Avril 2019, Edmonton, Alberta, Canada.

- C'est quoi ton pouvoir?

Marcus avait demandé sèchement. 

Après avoir barricadé la porte et s'être assuré de fermer les fenêtres, le jeune homme avait pris une chaise pour s'asseoir en face de la fille des clans. Celle-ci se contenta de le dévisager sans pour autant lui répondre. 

Les ouvertures closes ne parvenaient que trop peu à étouffer le vacarme de la débâcle extérieure, ce qui acheva de rendre Marcus encore plus nerveux. Il hasardait parfois de rapides coups d'œil en direction de l'entrée verrouillée de la maison. Son fusil ne le quittait plus et restait désormais posé à côté de lui alors qu'il essayait d'en apprendre plus de l'enfant. 

- Alors? fit-il à bout de nerfs, j'ai pas l'intention d'attendre que tu utilises tes dons pour nous mettre en danger! Alors crache le morceau! 

Son impétuosité fut aussitôt calmée par la claque retentissante que lui asséna Victoria à l'arrière du crâne. 

- Non mais ça va pas?! hurla-t-elle, c'est une enfant! Pourquoi te sens-tu obligé de lui faire passer un interrogatoire? 

- Oh mais je sais pas moi, dit Marcus en se frottant la tête, peut-être parce que sa bande de petits copains, au grand complet, se masse à nos portes et vont probablement tous nous massacrer en pillant Edmonton, mais tu as raison, ce n'est qu'un détail!

- Dégage de là, je vais moi, lui parler dit Victoria.

Le jeune homme céda sa place pour venir prendre, debout contre la porte d'entrée de la salle à manger, celle qu'occupait sa compagne tantôt. La colère de la jolie blonde s'apaisa alors qu'elle se mit face à la fille rousse tatouée de vert.

- Il faut excuser Marcus, apaisa-t-elle, il est un peu nerveux avec ce qu'il se passe dehors, mais je t'assure que nous ne te voulons aucun mal. 

La fille des clans blottit sa main blessée et pansée contre elle alors qu'elle n'osait répondre à la chercheuse. La mince couverture qui recouvrait maintenant ses épaules avait fait cesser ses frissons qui l'avaient agitée des heures durant. Une assiette de soupe désormais tiède était posée sur la table en bois à côté d'elle. 

- Comment t'appelles-tu? demanda calmement la scientifique, moi c'est Victoria, Victoria Renver. Tu n'as rien à craindre, nous sommes seulement des habitants d'Edmonton.

- Oui d'ailleurs, en parlant de ça, fit un Marcus goguenard, je pense que notre propriété va se dévaluer...

Irritée, Victoria soupira sans néanmoins répondre à l'humour noir de son compagnon. elle ne savait que trop bien que dans les situations désespérées, Marcus tentait de se rassurer avec ses sarcasmes incisifs. Et même si souvent elle réprimait ces vaines tentatives de détendre l'atmosphère, la blonde ne pouvait nier que, dans ce cas précis, le moral ne pouvait être au beau fixe.

-Amy... Je m'appelle Amy, articula enfin la jeune fille.

Victoria lui sourit afin de saluer cette ouverture, et entendit même Marcus croiser les bras avec attention en cessant de ricaner.

- Enchantée, Amy, fit-elle avec douceur. Puis-je te demander pourquoi es-tu rentrée chez nous? 

- Je voulais me cacher, répondit-elle avec précipitation.

- De quoi dis-moi? 

- Sans doute de tous les premiers prix de beauté qui trainent dehors, intervint une nouvelle fois Marcus.

La chercheuse manqua de se retourner vers son fiancé pour le remettre à sa place, mais s'aperçut bien vite que cela ne serait pas nécessaire: Amy braqua sur Marcus des yeux bleus perçants, presque inquisiteurs, qui firent instantanément retrouver son sérieux au méta-humain.

- T'en es un aussi, pas vrai? lâcha-t-elle. Un comme moi? Tu peux faire des trucs toi aussi? 

- Et pourquoi ça? rétorqua Marcus.

- Chez moi, on a inventé plusieurs choses pour savoir qui a des pouvoirs. La première règle, c'est que quand quelqu'un pose des questions sur un pouvoir méta, c'est que s'en est surement un aussi.

Une telle explication, énoncée avec une assurance pareille, prit totalement Marcus au dépourvu, tant et si bien qu'il resta dans un mutisme inhabituel. 

- Cette enfant est plus intelligente que toi, fit sa propre fiancée, à son tour hilare, on dirait que tu as perdu cette manche tout comme ta langue!

Amy s'amusa de cette situation, détendant suffisamment l'atmosphère pour que la jeune fille se jette enfin sur son potage refroidi.

- Alors, tu sais faire quoi toi? s'enquit-elle avec joie.

