La fureur clanique

« Un jour, j'ai vu une mère courir dans la rue, essayant de protéger son enfant contre une foule entière. La rumeur circulait que c'était devenu un méta-humain, même s'il n'avait que cinq ans. Rien n'y fit, les mutants déchaînés, dont certains furent des amis proches, fracassèrent le crâne de la femme avant de déchiqueter le garçon pour dévorer la moindre parcelle de son corps. Juste pour vivre soi-disant quelques jours de plus. »

Amy.

***

Quelque part dans l'Alberta, Canada, avril 2019.

Le réveil ne fut pas aussi facile que Marcus l'avait espéré. Transi de froid, il attrapa à tâtons ses jumelles, cachées dans son sac. Le printemps, dans les contrées septentrionales, se faisait timide jusque tard dans la matinée. L'ombre de son abri rocailleux maintenait le méta-humain à l'abri du soleil naissant et le soustrayait de la chaleur réconfortante du jour.

Mais il était bien là, le jour.

Marcus jura en frottant ses yeux rendus fatigués par une nuit agitée. Il espérait que les mutants n'avaient pas pris trop d'avance, qu'ils n'étaient pas partis trop tôt. Le jeune homme se maudit de son incompétence. Bien sûr qu'ils avaient levé le camp dès les premières lueurs de l'aube. Son carnaval de la veille ne serait sûrement pas passé inaperçu.

Le méta-humain replia son sac de couchage et le rattacha à son équipement. Il revêtit son épais manteau tachée du sang du grizzli sur les épaules, prit son fusil et le remit en bandoulière. Il jeta un œil par dessus sa protection rocheuse afin de constater l'absence du prédateur. Dépité par la fuite acrobatique de sa proie, l'imposant mammifère muté avait sans doute dû trouver sa pitance ailleurs dans les quelques heures qu'il restait de la nuit. Néanmoins, remonter la falaise pour ensuite la contourner était non seulement risqué, mais lui ferait perdre de précieuses heures sur les guerriers des clans et leur prisonnière. Il analysa ensuite la pente plus bas. Les pierres blanches acérées pouvaient à elles seules se révéler fatales en cas de chute, mais offraient une succession de prises assez aisée pour une descente facile. Ou du moins envisageable.

Marcus harnacha ses affaires et chaussa ses épais gants en cuir afin de protéger ses mains. Aucun rocher ne convenait à l'attache d'une éventuelle corde de sûreté, le jeune homme allait devoir descendre en se fiant uniquement à lui-même. Non pas qu'il avait le vertige, mais le méta-humain avait toujours été plus à l'aise sur les plans horizontaux. Lorsqu'il sortit de son abri, les rayons chaleureux du soleil illuminèrent ses cheveux en bataille, qu'il écarta de ses yeux verts. Sans avoir rien avalé, Marcus inspira profondément et commença sa descente.

Il progressa de manière lente, sans se précipiter. Une chute de plusieurs dizaines de mètres le tuerait, c'était pour lui une certitude. Cette pensée le frappa de plein fouet au milieu de son escalade. Il sentit ses jambes flageolantes le lâcher, ses doigts tremblants enserrer moins sûrement ses prises. Un instant, il faillit tourner son regard vers le fond du précipice. Une telle erreur l'aurait sans doute condamné. À la place, le méta-humain déglutit bruyamment et s'efforça de finir au plus vite. Plusieurs fois il manqua de tomber dans le vide, mais se rattrapa de ses mains gantées.

Une fois arrivé en bas de la falaise, Marcus se laissa presque chuter sur les derniers mètres. Il sentit avec soulagement l'herbe dans son dos, la terre sous ses bottes et le ciel seul devant ses yeux. Le méta-humain arracha une touffe d'herbe jaunie avant de se relever. Il franchit rapidement l'orée malade, suivant la direction du campement qu'il avait aperçu la veille.

