Cœur et courage

Avril 2019, Edmonton, Alberta, Canada.


- Ah Marcus te voilà, je me demandais où tu étais passé! se réjouit le shérif Digger Jones. 

Le jeune homme arrivait à peine de son quartier résidentiel au pas de course. Il n'avait eu de cesse de constater l'état désormais déplorable du champ de bataille qu'était devenue Edmonton. Les rues étaient jonchées de débris, de cendres et de poussières, quand cela n'était pas de corps sans vie de défenseurs, pour la plupart de simples pères de famille qui avaient seulement souhaité protéger leurs foyers. Pas des soldats, pas des militaires. Des boulangers, des employés du tertiaire, des ouvriers, des maçons, des policiers qui n'avaient pas hésité une seconde à se battre pour leur cité. Ils avaient fait, et pour la plupart continuaient à faire face à des abominations terrifiantes, dont la seule vue pouvait horrifier le plus valeureux des combattants, des mutants les dépassant parfois même en taille, poussés comme des animaux acculés à se raccrocher coûte que coûte à leur vie abrégée. 

Les défenseurs d'Edmonton s'étaient battus avec un héroïsme exemplaire, sans substance infernale décuplant leurs capacités, ni pouvoirs méta-humains. 

Marcus déglutit bruyamment en parvenant presque essoufflé jusqu'à Digger et ses acolytes. Le quinquagénaire vieillissant affichait des traits tirés, des cernes immenses et surtout, nota Marcus, l'absence de sa célèbre pipe. Son uniforme, bien que recouvert de son manteau de laine coutumier pour la veille de nuit, était nimbé de poussière, voire déchiré à plusieurs endroits. Même sa moustache, qui revêtait pour lui un caractère presque sacré, était en désordre. De toute évidence, le shérif avait, comme le méta-humain, passé une mauvaise nuit. Les hommes qui le suivaient étaient également tous marqués par la fatigue et l'éreintement, ils s'étaient battu toute la nuit, sans se reposer, sans fuir, ni déserter. 

- Tout va comme tu veux Marcus? interrogea Digger.

Le jeune homme s'arrêta et se reposa en s'appuyant sur ses genoux, haletant encore de sa course. 

- Oui...oui... Je... Je... Il fallait que je m'assure que Victoria aille bien, dit-il en reprenant son souffle.

Il ne fallait en aucun cas révéler qu'ils hébergeaient une méta-humaine, venue des clans de surcroît. Surtout maintenant qu'elle savait que, lui aussi, en était un. La sécurité de celle qu'il aimait, ainsi que la sienne, en dépendait. 

Digger acquiesça d'un mouvement de son chapeau.

- Je comprends, si elle s'est barricadée, il n'y aura pas de soucis. Quant à moi je ne m'en fais pas, j'en viendrais même à plaindre ceux qui enfonceraient la porte pour tomber sur ma tendre et douce moitié. 

Le vieil homme éclata d'un rire sonore, repris par une majeure partie des suivants rassemblés derrière lui. Le shérif était décidément toujours prompt à détendre l'atmosphère même au milieu du chaos le plus insondable.

- Bon, assez ri, reprit-il, j'ai pu m'entretenir avec le maire, on évacue la ville dès demain matin. On se dirigera vers Calgary où les secours nous prêterons assistance et la cité en elle-même une protection suffisante. Ils ne sont, quant à eux, pas assiégés, nous pourrons donc nous y rendre par voie ferroviaire. 

Le protecteur de la loi s'effila la moustache d'un air inquiet.

- J'espère juste que nous tiendrons jusque là, je vais pas vous le cacher, ça ne sera pas de la tarte. Il y a un trou béant dans notre enceinte et nos citoyens sont fatigués et saignés à blanc. Le gros des clans mutants se sont repliés, mais certains baguenaudent encore dans nos murs. Alors voilà le plan, les communications par haut-parleurs sont HS, alors on va se séparer en divers groupes, on a pas mal de surface à couvrir. Formez des binômes, dont un ira à la gare assurer les préparatifs de départ et la protection des voies. Les autres iront faire chaque quartier de la ville pour prévenir les citoyens retranchés chez eux de préparer leurs affaires et leur évacuation. On abandonne Edmonton.

Si la plupart des volontaires se contentèrent d'approuver l'air grave, résignés quant au fait que la fuite de leur cité s'imposait comme absolument nécessaire, d'autres ne se retinrent pas pour protester.

