aller bien chez elle : ses yeux étaient brillants d'or, sa respiration régulière et son attitude dynamique. Ses écailles brillaient de mille feux sous la lumière des flammes, leur donnant de magnifiques reflets de vert métallique et de bleu paon. Assez proche pour les remarquer, il passa les doigts sur les nombreuses cicatrices de la dragonne.

— Comment as-tu eu ces blessures?, demanda-t-il, curieux.

— La Garde me traque depuis de longues années dans ces montagnes. Cette fois-ci, elle m'a retrouvée alors que je m'éloignai des alentours de Vhongëdas. J'ai essayé de brouiller mes pistes avant de revenir ici, mais leurs recherches ne vont pas tarder à se rapprocher de ma tanière.

L'intonation du reptile était presque menaçante. Räe claqua la langue, agacé.

— Encore... je vais te chercher une nouvelle cachette, alors, mais ça va être long. Tu resteras près de la clairière pour le moment : tu surveilleras nos petits protégés.

La dragonne poussa un geignement plaintif, mais n'ajouta rien de plus et reposa son nez sur ses pattes. Räe se tourna vers Orthal, terré derrière les meubles contre les murs, avec uniquement son œil brillant pour laisser deviner sa présence. Un grondement emplit l'air de tension quand leurs regards se croisèrent et le blond poussa un petit rire nerveux.

— Viens, Orthal, souffla Ayden. Tu n'as pas à avoir peur.

Le dragonnet couina derrière le mobilier, mais sa silhouette finit par apparaître, les muscles tendus et les naseaux frémissants. Il courut se réfugier derrière Ayden et fourra son nez dans le creux de sa main en poussant des trilles aiguës. Il lui donna une caresse sur le museau en réponse pour le rassurer. Cela sembla fonctionner : le reptile vrombit de satisfaction et il leva la tête vers la silhouette imposante de Sÿervik. Le regard de cette dernière, bien que nerveux et farouche, était sans aucune hostilité, ce qui rassura Ayden : au moins, il n'aurait pas à s'inquiéter d'une potentielle altercation hiérarchique entre les dragons, comme le faisait les chevaux ou les chiens quand ils se rencontraient pour la première fois.

— C'est Sÿervik, dit-il. C'est un dragon, comme toi. Elle est jolie, hein? Tu peux lui dire bonjour? Elle sera contente.

En réponse, Orthal fit un pas en avant, puis un deuxième, arrachant un vrombissement d'encouragement de Sÿervik. Le museau frémissant du dragonnet finit par renâcler timidement celui de la dragonne et leurs nez se touchèrent presque, leurs langues sortant périodiquement pour happer l'air. Cela sembla calmer le petit reptile, car il poussa un vrombissement enhardi et se redressa sur ses pattes, comme pour tenter d'égaler la prestance de la dragonne noire. Les yeux de cette dernière s'éclairèrent sensiblement en réponse et elle poussa Orthal du museau.

— Bonjours Orthal, je suis Sÿervik, vrombit-elle avec une allégresse émouvante. Tu n'as pas à avoir peur de moi, je ne te ferai aucun mal. Nous sommes semblables après tout. J'espère qu'on pourra être de bons amis et que tu pourras t'entendre avec Räe.

Orthal aboya une réponse inintelligible et Sÿervik jappa d'un même entrain, s'étalant sur son flanc pour laisser voir son ventre. Le dragonnet prit cela comme une invitation pour s'approcher plus près et il se blottit contre l'abdomen finement écailleux de la dragonne, qui referma son aile sur lui comme une chaude couverture. Ayden les observa faire avec un sourire attendri, avant que Räe n'interrompe l'agréable silence :

— Que vas-tu faire, maintenant?

— Comment ça?

— Tu es un condamné en vadrouille, je te rappelle, et retrouver une vie normale après ce que t'as fait sera difficile. Tu peux rester ici autant de temps que tu le veux, ça ne me dérange pas — c'est même pas ma maison de toute façon —, mais il faudra que tu commences à te débrouiller comme tu peux. Je pourrais pas revenir tout le temps pour t'apporter à manger et du matériel, par la suite.

— Merci beaucoup, je verrais ce que je vais faire... désolé de changer de sujet, mais pourquoi as-tu voulu me montrer Sÿervik maintenant, et pas avant?