Victoria ne manqua pas cette occasion d'enfoncer le clou.

- Il se cache très bien, fit-elle en foudroyant le méta-humain du regard. 

Marcus n'en tint pas davantage.

- Ben vas-y déballe tout pendant que tu y es! gronda-t-il, j'ai risqué ma peau dehors, comme chaque défenseur de cette ville! Pourquoi tu demandes pas à Amy pourquoi elle cherche à partir aussi loin que possible de son propre clan? Si ça se trouve, c'est pour cela qu'ils ont fait sauter ce mur maintenant, c'est uniquement pour elle!

- Tu divagues, tous ces moyens et tous ces morts pour une seule personne? C'est insensé!

- En fait, s'immisça timidement Amy, c'est en grande partie à cause de moi... Dès lors que mes pouvoirs se sont déclarés, je fus condamnée à mourir. Telle est la loi du clan, nécessaire pour sa survie. 

La jeune fille marqua une courte pause alors qu'elle reposa son plat maintenant vide sur la table dans un cliquetis sonore. Même Marcus regardait dorénavant la fille tatouée avec un regard empli d'un mélange de crainte et de pitié. Tout son sarcasme et son ironie délétères s'étaient à présent envolés. Lui aussi méta-humain, il ne pouvait que comprendre le cruel sort que le destin avait réservé à la jeune fille rousse. 

- Mais j'ai que quatorze ans... Je veux pas mourir moi, je veux vivre! Je veux découvrir le monde! J'ai rien voulu de tout ça, je n'ai rien demandé! cria-t-elle à plein poumons.

- Ne t'inquiète pas Amy, fit Victoria, nous ne laisserons pas les mutants te reprendre. N'est-ce-pas, Marcus?

Celui-ci se gratta les cheveux en faisant tomber ses éternelles pellicules blanches, toujours en alerte vis-à-vis de la menace extérieure.

- On ne peut pas Victoria, dit-il, amer, les mutants mettront tout en œuvre pour la retrouver, ils croient que leurs vies en dépendent, ils lâcheront tout ce qu'ils ont pour la ramener, seule elle n'ira pas bien loin dans une ville assiégée. Et on ne peut pas l'évacuer avec nous non plus: son tatouage vert vif ne va pas passer inaperçu bien longtemps. Si elle est découverte, elle sera renvoyée aux mutants, ou bien déclarée puis livrée au gouvernement comme surhumaine. 

- Tout comme t...

-Oui, coupa-t-il, tout comme moi, je le sais. Elle a en quelques sortes de la chance d'être tombée sur nous. 

Marcus soupira d'impuissance alors qu'il contempla cette jeune fille épuisée, qui, seule, avait pu parvenir des centaines de kilomètres jusqu'ici. Et pour ça, de la chance, il en fallait; ainsi que du courage, qu'il n'était même pas certain de posséder lui-même. 

- Marcus a raison, appuya Amy, vous ne pourrez pas vous en aller en me traînant dans vos pattes, vous en avez déjà assez fait... Mes frères de clan tueront jusqu'au moindre enfant pour me récupérer. Je vous l'ai dit, je suis condamnée à mort, se résigna-t-elle, et cette condamnation s'étend à ceux qui chercheront à m'aider... Sauvez vos vies. Laissez-moi me reposer, puis je partirai. Je vous remercie sincèrement de toute l'aide que vous m'avez accordée.

Victoria ne sut plus quoi faire, et même Marcus fut ébranlé par cette déclaration. Il se passa la main dans sa barbe naissante, en cherchant en vain une solution acceptable, tant pour eux que pour Amy. Les paroles de Digger Jones, relatant la découverte de cette carcasse mutilée, démembrée, qui avait un jour été un méta-humain dans la même situation, l'assaillaient encore plus à cet instant, et le faisaient frémir d'épouvante et d'horreur.

Ereintée, Amy ne put plus répondre à aucune question. Comment avait-elle obtenu son pouvoir et surtout quel était-il?  Où était situé son clan et comment avait-elle pu faire un trajet si long toute seule? La scientifique avait fini par mener l'enfant dans un lit confortable où elle pourrait dormir un peu, avant de redescendre, encore toute chamboulée par les révélations dont elle venait d'être témoin.  

- Marcus... implora-t-elle, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour veiller sur elle pour le moment.

Le méta-humain resta un moment pensif, triste, puis approuva d'un signe de tête, sans prononcer un mot. Il reprit son fusil et son équipement, le shérif et les défenseurs avaient sans doute encore besoin de lui. 

- Promets-moi de l'aider Marcus. Elle a besoin de nous. 

Le jeune homme avait déjà saisi la poignée de la porte et s'apprêtait à la pousser vers la défaite d'Edmonton. Marcus se retourna finalement vers Victoria.

- Je te le promets.