Le froid mordant de la matinée pesait sur ses épaules. Sa respiration émettait encore une fine vapeur blanche et sa gorge demeurait comme engourdie par l'air froid. Le jeune homme d'ordinaire stressé, vif, dynamique, progressa dans le sous-bois de manière frêle, hésitante, haletante.

Marcus parvint finalement devant l'immense clairière. La végétation jaunâtre s'étendait comme un tapis lisse mais impropre sous ses pas. Le vent nordique battait l'herbe d'une mesure régulière, suivant une partition muette et sobre. La nature elle, était silencieuse. Au centre de la plaine se dressait un seul et unique conifère, autour duquel un cercle de cendres fumantes achevait de se consumer. À l'intérieur, les restes d'un brasier plus important émettaient une fumée grise. Peu rassuré, l'instinct du méta-humain était en alerte. Il saisit son arme et la porta à son épaule. Il avançait à pas désormais ralenti, sur le qui-vive, à l'affût du moindre bruit qui se différencierait du souffle du Nord. Le vent emplissait presque de force ses poumons d'air frais.

Soudain, le jeune homme se figea. Des os jonchaient les environs du grand feu de la veille, dispersés comme des confettis issus d'une fête macabre. Un souvenir désagréable du vieux Digger lui racontant sa découverte de restes humains après une cérémonie des plus odieuses lui revint brutalement en mémoire. Saisi par le désespoir d'un échec si prématuré de sa quête, il se précipita sur sa funeste trouvaille. Il posa un genou à terre et de sa main ganté examina chacun des os sales qu'il put trouver. Chacun avait été méticuleusement nettoyé, comme si les carnivores n'avaient pas mangé depuis des années. Si Amy avait été exécutée ici, il ne restait plus rien d'elle. Or, Marcus ne remarqua pas la moindre mare de sang séché, pas la moindre trace. En y regardant de plus près, les ossements n'avaient rien d'humain.

Marcus Vermont émit un soupir de soulagement : ce n'était sans doute rien de plus que les déchets du repas de la veille. Alors que son cœur reprit peu à peu son calme, le méta-humain se redressa et poursuivit son inspection du campement de fortune. Il constata que les guerriers des clans étaient, au-delà de ses craintes, bien plus organisés que lui. Il comprit l'intérêt du cercle de feu pour les protéger des prédateurs, pour les tenir au chaud même durant les heures les plus glaciales de la nuit. Malgré tout l'adversité qu'ils avaient eu à affronter, que Digger lui avait contée, les mutants que le sort avait désignés comme les ultimes suppliciés du monde moderne tiraient leur épingle du jeu de n'importe quelle situation. Marcus ne pouvait s'empêcher par moment de les admirer.

En dépit de leur départ précipité dès les premières lueurs de l'aube, les guerriers des clans n'avaient rien laissé derrière eux. Ou, du moins, presque rien.

Au pied de l'épineux se devinaient d'épais cordages tressés reposant de part et d'autre de l'imposant tronc. L'arbre centenaire à l'écorce dure comme du granit avait dû servir de gardien indéfectible durant la nuit. Marcus s'avança vers les liens pour découvrir qu'ils avaient été coupés. Le jeune homme trouva cela étrange, Amy n'avait sans doute pas pu traverser seule le cercle enflammé qui la coupait des dangers extérieurs, encore moins trouver la lame pour trancher une corde si résistante. Alors pourquoi ses geôliers l'avait défaite de ses liens ?

Il n'eut pas à attendre sa réponse bien longtemps. Les souffles lancinants de l'air avait camouflé la seconde respiration jusqu'au dernier moment. Tombant du conifère, quelque chose percuta Marcus dans le dos alors qu'il examinait encore la corde coupée. Le jeune homme sentit l'oxygène être brutalement chassé de ses poumons. Il fut ensuite retourné sur le dos alors qu'une lame vint rencontrer sa gorge. Au-dessus de lui se trouvait une femme aux cheveux blonds tressés, vêtues d'habits simples avec quelques pièces de cuir marron. Elle braquait sur le méta-humain des yeux ictériques emplis d'une haine farouche. Ses traits crispés ne masquaient en rien sa peau pâle et Marcus ne sentait que trop bien, non seulement l'acier sur sa peau, mais également les excroissances osseuses de la main qui le tenait.