- J'ai bâti ma maison de mes mains, je la laisserai pas à ces charognards! s'indigna un adjoint plus jeune. Ils auront qu'à me passer sur le corps!

- Ils le feront! lui renvoya Digger, ils t'arracheront les os un par un! Quand on va mourir, autant se détendre comme on peut pas vrai? Ils vont brûler ta baraque, te découper en morceaux, et se servir de tes tripes comme balançoire pour leurs mômes ou bien comme corde à linge... Selon ce qui leur sierra le plus. Mais si tu veux rester, je t'en prie, mais ne laisse pas tomber tous ces gens!

Le sermonné baissa la tête, gêné, et reprit sa place sans un mot. 

- Shérif, s'adressa à lui un autre engagé, que fait-on pour les morts? On ne peut les laisser ici, au milieu des rues. Ne peut-on pas les enterrer décemment? 

- On manque de temps fiston, répondit le quinquagénaire, on a des centaines de pertes; et on s'en va dès demain matin, si les hommes du nord ne sont pas revenus avant nous faire la peau. 

Le vétéran perçut des remuements discrets dans les rangs des volontaires. Il savait que nombre de canadiens étaient de fervents croyants et que partir sans assurer des funérailles décentes à leurs défunts constituait une profonde blessure morale, si ce n'est un pur sacrilège. Il braqua vers ses suivants un regard triste qui en dit bien plus que n'importe quelle parole supplémentaire. Les vivants demeuraient plus sacrés que les morts. 

- Bon allez, on a pas de temps à perdre! finit-il par dire, formez vos binômes et partez dans les pâtés de maisons. Avertissez les familles. Et soyez sur vos gardes, des mutants rodent sans doute encore. Marcus, tu viens avec moi!

Les volontaires s'éparpillèrent comme un vol d'hirondelles dans les différentes allées, certains presque à la course pour achever cette mission au plus vite. Leurs fusils à la main, ils avançaient sur le qui-vive, scrutant la moindre intersection, la moindre fenêtre, le moindre bosquet des parcs à la recherche d'un quelconque signe mutant. Ils se risquaient à frapper aux portes de chaque maisonnée, redoutant tantôt une réponse, tantôt son absence. Marcus et Digger partirent quant à eux vers le quartier sud, le plus éloigné de la brèche.

- Eh Digger, je peux savoir pourquoi tu veux m'accompagner cette fois encore? s'enquit Marcus. 

- Pour commencer, je suis celui qui te connait le mieux. Ensuite, je te dois bien ça, tu te rappelles? Je t'avais dit que ce serait une garde facile... Je veillerais sur toi, petit homme, conclut-il avec un clin d'œil.

Le méta-humain eut un sourire forcé. Il aurait bien sûr voulu, à ce compte là, que le mur ne soit jamais tombé, qu'ils ne soient, lui et Victoria, jamais venus à Edmonton. Mais Lakeland lui inspirait encore tant de crainte, de tristesse, de regrets, tellement d'émotions négatives...  Il ne pouvait plus retourner là-bas. Fort heureusement, Victoria avait de hérité de sa famille la même demeure blanche qu'ils occupaient actuellement. Du moins, pour quelques dernières heures.

Les deux compagnons passèrent la journée à arpenter un des quartiers sud de la ville. Au grand soulagement de Marcus, ils ne rencontrèrent aucune difficulté, seulement des habitants terrifiés et barricadés dans leurs salons. Digger leur avait expliqué ce qui allait se passer, ils ne pouvaient plus rester ici. Quelques familles ont cédé au désespoir, fondu en larmes, maudit le malheur qui s'abattaient sur eux, voire refusé de quitter leur foyer. D'autres en revanche, n'attendaient que cette nouvelle. Ceux-là avaient déjà préparé leurs effets en prévision d'un départ imminent. Consigne leur avait été à tous donnée de se rendre dans le centre-ville fréquenté, de se déplacer prudemment et en groupe. Cette partie de la cité, la plus éloignée de la brèche, était de facto devenue la moins défendue. Les rues étaient désertes, et seul se faisait entendre le léger souffle du vent du Nord amenant avec lui le crépuscule et son ciel orangé. Le printemps s'annonçait torride alors que cette respiration naturelle faisait presque tressaillir les branches de peur. 

