Chapitre 25 : Purification


Ayden savait que ce jour allait être différent de tous les autres. En effet, alors qu'il attendait l'arrivée prochaine de la prêtresse Parvezal, il fut à la place accueilli par quelqu'un qu'il ne connaissait pas. C'était un jeune homme de tout juste son âge, si ce n'était moins, portant un chemisier immaculé aux manches retroussées et au col brodé de fleurs pourpres, typique des apprentis religieux. Son visage laiteux aux traits lisses et ses grandes prunelles sombres encadrées de courts cheveux noirs bien tenus laissaient tout juste paraître ce qu'il pouvait ressentir, tel un joli poupon inexpressif.

Le garçon lui enfila des chaînes glaciales et humides sur les poignets sans dire un mot et l'emmena hors de sa cellule. Au lieu de l'emmener en direction de la salle de transcription, ils partirent dans la direction opposée, serrant son cœur d'angoisse. Le rituel allait-il bientôt commencer comme la lettre le disait?

Ils arrivèrent dans une toute petite pièce, fermée à part pour une longue et étroite fenêtre qui déversait un halo de lumière solaire dans la pièce. Au centre de la pièce était creusé un bassin peu profond, dans lequel on l'installa : la chaleur salvatrice du soleil réchauffa son corps frissonnant après des semaines dans la fraîcheur et l'humidité. Il demeura plusieurs minutes ainsi, à profiter de l'agréable sensation de pouvoir enfin sentir un éclat du monde extérieur, avant que le jeune homme n'interrompe sa transe d'une demande surprenante :

— Déshabillez-vous, je vous prie.

Ayden rougit à la demande et leva instinctivement ses bras contre son torse. Alors que lui n'osait plus croiser le regard bien trop franc du garçon, ce dernier, lui, ne paraissait pas dérangé du tout par sa demande et réitéra son ordre d'une voix plus douce :

— Enlevez vos vêtements : je dois vous nettoyer.

Sous l'insistance du jeune homme, qui était parti chercher son matériel pendant qu'il s'affairait — non sans avoir verrouillé la porte à double-tour —, il se débarrassa du peu de tissu qu'il avait encore sur lui. Il jeta son pantalon de cuir tâché de boue et déboutonna sa chemises de tissu blanc, qu'il abandonna du mieux qu'il le pouvait avec ses bras enchaînés. En attendant l'arrivée tardive du garçon, il ne put que frotter ses membres frissonnants pour tenter de rester chaud.

Le jeune prêtre revint avec une grande bassine, qui semblait bien lourde pour ses bras tremblants, et vint s'asseoir derrière-lui. Ayden replia ses genoux contre lui pour ne pas être trop vu par le regard totalement neutre du jeune homme. Sa respiration fut coupée quand on versa l'eau frigorifique sur son crâne et le long de son dos. Le froid fut tel mille couteaux contre sa peau mise à nue, mais les mains douces du garçon remplacèrent vite le froid, et il se laissa décrasser en silence. Il laissa les mains lui masser vigoureusement le dos, le cou et le cuir chevelu. Il poussa un soupir d'aise alors que les doigts agiles détachaient ses cheveux lissés par l'eau et les démêlaient doucement, jusqu'à ce qu'il n'y reste plus aucune aspérité. Il se tendit quand on lui demanda finalement de se retourner, mais il se laissa faire, les joues cramoisies.

Ce bain, même s'il le glaçait jusqu'au sang et n'arrangeait pas ses reniflements maladifs, lui faisait le plus grand bien, après des semaines sans avoir pu profiter du luxe d'un bain public ou de vêtements propres. La sensation de fraîcheur et de propreté que lui procurait le bain était revigorante après toutes ces journées d'inaction et de sommeil.

On sécha ses cheveux et on l'intima de se rhabiller. Pendant qu'il reboutonnait ses vêtements, le garçon regroupait ses mèches en une queue soignée qu'il entortilla sur elle-même pour en un faire un chignon rudimentaire. Le jeune prêtre sortit une fleur blanche d'une sacoche à sa ceinture, et alors qu'il se penchait pour la fixer dans ses cheveux, il murmura quelque chose qui le fit frissonner :

— Dites-moi le mot, et vous pourrez sortir d'ici.