Une guerrière des clans.

— C'est donc toi qui nous suit ! lui cracha-t-elle au visage.

Le genou de la mutante lui appuyait sur le thorax et comprimait ses poumons, l'empêchant de balbutier une quelconque réponse. Ses doigts avaient lâché son arme sous l'effet de surprise, elle se trouvait désormais hors d'atteinte.

— Smith ! hurla la guerrière, c'est bon, sort de là !

Une forme émergea de l'orée du bois. Voûtée, avançant sans assurance, elle n'avait rien de comparable à l'allure menaçante qu'arborait la combattante clanique. Ce ne fut que lorsqu'elle s'approcha assez près que Marcus reconnut bien le maître-chien d'Edmonton. L'homme stressé se faisait presque traîner par son canidé maladif.

— Ça va, je suis là, dit Smith d'un ton bégayant.

— John avait raison, on nous filait à la trace. Calme ton clébard, j'ai quelques questions à lui poser !

La guerrière se releva en repoussant du pied le fusil de Marcus. Elle souleva le jeune homme et le plaqua contre le tronc rugueux du conifère en maintenant son emprise sur sa carotide.

— À toi de jouer mon garçon, pourquoi tu nous suivais ?

La guerrière des clans était parfaitement ancrée sur ses positions. Même courbée pour bloquer son prisonnier, elle faisait une tête de plus que celui-ci. La femme était une force de la nature, et sa condition de mutante ne la rendait que plus intimidante encore. Smith, quant à lui, tentait tant bien que mal d'apaiser sa bête, qui ne cessait d'envoyer au jeune américain de féroces aboiements.

— Je ne vous suivais pas, essaya Marcus, je passais par là par hasard lorsque j'ai vu votre camp.

Une fine pression de la mutante fit couler un fin filet de sang de son cou.

— Mon cul ! vociféra-t-elle. Tu savais ce que tu faisais ! Notre chien sent ton odeur depuis que nous sommes partis d'Edmonton !

Les bruyantes vocalises de l'animal, ne laissant aucune équivoque sur leur destinataire, vinrent involontairement appuyer ce point.

— Beth, on devrait pas rester ici, rejoignons les autres, implora Smith.

— Oh toi, la ferme ! On en a tous marre de tes lamentations ! Je comprends mieux pourquoi on m'a demandé de te garder avec moi. Même ton clebs est plus utile que toi, alors viens pas m'emmerder ! Fais quelque-chose d'intelligent, fouille son sac !

Le maître-chien s'exécuta sans la moindre motivation. Il attacha la corde qui retenait son chien à sa taille puis prit une des sangles toujours attachée à l'épaule du méta-humain qu'il enleva d'un geste mou, avant de faire de même avec la seconde. Après avoir ouvert la fermeture éclair, il plongea sa main dans la poche principale et en sortit les boites de rations alimentaires, et divers équipements que Marcus avait jugé pertinent d'emporter.

— Bouffe, lampe-torche, jumelles, munitions, une photo, énuméra-t-il. De quoi faire une sacré balade.

Il jeta certaines des fournitures sur le sol, n'en tenant plus.

— Bon ça suffit, bégaya le dresseur, allons-nous-en, je ne suis pas rassuré ici, Tex non plus.

— Tu ne l'es jamais ! enfonça la guerrière, et toi tu n'as pas répondu comme je le voulais, alors pourquoi nous poursuis-tu ? Dernière chance.

Si Marcus entendait le plus possible éviter de croiser l'horrible regard de sa geôlière, il ne pouvait s'empêcher de scruter le plus possible le visage de Smith. Le mutant était là lors de la mort de Digger. Même s'il n'avait pas lui-même appuyé sur la détente, il nourrissait un profond ressentiment à son égard, mêlé à une certaine pitié. Il allait lui falloir gagner du temps, ce prétexte pourrait dissimuler le véritable but de sa quête tout en restant crédible. Le méta-humain désigna du doigt le maître-chien.

