Feu et sang
"Appelez des renforts, appelez le central! L'armée!"
"On ne peut pas le retenir, on va pas s'en sortir!"
"Situation étages inférieurs, armurerie, où vous êtes, bon dieu, répondez!"
"Il a défoncé les portes blindées! Il est trop rapide! Haaaaaa!!!!"
La voix émanant de la radio s'interrompit brusquement. Seuls des grésillements demeuraient audibles et n'étaient pas pour rassurer Hector Vermont, se tenant accroupi derrière l'épaisse table de son bureau. Pendant que ses collègues s'étaient rendus à l'armurerie, lui était resté au rez-de chaussé pour surveiller l'accès aux niveaux inférieurs. D'épaisses gouttes de sueur coulaient le long de son front, alors que ses mains tremblaient de peur. Il braquait désespérément la porte, seule issue de la salle, de son arme de poing, redoutant ce qui pourrait entrer. La chaleur se faisait étouffante, les flammes des sous-sols grimpaient lentement pour enflammer les niveaux supérieurs. La réserve d'armes était désormais inaccessible et son contenu n'avait de toute façon pas aidé ses défenseurs.
Le vétéran entendit soudain un clic métallique, qui lui fit nerveusement décocher deux coups de feu à travers la porte, dont la vitre se brisa en un éclat sonore. Le système anti-incendie se mit aussitôt en marche, et le briscard se maudit de son manque de sang-froid. Un fine pluie fraîche se fit peu à peu sentir sur la peau fatiguée du vieil homme. Cela lui fit du bien. Mais diminuait sa visibilité. Il fouilla frénétiquement dans son tiroir à la recherche de quelques munitions supplémentaires, mais n'en trouva que trop peu pour se rassurer.
— Y a-t-il encore quelqu'un de vivant par ici? retentit une voix cruelle.
Hector se rétracta complétement derrière son abri de fortune. Il ne sut ce qui le terrifia le plus: que ces paroles venaient de l'exact opposé des escaliers descendant aux sous-sols, ou que celui qui avait parlé sous-entendait qu'il avait déjà tué tout le monde à cet étage également, et pire, qu'il semblait s'en amuser.
Comment a-t-il pu monter sans que je ne le vois passer? se demanda le vieil homme, avant de se remettre à cibler la porte de son bureau. L'incendie gagnait le couloir, les flammes dansant en de grandes mèches vers le plafond. Le policier savait qu'il se retrouverait bientôt piégé et devrait passer par la fenêtre s'il voulait sortir du bâtiment, mais cela impliquerait de se mettre à découvert vis à vis de cette... chose.
Le système anti-incendie semblait inefficace et ne faisait que réduire la vitesse à laquelle le feu se propageait. L'étage inférieur devait maintenant être une fournaise infernale de laquelle était né le diable en personne. Les volutes de fumée mélangées à celles de la vapeur d'eau naissante formaient petit à petit une épaisse brume qui rendait la visibilité encore plus ardue. Pire encore, les yeux du vétéran le piquait de plus en plus et devenaient larmoyants. N'y tenant plus, il enleva la main gauche de son arme et tenta d'enlever sa gêne oculaire en se frottant les paupières.
Il quitta la porte du regard deux secondes.
L'officier se remit tant bien que mal en position en appuyant ses doigts les uns sur les autres pour réduire le tremblement de ses mains. Il n'eut pas besoin de faire beaucoup d'efforts, alors qu'il se figea devant ce qu'il discernait à peine six mètres devant lui.
Un des éclats de verres semblant rattaché à la vitre de la porte oscillait lentement. Dedans se trouvait le reflet d'un œil orange comme les flammes qui l'entouraient.
— Oh oui, je t'ai trouvé, gros lapin dans son terrier! s'exclama la même voix sinistre.
— Salopard! rugit le commissaire, alors qu'il tira deux balles dans l'horrible vision.
L'une d'elles frappa le morceau de verre et le fit voler en éclats. Après avoir atteint son but, le commissaire se déplaça légèrement vers la droite du bureau, s'assurant ainsi qu'il ne restait pas à la même place que son opposant l'avait vu.
— Roooh, tu m'as mis des éclats de verre dans la main, bien joué! Je vais te donner une chance de t'en sortir, je vais compter jusqu'à dix avant d'entrer. Que le meilleur gagne!
Le briscard déglutit bruyamment lorsqu'il entendit le "Un." sonore provenant du couloir à moitié enflammé. Il se mit dos aux tiroirs en essayant de respirer calmement l'air peu à peu vicié de la pièce.
"Deux."
Il sentait qu'il n'allait sans doute pas s'en sortir.
"Trois."
Il n'aurait jamais dû fermer les yeux si longtemps. Accepter que Jeffrey fasse irruption dans sa famille.
"Quatre!"
Sa femme l'attendait, morte d'inquiétude, son fils Marcus aussi.
"Cinq!"
Sa fille était morte. Il ne pouvait pas les laisser tomber.
"Six!"
Il allait se battre!
"Sept!"
Qu'il vienne!
Le vieil homme se remit en position, son arme prête à être déchargée. Soudain, il réalisa qu'il n'avait pas entendu le huit. Il se mit à paniquer, était-il toujours là? Se jouait-il de lui?
Neuf.
Hector Vermont ferma un œil dans le faux espoir de viser le plus précisément possible et retint sa respiration. Toute son attention était portée sur la porte qui lui faisait face, il n'entendit le bruit venant de sa droite que trop tard.
Dans un bruit de tonnerre, un lourd bureau en bois passa à travers le mur pour venir se fracasser sur le pauvre homme et son propre couvert improvisé. De multiples débris de bétons volèrent, épars, dans tous les sens. Hector hurla de douleur alors que le projectile massif s'effondra sur ses jambes et son bas-ventre. Son propre bureau fut projeté à l'autre bout de la salle par l'impact, rependant d'innombrables échardes boisées aux alentours.