Arrivant à la dernière maison qu'ils s'étaient eux-mêmes assignée avec un grand soulagement, Marcus se proposa d'y entrer tandis que Digger se mit à contrôler l'espace de verdure voisin. Les deux amis ne se sentaient pas sereins.  Voilà déjà plusieurs habitations qu'ils trouvaient verrouillées, sans signe de vie, sans lumière... Ajouté à l'ambiance que le départ du soleil achevait de rendre pesante, les doigts du vétéran comme du jeune homme s'étaient resserrés autour de leurs armes sans qu'ils ne s'en rendent compte.

Mais cette fois-ci, la porte n'était pas fermée à double tour et s'ouvrit alors que le méta en tourna la poignée dans un grincement de rouille métallique. L'ouverture donna sur une salle principale obscure, soudain éclairée par les rayonnements mourants du firmament. De cette lueur, Marcus détecta un interrupteur qu'il s'empressa d'allumer. 

L'éclat vacillant des quelques ampoules demeurant intactes sur le lustre peinaient à faciliter la vision de Marcus. Il n'eut cependant aucun mal à discerner le chaos qui s'y était déroulé. Le mobilier était sans dessus-dessous, les décorations gisaient brisées à terre. Mais par dessus tout, des traces sanguinolentes avaient giclé en projections horrifiantes sur la plupart des murs. 

A cette seule vue, le cœur du méta-humain se figea. Même sa respiration s'immobilisa. 

Le sinistre liquide écarlate avait été répandu dans tout le logis, dans un affrontement d'une sauvagerie sans doute inouïe. Cela ne laissait aucun doute sur le sort des occupants de la maisonnée. Le jeune homme écarta les quelques chaises en bois éclatées et la porcelaine éparpillée d'un geste machinal, ses sens en alerte sur la survenue soudaine d'un mutant. La peur grandit en lui, son instinct tout entier lui hurlait qu'il était en danger. Il ne pensa même pas à appeler son mentor à l'extérieur. 

Soudain, il aperçut quelque chose. Un bras. Au sol, dépassant du mur, un bras émergeait de l'encadrure d'une porte intérieure. Marcus retint son souffle alors qu'il avança lentement vers la macabre découverte.  Le corps avait été tailladé. Mutilé. A moitié dévoré. Une femme méconnaissable, réduite à l'état de véritable carcasse. L'américain dut se mettre une main sur la bouche pour retenir les haut-le-cœur qui l'assaillirent alors que ses doigts flageolants s'ouvrirent presque involontairement en laissant tomber son fusil dans un bruit lourd et boisé.

- Digger... tenta-t-il d'appeler d'une voix éteinte. 

Aussitôt après que son souffle eut disparu, il perçut un léger frottement dans l'obscurité latente de la seconde pièce. D'un mouvement fulgurant, une ombre difforme jaillit des ténèbres. Elle agrippa d'une main bestiale le cou du méta-humain et le plaqua contre le mur dans un bruit sourd. L'éclairage tamisé de la salle principale ne rendait que peu justice à toute l'horreur du spectacle. Une tête dépourvue de tout chevelure, des yeux ictériques, des dents et une bouche encore dégoulinantes du sang de la victime étendue à quelques mètres. Marcus étouffait alors que ses pieds ne touchaient plus le sol et que sa gorge était comprimée par la pression de cette poigne monstrueuse. Il ne pouvait plus appeler à l'aide. 

Le mutant brandit un immense couteau de boucher rougi par les atrocités commises et l'agita sous le nez de sa victime. Son visage presque mauve semblait plus proche du démon que de l'humain. 

- Te découper, te manger, veux vivre! grogna-t-il avec un rictus animal. 

Dans une tentative désespérée, Marcus balança son pied dans l'entrejambe du mutant. Celui-ci s'effondra à terre dans une exclamation grossière en lâchant sa prise.  Le méta-humain prit une profonde inspiration pour remplir à nouveau ses poumons d'air et tituba vers la sortie, en état de choc. Paniqué, il sentit sa cheville se faire happer par cette même main avide et tomba à son tour sur le plancher. Marcus se débattit, donna des brusques coups de pieds sur ce qui fut autrefois un homme. La faible brillance émanant de l'accessoire meurtrier du mutant se dressa au dessus de la jambe du captif, prête à fendre l'air pour l'empêcher de s'enfuir. Marcus était trop faible, et cette fois pas en position de se libérer. Il ferma les yeux en anticipant la douleur atroce et froide de l'acier.

- Marcus attention! éructa une voix vieillissante. 

Au même instant, Digger Jones fit tonner son fusil, et en bon tireur qu'il avait toujours été, logea une cartouche dans le crâne du frénétique mutant. La carcasse boursoufflée s'affaissa, libérant par la mort la cheville du jeune homme. 