— C'est... C'est lui que je voulais retrouver, balbutia-t-il.

La dénommée Beth tourna la tête, surprise, vers son camarade. Celui-ci afficha un visage des plus consternés, encore plus nerveux que d'habitude.

— Moi ? Pourquoi ? Pourquoi tu me cherches ?

— Le shérif. À Edmonton. C'était mon ami, et vous l'avez tué !

Les yeux verts de Marcus devinrent larmoyants en prononçant ses mots. Il ne réalisa que maintenant que tous ceux qui furent ses amis lui avaient été arrachés. À part Victoria, il n'avait plus personne.

— Je...je, bégaya Smith. Comment tu peux savoir ça toi ?

Le maître-chien était à présent pris de panique. Son regard faisait des va-et-vient entre la guerrière des clans et son captif, toujours cloué à l'écorce du conifère.

— Il dit la vérité ? questionna Beth.

Smith opina du chef.

— Mais c'est n'est pas moi qui ait tué ce type. Y avait John, et Vince. C'est lui qui lui a tiré dessus, pas moi ! Et comment le sais-tu ? Je suis quasiment sûr que personne ne nous a vus !

— Peu importe, prend son fusil, lui intima Beth.

— Pourquoi ? protesta Smith.

— On ne peut pas le laisser nous traquer, justifia la guerrière, et comme le veut la loi du clan, s'il voulait te tuer, alors c'est à toi qu'il revient d'en faire de même. Qui plus est, si ça peut te faire pousser une paire de couilles, mieux vaut tard que jamais.

Smith se renfrogna comme il put.

— J'ai jamais tenu d'armes avant, Beth. C'est pas mon truc.

— Tiens donc... Ouvre tes mirettes, ce genre d'états d'âme, ce n'est pas pour des gens comme nous ! Regarde-toi dans un putain de miroir et vois ce que nous sommes devenus ! Ceux des grandes villes n'auraient eu aucun scrupule à nous abattre lorsque nous serions venus leur demander de l'aide. Je ne le laisse pas en proie aux prédateurs, c'est déjà gentil !

Le dresseur s'empara de l'arme à contrecœur malgré les jappements de son chien qu'il confia à la guerrière. Beth s'écarta, relâchant enfin son emprise tranchante sur la gorge de Marcus qui put enfin prendre une pleine bouffée d'air frais.

Smith mit lentement en joue le méta-humain.

Deux fois sur le seuil de la mort en moins de vingt-quatre heures.

Marcus revit encore sa triste vie défiler derrière ses paupières alors qu'il ferma les yeux. Les larmes cristallines coulèrent sur la surface vitrée de son subconscient et se muèrent en un tourbillon d'énergie salvatrice. Se reflétèrent les visages de tous ceux qu'il avait aimés, chéris, puis perdus. Il se revit dans la salle d'interrogatoire, où les agents Klaus et Jonas avaient sortis leur armes et s'étaient apprêtés à l'assassiner pour ce qu'il savait.

Pour ce qu'il était.

Il avait été si fier à ce moment-là. Il avait utilisé chaque parcelle de ce qu'il était capable de faire pour s'en sortir et il avait survécu. Avec même des railleries et un certain panache. Cette pensée fit paradoxalement naître un sourire sur son visage fatigué.

Alors que le doigt de Smith effleura le mécanisme de mise à feu du fusil, Marcus Vermont rouvrit les yeux avant de disparaître.

Le maître-chien resta bouche-bée. Par réflexe, il appuya sur la détente. Les plombs perforèrent l'écorce là où le méta-humain s'était tenu il y a une fraction de seconde, faisait voler des éclats de bois en tout sens.