Le vieil homme cracha du sang et se tortilla désespérément pour se dégager du lourd meuble qui lui broyait les jambes. Il ne vit pas immédiatement la forme qui émergea du trou béant par lequel le mortel objet avait été lancé. En état de choc, Hector crut discerner une vision monstrueuse, nimbée de flammes, secouée de spasmes anarchiques, comme une marionnette que l'on faisait remuer aléatoirement, mais ricanante, jubilante. Une parodie caquetante d'être humain. Et ces yeux horribles...
— Dix, pardon, j'avais oublié! J'ai dit que j'allais entrer, j'ai pas précisé par où! provoqua l'ombre amaigrie.
Hector ignora cette dernière phrase, et essaya encore, tant bien que mal, de se dégager avant de perdre connaissance. La douleur était si atroce qu'il en lâcha son arme et de ses deux mains tenta de soulever l'énorme bureau en bois.
Avec un ricanement sadique, l'être aux yeux oranges s'appuya du coude sur le meuble, ce qui fit hurler le pauvre homme de souffrance.
— Il faut que vous preniez ça, voyez-vous, reprit l'ombre, comme la récolte du grain que vous avez semé. Il fallait bien s'attendre à un phénomène de rebond après m'avoir privé de mon cocktail si longtemps! Donc excusez-moi si je ne me contrôle pas bien.
— Haaaaaaa! Espèce d'enfoiré! s'écria le commissaire.
Le prisonnier eût à nouveau un spasme étrange qui se propagea de sa colonne vertébrale à ses doigts.
— Cela revient peu à peu, s'expliqua t-il à lui-même, j'en ai été privé trop longtemps, mon corps se réhabitue, ça va aller, ça va aller...
Il souffla bruyamment en remuant rapidement la tête, comme pour se remettre d'un choc. Il rebraqua ensuite son regard impressionnant sur l'homme qui se tortillait à ses pieds.
— Va te faire foutre, Slart, espèce d'ordure! renchérit Hector Vermont.
— Venant du chien de garde de Marlow, je trouve ça très cavalier de votre part! Qui est vraiment l'ordure, de nous deux? Vous êtes à ses ordres, je parie même que vous l'avez déjà prévenu, je me trompe?
Le commissaire jura et rattrapa son arme de service et tira maladroitement une balle en direction du visage du jeune homme. Mais Jeffrey s'y attendait et d'un mouvement brusque de la tête, esquiva instinctivement le projectile et d'une torsion fulgurante du poignet fit définitivement lâcher le pistolet de l'officier qui hurla de plus belle.
— C'était un peu prévisible comme attaque... railla-t-il une nouvelle fois. Mais de toute façon, vous n'avez jamais cru en moi! Vous me considériez comme un moins que rien, Léa me l'a dit! Pas assez fort pour la protéger, avez-vous changé d'avis maintenant?!
— Je n'ai... jamais eu raison à ce point. Tu l'as tuée, c'est toi qui l'as tuée!
Jeffrey nia exagérément de la tête.
— Le moment est mal choisi pour essayer de faire des jeux d'esprits comme ça.
— Non, c'est toi qui l'as tuée...quand tu lui as injecté ta substance! Elle vivait...encore!
Jeffrey écarquilla de grands yeux monstrueux. Une part de lui commença à douter, à se demander, même si cela lui paraissait impossible.
Cela ne marche que sur toi.
Il prit sa tête entre ses mains et se contorsionna en luttant contre cette accablante pensée.
— Non! Vous mentez! cria t-il en pointant sur le blessé un doigt accusateur. Je n'aurais jamais fait ça!
Tu l'as fait.
— Ce.. ne sera pas moi, mais quelqu'un... te rendra la monnaie de ta pièce! Celui-là sera... un vrai héros... articula le commissaire à bout de forces.
— Non, taisez-vous!
Jeffrey enserra de ses mains la gorge du vieil homme, et serra. Il ne voulait plus qu'aucun son ne vienne, plus qu'aucun mot ne sorte de la bouche du commissaire. Il serra encore et encore, jusqu'à ce que le cou d'Hector ne soit plus que bouillie sanguinolente.
Et plus aucun mot ne vint.
***
Marcus se tortilla maladroitement sur son inconfortable siège. Il savait que ses deux interlocuteurs scrutaient la moindre de ses réactions.
— Tout ce que je sais, déclara-t-il, c'est qu'au bout de ces trois jours, le commissariat fut réduit à l'état de ruines, Jeffrey Slart avait disparu, et que mon père était mort... En trois jours, j'avais perdu deux membres de ma famille. Et c'est suffisant. Je ne sais rien de plus.
L'agent qui l'avait questionné jusqu'à présent se mit à rire. Son comparse, Jonas, ne tarda pas à l'imiter.
— Tu entends ça Klaus? Il dit qu'il ne sait rien de plus! s'esclaffa celui-ci.
Le visage de Marcus marqua une totale incompréhension et celui-ci plissa les yeux. Encore un petit effort et il serait bientôt libre.
— Excusez-nous, fit le dénommé Klaus, mais le plus drôle est, que nous savons DEJA tout ceci. Nous en savons même plus que vous sur ce qui est vraiment arrivé à votre famille, et je peux d'ors et déjà vous dire que vous nous avez mené en bateau sur pas mal de points. Vous essayiez de gagner du temps. Et nous ne pouvons courir le risque que vous partiez en en sachant trop, monsieur Vermont!
A ces mots, l'agent se leva et, avec son collègue, dégaina son arme de poing pour la braquer sur le visage ahuri de Marcus.
Ce serait une question de secondes.
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