Ce dernier, encore pétrifié par l'émotion, regarda son sauveur d'un air hagard et prit un sourire peu à peu reconnaissant.

- Ça va fiston? reprit-il d'un ton plus rassurant. Tu vois, je t'avais dit que je veillerai sur toi.

Un autre bruit de tonnerre retentit soudain. Le shérif poussa un cri de douleur alors qu'une fleur écarlate vint éclore dans son dos, aussitôt suivie d'une autre dans son flanc gauche. Le quinquagénaire vint s'effondrer sur le côté du vestibule, son chapeau roulant sur le parquet ensanglanté. Tout n'avait duré qu'une fraction de seconde.

- Digger! hurla Marcus.

Le méta-humain allait se lancer au secours de son mentor grièvement blessé lorsqu'il entendit les exclamations de joie des tireurs à l'extérieur. Sa jambe toujours meurtrie par son empoignade, et son fusil tombé dans l'autre salle, il se désespéra de pouvoir faire quelque chose. Il voyait son ami se tourner vers lui et lui tendre une paume rouge et suppliante, gémissant, mais ne parvenait pas à se relever, comme prisonnier de son impuissance. Pire, il entendait des pas effrénés et vengeurs arriver vers lui. Le méta-humain ne trouva aucune solution. Il maudit sa faiblesse, son incapacité à agir, et à encaisser les coups.

Les yeux brillants de larmes, il plaça son index devant sa bouche et disparut.

Le shérif écarquilla les yeux et resta un bref instant médusé jusqu'à ce que firent irruption trois hommes devant lui. Trois autres mutants. Moins atteints que celui qui avait attaqué Marcus quelques instants plus tôt, ils affichaient tous un teint plutôt livide, comme s'ils ne s'étaient pas exposés au soleil depuis des mois, ainsi que des furoncles et autres imperfections les caractérisant. L'un d'eux tenait en laisse une forme quadrupède et grondante. 

Un chien. Tels les hommes, les animaux eux non plus n'étaient pas sortis indemnes du poison qui rongeait leurs territoires. Les espèces qui survécurent eurent les même séquelles que les habitants du nord, troquant néanmoins la ferveur et le sadisme zélé contre une férocité sans bornes. Le chien de chasse, du moins à l'origine, perdait ses poils par poignées alors que sa peau était parsemée de plaques d'eczéma et de vieilles plaies souillées. Ses yeux, rendus presque opaques par la cataracte roulaient dans leurs orbites à la vaine recherche d'une proie. Seul son flair demeurait intact et mortellement aiguisé, tant et si bien que l'unique chose qui retenait l'animal de se jeter sur le pauvre Digger était son maître. 

- Ben ça alors, un shérif en plus, fit l'un d'entre eux en reconnaissant le couvre-chef du vétéran.

- Ca fait de nous des hors-la-loi du coup? répondit un autre, goguenard.

- Il est seul? J'avais cru entendre une autre voix...

Digger scrutait ses bourreaux, le corps parcouru de tremblements alors qu'il se vidait de son sang. Tous le regardaient avec un mélange de détermination et de fierté sadique, toutefois mêlée de crainte. 

- Il est grièvement touché, mais pas encore foutu, fit remarquer le premier.

- Je te dis que j'ai entendu une autre voix John! insista celui qui tenait le chien, manifestement inquiet. Ils sauront que nous sommes là, il faut se faire oublier d'ici à ce que le clan revienne! 

- Il y a personne ici non? répondit le dénommé John.

De grande taille, celui qui semblait être le chef de ce petit groupe arborait encore quelques mèches de cheveux sur son crâne abimé. Il dirigea sa lampe torche vers l'obscurité de la seconde pièce, jusqu'à ce que le faisceau vienne se poser sur la carcasse du mutant à quelques centimètres seulement de Marcus, voilé à la vue de tous.

- Regardez ça, c'est lui qu'il a flingué juste avant! Un des nôtres! éructa le mutant paniqué.

- La ferme Smith! tonna John, et fait taire ce maudit clébard! 

Le meneur s'approcha de la carcasse, suivi de près par Smith et son chien dont il ajusta la corde autour de la gueule. Il passèrent si près de Marcus que celui-ci se mit la main sur la bouche pour étouffer un maximum sa respiration et ses sanglots. Il essaya de ne plus bouger un seul muscle, de réprimer le moindre frisson, la moindre émotion qui pourrait jaillir de son corps. Le jeune homme resta totalement pétrifié.