Marcus ne se laissa pas ralentir par les projections d'écailles boisées coupantes. Certaines lui entaillèrent les mains et les jambes. Il fondit sur le mutant désemparé en ramassant une des boites de ration qu'il avait laissée tomber. Avant que le tireur ne puisse libérer sa seconde salve, le jeune homme lui lança la boite au visage. Cette méthode désespérée lui permit de gagner quelques secondes vitales.

Il se saisit du fusil de chasse que Smith tenait encore dans ses mains et le frappa avec le canon. Le mutant s'effondra sur le sol dans une volée de poussière.

Prise par surprise, Beth mit quelques instants à réagir. Elle lâcha presque involontairement la corde retenant le chien sur ce qu'elle voyait comme un fusil bougeant seul dans les airs.

Marcus savait à quoi s'en tenir, il n'avait pas le choix. En un souffle, il braqua son arme sur le canidé qui lui fonçait dessus et fit feu. La tête du berger allemand explosa à moitié sous l'impact à bout portant, projetant de multiples morceaux d'os, de chair irradiée et de cervelle. Marcus fut en un instant pris de nausées, mais il n'eut pas le temps de s'en préoccuper.

La guerrière des clans se précipita sur lui la lame en avant. D'un pas souple, Marcus esquiva la frappe à l'aveugle de la mutante et lui envoya un poing dans les côtes. Ses phalanges rencontrèrent sous les vêtements résistants une formation mutée d'os durs comme de la pierre. Marcus poussa un cri de douleur alors qu'il sentit ses doigts craquer sous le choc. La souffrance frappa ensuite son esprit avec la vivacité d'un fleuret. Il vit le voile gris qui recouvrait sa vision se retirer instantanément.

Il était réapparu.

Beth le transperçait avec des yeux jaunis exorbités. Marcus vit dans son regard qu'elle avait compris à qui elle avait affaire. Ses traits se durcirent, dans son âme naquit une lueur d'une horreur indescriptible qui transparut de tout son être. Une aura monstrueuse de meurtre.

Sans attendre, Marcus asséna un coup de crosse à cette vision cauchemardesque et sanguinolente avant de prendre la fuite en récupérant son sac. Il courut de toutes ses forces vers le nord du clairière, en direction de l'orée du bois d'où Smith avait surgi quelques instants auparavant. Malgré le souffle du vent et le bruit de ses pas dans l'herbe cassante, il eut l'impression que le moindre son émit par ses poursuivants lui tambourinait l'oreille.

Beth se releva tant bien que mal. Toute douleur avait soudainement disparu. Seule l'animait la haine qui caractérisait les clans mutants. Dégoulinante des restes sanglants du chien, elle arborait une allure difforme encore plus terrifiante.

— Tex ! hurla Smith en se précipitant vers la carcasse de son compagnon.

Le dresseur du nord pleura la mort de son dernier ami, mais la guerrière des clans avait elle un tout autre but.

— Smith ! Arrête de chialer ! tonna-t-elle.

Elle se précipita sur le pauvre mutant et le releva en l'agrippant par le col.

— Tu sais ce que c'est Smith ? Un méta-humain ! C'est notre chance, notre heure de gloire ! Imagine combien d'années nous pourrions vivre si on le tue à nous deux!

Le maître-chien ne partagea pas cet enthousiasme, il se dégagea mollement et retourna à son deuil.

— Comme tu veux sale larve, ça en fera plus pour moi !

La mutante s'élança à la poursuite du jeune homme à peine parvenu à la lisière de la forêt. Aveuglée par sa rage, elle n'entendit pas les avertissements de son camarade sanglotant sur l'odeur sanglante qu'elle traînait désormais dans son sillage.

Marcus manqua de souffle après plusieurs dizaines de mètres dans les bois. Il passa à travers des fourrés acérés, irradiés, avant de ralentir près d'immenses rochers. Sa main endolorie, son fusil déchargé, il s'appuya contre la roche froide pour récupérer. Bien plus athlétique, la mutante le rattrapa en quelques minutes. Le méta-humain se plaqua contre la pierre en cherchant ses munitions de manière désespérée.