— Hé bien... (Räe se gratta la joue :) Je voulais être sûr que ça n'allait pas te brusquer. Désolé de te l'annoncer, mais tout le monde ne peut pas saluer un dragon sans faire une crise cardiaque comme toi. Et je voulais être sûr de pouvoir te faire confiance, avant de tout te révéler.

Räe se mit alors à se dandiner sur sa chaise, laissant la pièce dans un silence étrangement embarrassant. Il rit faiblement, dans un semblant de nervosité qu'Ayden n'avait jamais vu chez lui auparavant, mais quand le blond ouvrit brusquement la bouche, il comprit pourquoi :

— Je... Je me nomme Räeghan Forthak.

Avait-il bien entendu? Ce nom lui était familier- non, il était familier à tout le monde en Estepène. Il avait dû halluciner.

— Raëghan Forthak, fils du Comte Jorst Forthak et de la Comtesse Dhyâna Saramys.

Raëghan se pencha en un révérence appliquée et Ayden sut que ce n'était pas une plaisanterie. Il avait été sauvé par l'héritier d'un Comte d'Estepène, et pas le dernier des Comtes... le Comte de Vhongëdas, la capitale du Nord. Il avait osé rétorquer, crier, désobéir à une personne aussi importante. Et Orthal avait failli le blesser gravement...!

Avant même qu'il ne puisse réfléchir à ses gestes, il fut un genou à terre devant l'homme, le cœur battant et les joues cramoisies d'embarras. Le regard du blond se fit alors confus et fuyant, laissant croire qu'il avait momentanément oublié son ordre et son rang, mais il se reprit vite et posa sa main sur l'épaule d'Ayden, lui intimant de se redresser.

— Pas besoin de révérences pour moi, souffla-t-il, ses yeux bruns brillants d'amusement. Je ne suis pas l'héritier direct. C'est ma sœur qui deviendra Comtesse quand notre père ne pourra plus diriger.

— Ah... comment devrais-je m'adresser à vous, Raëghan Forthak?

— Comme tu t'es toujours adressé à moi. Ne me vouvoie pas, ne t'incline pas, ne bredouille pas. Parle-moi comme tu l'as fait jusqu'à aujourd'hui, et j'en serai plus qu'heureux.

Ayden s'en sentit soulagé : retrouver de nouvelles habitudes alors qu'il s'était habitué à le tutoyer aurait été embarrassant. Mais héritier ou pas, Räe était toujours un fils de Comte. Il ne devait pas faire de bévues comme il l'avait fait auparavant. Croiser son regard perçant et dire son surnom comme s'ils étaient de simples amis semblaient bien plus dur, à présent. Ne trouvant pas les mots à dire, Ayden décida à la place de prendre les mains du jeune Comte entre les siennes, les serrant fermement. Räe tressaillit sous le contact.

— Merci de m'avoir aidé. Je ne parviens toujours pas exactement à cerner le comment du pourquoi, mais vous- tu m'as sauvé la vie et je t'en serai toujours reconnaissant. J'ai une dette envers toi, et je ne partirai pas d'ici avant de te rendre la pareille. Je n'oublierai jamais ta générosité.

Raëghan sourit, les joues rouges, et termina la poignée de mains. C'était un doux sourire sincère, aux fossettes bien voyantes et dont l'allégresse s'exprimait jusque dans ses yeux. Ayden se sentait bien en le voyant.

— Très bien, dit Räe. Dans ce cas, tu peux soigner ma Sÿervik, t'occuper de cette maison et tenir compagnie à ma présence princière. Je t'adoube officiellement... serviteur.

— Homme au foyer, plutôt..., bégaya nerveusement Ayden.

— Serviteur sonne mieux.

Raëghan avait un sourire faussement narquois sur le visage, à présent. Un vrombissement venant de derrière Ayden le fit se retourner : Sÿervik et Orthal scrutaient la scène d'un œil curieux et semblaient s'être bien amusés à les voir jacasser et se faire des courbettes. Il se rendit ainsi compte du ridicule de la scène et ne put s'empêcher de rougir à son tour. Toutefois, ce n'était pas vraiment de la honte, mais plus de l'amusement qui faisait battre son cœur léger comme une plume. Il se sentait vraiment heureux d'avoir enfin quelqu'un à qui il pourrait parler sans s'abstenir, et il ne voulait se débarrasser de ce sentiment pour rien au monde.

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