- On dirait Ebner non? Il était dans le coin lui aussi! dit Smith.

- Ouais, mais il a disjoncté, jette un œil par là, répondit John.

Sa lampe s'immobilisa sur les restes déchiquetés de la propriétaire.  

- Un de plus. Peut-être est-ce mieux ainsi, acheva John. 

Le dernier mutant était resté proche de l'entrée et continuait de regarder Digger en serrant les dents. Le mépris qu'il ressentait pour ceux qui les avaient abandonnés était presque palpable.

- Tu es content de toi? cracha-t-il. C'est à cause de vous qu'on en est là! Nous sommes aussi canadiens que vous tous ici! Et contraints de défoncer les portes de nos propres foyers pour prendre ce dont nous avons besoin pour survivre! 

Il émit un crachat qui perla sur l'insigne du shérif. Ce dernier, trop faible pour répondre, se passa le majeur sur sa moustache tant chérie avant de l'adresser au visage du mutant provocateur. 

- Très bien, je vais te donner la preuve que je ne suis pas si inhumain que ça. 

D'un geste rapide et méthodique, il pointa son arme à feu sur la poitrine du vétéran et appuya la détente. Dans un claquement sourd, le torse de Digger Jones explosa dans une gerbe sanguinolente de tissu, de muscles et d'os. Le bras du quinquagénaire retomba au sol dans un bruit grave. 

Marcus sursauta en entendant la détonation meurtrière. 

- Putain tu fous quoi Vince? gronda John. 

- Je mettais un terme à ses souffrances, dit celui-ci en haussant les épaules. 

- Bon, ça suffit on dégage! coupa le meneur, les habitants vont rappliquer avec tout ce barouf, il faut qu'on trouve la fille! 

Vince rengaina son fusil en dévisageant ses deux compères.

- Hans me l'a appris juste avant que je vous rejoigne. Ils ont eu la fille, elle tentait de sortir de la ville. 

- Et tu comptais nous le dire quand? rugit Smith.

- Quand je trouverai avoir tué assez de citadins sans défense, railla-t-il.

- Tu es une pauvre ordure! Tu nous fait prendre des risques inutiles! Tu vas le payer! bafouilla le maitre-chien.

- Ah? Et qui va me le faire payer? provoqua une énième fois Vince.

- Seth. 

- Bon ça suffit j'ai dit, on réglera ça plus tard. Si la méta a été retrouvée, on se casse d'ici et au trot! trancha John.

Les trois mutants s'éclipsèrent comme ils étaient venus. 

Marcus resta invisible de longues minutes de plus, jusqu'à ce que la fatigue due à l'usage prolongé de son pouvoir, lié à son état émotionnel ne le force à réapparaitre. Aussitôt, il se rua vers le corps de Digger. Il tenta de prendre son pouls, de le réveiller. Le jeune homme ne réalisait pas. En dehors de Victoria, le shérif était la seule personne avec laquelle il avait tissé des liens depuis son arrivée au Canada. Le vétéran l'avait pris sous son aile, lui avait donné un but et un foyer. Sans lui, il aurait supplié Victoria de partir depuis longtemps.

L'humble homme d'Edmonton ne se relèverait pas. 

Marcus ferma ses yeux larmoyants et soupira. S'en était trop pour lui en cette seule nuit à peine entamée. Il n'avait pas l'étoffe pour supporter ces atrocités, lui, le gamin du Kansas puis de Lakeland City. Il ne l'avait jamais eu, comme sa sœur se plaisait à lui rappeler.

L'image des milliers de mutants se rassemblant aux portes de la cité lui revint soudain en mémoire. Abandonnant à contrecœur son ami, le méta-humain retourna chercher son fusil et s'élança tant bien que mal en direction de chez lui.  

Il y trouva une porte barricadée, pas suffisamment à son goût, ainsi que Victoria préparant ses affaires, sans doute avertie par un des volontaires.

- Marcus! Que se passe-t-il? réagit-elle à l'arrivée de son fiancé.

Ce dernier s'appuya de fatigue sur le mur. Il laissa de côté son arme et referma la porte renforcée.

- Nous avions raison, haleta-t-il, il y a encore des mutants dans nos murs. Digger... Digger est mort.

La jeune femme écarquilla les yeux et laissa tomber ce qu'elle avait en main. Elle vient ensuite étreindre Marcus dans ses bras et l'accompagna jusqu'à une chaise où il pourrait se reposer. Le shérif était une connaissance de longue date de la scientifique et sa perte représentait en elle un vide béant qui s'ouvrit en une fraction de seconde. Elle essuya d'un revers de la main l'humidité qui lui monta aux yeux et s'assit en face du méta-humain.