Beth ralentit sa marche, elle se passa la langue sur les lèvres, savourant sa victoire à l'avance.

— Si j'avais su morveux, j'en serais venue là directement. Je comprends mieux pourquoi cet abruti de Smith n'a rien vu à Edmonton.

Marcus ne répliqua pas. Beth examina son couteau d'un air lubrique avant de lécher sa lame encore rouge du sang du méta-humain.

— Sois satisfait, reprit-elle, tu ne mourras pas inutilement. Tous ne peuvent pas en dire autant.

— Si j'ai le choix, j'avoue que je préférerais en rester là, lâcha Marcus.

L'américain aux yeux verts se maudit en ne sentant que les quelques cartouches restantes au fond de son sac. Il n'aurait pas le temps de les charger que la mutante sortirait des fourrés pour l'éventrer. La vision épouvantable de la femme émergeant des taillis illustrait tout à fait à quel point, si tout un chacun possédait un instinct de survie plus ou moins développé, cela n'était rien comparé aux horreurs que les clans mutants étaient prêts à commettre sur la simple croyance de rallonger leur vie.

Acculé contre la paroi rocheuse, Marcus, à bout de souffle, ne put rien faire d'autre que d'attendre alors que la meurtrière se frayait un chemin hors des ronces. Son apparence révoltante emplie d'une aura meurtrière avançait lentement, comme marchant sur du velours tandis que devant elle se dressait son salut. Le couteau levé, Beth s'apprêtait à tailler le méta-humain en pièces. Il n'y avait plus d'échappatoire cette fois, Marcus ne pourrait plus prendre la guerrière des clans par surprise. Le jeune homme se rappela de sa maison sur Edmonton, afin que ses dernières pensées soient pour son foyer.

Tout à coup, une autre ombre se mut parmi les arbres sombres. Un fin grognement parvint jusqu'aux oreilles de Marcus, qui avait déjà rencontré son auteur. La mutante se pétrifia comme lui, sous l'emprise d'une terreur insondable. Alors seulement, Beth réalisa les innombrables éclaboussures sanguinolentes, odorantes qui recouvraient ses habits et son visage. Elle se passa les doigts sur la figure comme pour enlever une souillure indélébile. Un pas lourd faisait craquer les brindilles dans son dos et se rapprochait de plus en plus. Un souffle bestial résonnait maintenant sur sa nuque. Son regard hébété croisa une dernière fois celui de Marcus.

— Non... laissa-t-elle échapper.

Brutalement, le grizzly surgit des fourrés et la happa à la gorge. Les cris horrifiant de celle qui avait été une fière canadienne comme les autres se muèrent bientôt en gargouillis sanglants. Les spasmes qui animèrent ses muscles se calmèrent puis stoppèrent aussitôt. Marcus ne resta pas davantage pour assister au spectacle du repas du prédateur, et s'enfuit sans demander son reste.

Le méta-humain courut, courut aussi longtemps que ses jambes purent le porter, toute la journée durant. Parfois, il trotta, si le terrain était trop difficile ou qu'il n'en put plus davantage. Ce ne fut que lorsque le crépuscule arriva qu'il ne s'arrêta finalement pour manger. L'horreur de cette journée resterait gravé dans son esprit à jamais. Une de plus pour sa collection.

Marcus ouvrit son sac et fit un inventaire de ce qu'il lui restait. Il se pinça la lèvre lorsqu'il constata qu'il avait perdu la moitié de ses rations, plus des trois-quarts de ses munitions, ainsi que son compteur Geiger. Dépité, il laissa tomber son paquetage sur le sol. Il allait devoir se ravitailler en route, chasser, Dieu seul sait quoi.

Avant que la lumière ne s'en alla, il prit sa paire de jumelles et observa l'horizon. Une lueur d'espoir se ralluma en lui lorsqu'il aperçut un immense sillon aqueux serpenter dans la plaine.

La rivière Athabasca, la première étape de son voyage. Suivre son cours le mènerait à la ville de Fort McMurray.

Rien n'était encore perdu.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top