Ayden sentit ses muscles se tendre alors que le contenu de la lettre lui revenait à l'esprit : était-ce un piège de ses geôliers pour tenter de le culpabiliser encore plus? Mais il ne voulait pas risquer le rituel de Purification : peu de gens vivaient l'expérience de ce rite nordique, et encore moins étaient encore en vie pour en parler. Entre une liberté certaine et la grande possibilité de mourir, sa décision fut vite prise, et le mot secret s'échappa de sa gorge sans même qu'il ne réfléchisse.

Le jeune prêtre ne laissa pas deviner la moindre émotion en entendant sa parole. Il se releva simplement et l'aida à faire de même, partant en direction de la pièce de transcription. Ayden touchait distraitement ses cheveux propres et coiffés avec grand questionnement. Pourquoi prenait-on autant soin de lui après des jours de négligence? Il était prisonnier, après tout : il ne méritait pas tout ça. Il ne voulait pas être trop envahissant, mais la question le démangeait :

— Pourquoi faites-vous tout cela?

Le garçon, auparavant impassible, laissa paraître un doux sourire angélique sur son visage :

— Je vous ai préparé pour la Purification : après tout, vous devez être irréprochable pour votre rencontre avec les dieux...

— Mais tout ce temps en cellule, ce n'était pas la Purification?

— Seulement une partie. Les cellules du silence nous servent à comprendre votre mal et à vous permettre de vous remettre en question. Madame Parvezal a jugé que vous aviez fini par accepter votre crime et que vous êtes donc prêt à l'expier.

Ils continuèrent sans un autre mot, dans un silence qu'il aurait tant aimé ne plus entendre de nouveau. Quand ils arrivèrent dans la pièce, seule la prêtresse était présente et les accueillit d'un doux sourire, tendant la main vers le tapis alors qu'elle entretenait le feu du brasero. Après avoir installé Ayden, l'apprenti prêtre repartit quelques minutes avant de revenir se poster devant Ayden, un bol fumant rempli d'un liquide rougeâtre entre les mains. Ce fut à ce moment que la voix de la vieille femme s'éleva, forte et pleine d'assurance :

— Supplicié, vous avez brisé les règles de paix et d'harmonie de ce monde en amenant au monde et en protégeant un Messager du Chaos de votre plein gré. Ceci est un crime des plus graves et son châtiment devrait en être cruel.

Il se pinça les lèvres pour ne pas répondre et retint une respiration assez proche du sanglot. Il avait déjà tenté de se justifier bien trop de fois, ça ne marcherait pas mieux aujourd'hui. La femme dût remarquer son malaise, car elle pencha le chef sur le côté avant de continuer son discours, plus doucement :

— Néanmoins, il serait biaisé que l'enfant du Seigneur soit jugé par ses propres frères. Nous allons donc vous offrir aux dieux, vous et votre bête du mal. Vous au Seigneur, pour qu'il puisse vous juger de sa main de plus en plus parfaite, et le monstre à Ssoran, pour qu'il puisse vous rendre votre pureté perdue de son cœur de plus en plus clair.

Des éclats de voix se mirent à résonner dans le couloir, suivi de rugissements stridents et d'un fracas cacophonique. La porte s'ouvrit brusquement, dévoilant trois Gardiens en train de se débattre désespérément avec la masse gigotante et grondante d'Orthal. Le dragonnet était muselé par un masque de cuir et de métal, et ses yeux étaient recouverts par des œillères. Ses pattes étaient emmêlées dans de lourdes chaînes et ses ailes étaient gardées recroquevillées contre ses flancs par des lanières de cuir. A certains endroits se trouvaient des anneaux reliés à des bâtons d'acier que tenaient les Gardiens pour contrôler l'animal et le garder à distance. Et pourtant, malgré toutes ces précautions, Orthal refusait de rester en place et sifflait d'une rage si forte que les poings d'Ayden se serrèrent instinctivement.