- Comment est-ce arrivé? demanda-t-elle.

- Tout est de ma faute, j'ai pas fait attention, bafouilla le jeune homme, Digger m'a sauvé, mais d'autres sont arrivés...j'ai rien pu faire, j'ai rien osé faire. 

Marcus leva les yeux vers sa compagne.

- Amy, où est Amy? questionna-t-il.

- Elle est partie quelques heures après toi, elle a dit vouloir chercher un moyen de sortir de la ville sans être vue. Je n'ai pu la retenir...

Le méta-humain soupira lourdement dans les paumes de ses mains.

- Ils l'ont récupérée. Les mutants l'ont récupérée. Je les ai entendus. Elle s'est faite capturée.

- Non... Ce n'est pas vrai... 

Marcus se leva de son siège et prit les doigts de sa compagne. 

- Ce qui compte maintenant, c'est d'évacuer. A partir de maintenant, je ne te quitte plus jusqu'à ce que nous soyons partis d'Edmonton. 

- Mais... Qu'est ce qu'ils vont lui faire? Ils vont la tuer!

- Je suis désolé Victoria...

La jolie blonde se leva à son tour et commença à arpenter la salle à manger. 

- Ils n'ont pas pu prendre beaucoup d'avance, tu dois aller la récupérer! lâcha-t-elle.

- Pardon?

- Tu te rends invisible, tu passes leurs lignes et tu vas la chercher, répéta-t-elle presque toute seule, s'il voulait simplement la tuer ils ne l'auraient pas emmenée. Je t'en prie, tu en es le seul capable!

- Non mais tu délires! Je ne vais pas affronter toute une armée! explosa Marcus. 

- Tu n'auras pas à l'affronter, juste à ne pas te faire repérer. 

- Mon invisibilité, mon "don", ne s'applique qu'à moi et ce qui je porte sur moi, ça ne marcherait pas pour mon fusil par exemple. Y as tu pensé? Je vais faire quoi sans arme?

- Tu veux devenir un héros ou pas? asséna Victoria.

- Et toi tu me prends pour Jeffrey Slart? Je ne la connais pas plus que ça cette fille!

Victoria se mordit la lèvre inférieure devant l'allusion faite et avança vers son homme en le pointant de l'index.

- C'est une méta-humaine, la seule que nous ayons jamais véritablement rencontrée. Ca aurait pu être toi! Tu serais né de l'autre côté de la frontière ce serait toi qui espérerait de tout ton corps que quelqu'un vienne t'aider! Mais non, monsieur va faire son égoïste et pourquoi? Parce que, comme d'habitude, il veut rester dans sa zone de confort! Je vais te dire, Jeffrey, du moins au début, n'aurait pas hésité une seconde! 

Marcus envoya valser sa chaise à l'autre bout de la pièce alors que son cerveau tournait à plein régime. Jamais il n'avait eu à faire face à ce genre de situation. 

- Tu as promis, Marcus. Tu m'as promis que tu veillerais sur elle. 

 Les larmes qui mouillaient la figure du méta-humain semblaient désormais empruntes de frustration, de colère et d'impuissance.

- Je serai flairé par les chiens des chasseurs des clans une bonne vingtaine de fois avant de m'approcher à ne serait-ce que dix kilomètres d'Amy! Tu me demande d'aller à la mort en toute indifférence pour une fille que tu as rencontrée il y a quelques heures! Et moi je...

Marcus se calma tout d'un coup, la fureur s'évanouissant soudain pour rejoindre le néant de son existence.

- Je suis trop faible pour faire ce que tu me demandes. Je ne peux pas... Je n'en suis pas capable, acheva-t-il.

Victoria baissa la tête en direction du sol. Son teint d'ordinaire si radieux et la peau de ses joues si claire avaient maintenant lentement rosée sous le coup de l'émotion. Deux minces filets d'eau salée y coulaient telles deux rivières profondes et torrentielles. Sa capacité d'imagination sans limite lui paraissait désormais comme un fléau. La jeune femme resta interdite durant quelques secondes qui parurent une éternité. Elle releva finalement la tête et planta ses yeux bleues comme des dagues nimbées de ressentiment vers le méta-humain.



- Tu n'es qu'un lâche. Je m'en veux d'avoir des sentiments pour toi. 





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