Le dragonnet fut attaché à des chaînes sur le mur, à quelques centimètres d'Ayden, puis les soldats s'en allèrent hâtivement, visiblement ravis de ne plus avoir à gérer la créature intenable. Cette dernière se débattit encore un instant, tirant sur ses chaînes comme un diable pour les déloger, mais alors qu'Ayden tendait la main vers elle, le reptile renifla ses doigts et sembla visiblement se calmer.

— Ayden, put-il l'entendre murmurer faiblement avant qu'il ne s'allonge au sol, haletant.

Il aurait voulu pouvoir garder son attention sur le dragonnet tremblant, mais il dut se retourner quand le jeune prêtre s'approcha d'un pas lent, son visage tiré en un moue solennelle qui semblait ne rien fixer dans la pièce en particulier. Quand il lui tendit la décoction de plantes, dont la teinte sanglante tirait des signaux d'alarme dans son esprit, Ayden hésita. Il leva un œil hésitant vers le garçon, la boule au ventre et les lèvres tremblantes.

— Je ne veux pas mourir.

Les yeux de l'apprenti ne se détournèrent pas de leur point d'horizon, mais Ayden put voir le coin de sa lèvre s'étirer en un sourire doux et rassurant.

— Cela ne dépend que de vous et du Seigneur, répondit-il. Vous avez déjà dit ce qu'il fallait pour plaider votre cause, maintenant il faut simplement espérer.

— Est-ce que ça va faire mal?

— Je ne sais pas. Bois.

Le bol atteint ses lèvres et la solution s'écoula dans sa gorge, amère à en mourir. Il voulait se dégager pour recracher, mais le récipient était fermement gardé contre sa bouche. Les sourcils froncés de dégoût et les yeux fermés, il fut obligé d'avaler et manqua de s'étouffer sous le rythme à laquelle la mixture était versée dans sa bouche. Une fois la concoction avalée, le jeune homme se releva et partit sans dire mot, adressant uniquement un salut à la vieille prêtresse. Cette dernière se leva finalement vers lui et rejoignit ses mains tout en fermant les yeux. Dix secondes passèrent. Une minute. Deux minutes. Alors qu'il tendait l'oreille, Ayden put l'entendre murmurer des prières incessantes, des appels aux Dieux et à leur clémence.

La boule au ventre, Ayden attendait le moment fatidique où la potion ferait effet. Le jeune prêtre avait-il dit la vérité? Allait-il survivre à cette dose-ci, ou bien était-ce un mensonge pour lui donner un tant soit peu d'espoir vain? Il avait envie de vomir sous l'angoisse, ses jambes tremblaient de manière incontrôlable. Il avait trop chaud malgré la température douce de la pièce et il suait à grosses gouttes. Orthal devait sentir sa détresse, car il se remit à s'agiter en poussant des gémissements, ses griffes laissant des traces sur le beau tapis.

— A-Ayden..., haletait-il avec peine. Orthal mal, douleur cœur... Ayden mal?

Ayden tourna son regard paniqué vers le reptile, mais il fut pris de vertiges et dût se tenir sur ses coudes pour ne pas s'écrouler. Sa respiration devenait laborieuse et il agrippa sa chemise d'un poing frissonnant. Non, il ne devait pas se laisser aller à la panique : le poison agirait plus vite s'il s'agitait trop. Il devait se calmer. Pense à papa, pense à Sardas, pense à Britta, pense à Orthal...

La voix de la vieille dame commençait à ne devenir qu'un autre écho dans le silence insupportable de cette maudite prison, et Ayden comprit soudainement. Ce n'était pas la peur qui lui faisait perdre tout son sang-froid. C'était le poison. Il faisait déjà effet, sans même qu'il ne s'en rende compte. Avant même que son esprit ne puisse se servir de l'information pour vraiment le faire paniquer, des nouveaux vertiges le prirent et ses bras se dérobèrent sous son poids, le faisant s'écrouler sur le tapis, la respiration effrénée et le cœur palpitant de douleur.

La dernière vision qu'il eut fut celle d'Orthal en train de se contorsionner dans une position peu naturelle, en poussant des cris stridents qui résonnèrent dans son crâne comme un chant mortuaire horriblement familier.

— Ayd- Aydeeeeeeennn...!

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