America's last stand
« Que ce soit par les moyens employés, le nombre d'hommes mobilisés et l'armada déployée, la bataille de Nassiriyah était du jamais vu depuis l'opération Overlord. »
Article de presse paru en juin 2015.
***
Camp de base du treizième régiment, aux alentours de la ville de Nassiriyah, Irak, le 26 Août 2013.
Une étrange effervescence s'était emparé de l'entièreté du camp. Les soldats, peu rompus à la discipline et à la rigueur, étaient sortis en bon ordre de leurs tentes kaki afin de commencer à s'équiper dès les premiers lueur de l'aube. Toute l'hilarité débrayée de la veille avait disparue pour laisser place à une agitation martiale des plus carrées. Hormis certains rires et exclamations vagabondes, la fièvre festive s'était dissipée comme la brume du matin, de celles que ne voit jamais l'Irak. La lueur timide de l'aurore résonnait des vrombissements des moteurs alors que les véhicules se préparaient pour le départ. Des dizaines de jeeps, d'hélicoptères et de blindés avaient entourés Les tentes étaient rapidement démontées les unes après les autres avec une méthode que ne laissait pas soupçonner l'aspect négligé des hommes qui furent autrefois des prisonniers.
Même si aujourd'hui, leur geôle était bien différente. Sans barreaux, grilles ni fenêtres, elle s'étendait pourtant tout autour d'eux, composé de milliards de grains de sables autrement plus solides que le meilleur des aciers. Et alors que certains d'entre eux étaient sortis du couloir de la mort, les allées ardentes de l'Irak les y reconduiraient bientôt.
Lucius Gartner achevait les derniers préparatifs de son armure. Comme d'ordinaire, il était le premier à s'être réveillé dès le son de clairon. Le colosse veillait soigneusement au bon fonctionnement de son équipement, en ne faisant que peu attention aux regards curieux qui passaient par là. Il fut soulagé de constater que l'armure Guardian ne souffrait d'aucune malfonction, il allait pouvoir se battre à son plein potentiel. Le vétéran savait que la bataille qui l'attendait était pour le moins désespérée, le dernier espoir d'années de campagnes sanglantes, il avait maintenant trop d'expérience pour ne pas s'en rendre compte. Un baroud d'honneur que tant de militaires attendaient pourtant avec impatience de disputer. Cela le comblait d'honneur. Car même si leurs chances de succès étaient très faibles, il allait faire son devoir, et une fois accompli, il allait pouvoir revoir sa famille.
Ce fut seulement au moment où le lieutenant ajusta son treillis que Raquel émergea à son tour de la tente. Son allure n'avait rien de l'apparence entretenue que Lucius employait tant d'énergie à arborer, comme sa coiffure quelque peu imparfaite qui reflétait la nuit agitée qu'avait passée l'officier. La jeune femme ne s'en accommodait que trop bien pour quelqu'un de son grade, elle passa la main sur son cuir chevelu, et par la même aggrava davantage le désastre capillaire dont elle souffrait. Son teint lui, ne montrait aucun signe de fatigue. Les yeux foncés de Raquel ne faisaient que souligner une résolution aussi forte que l'armure scintillante qui allait la porter dans quelques heures.
Elle attendait ça depuis tellement longtemps. Son heure de gloire qui ferait que plus jamais, elle ne volerait sur les ailes de son père. Qu'elle pourrait être connue par son prénom aussi bien que par son nom.
- Avez-vous vérifié votre armure lieutenant ? interrogea Lucius.
La jeune femme haussa les épaules.
- Hier soir, pendant que vous étiez en train de prier, répondit-elle.
- Et je priais pour vous, si toutefois cela vous intéresse. Pour que vous reveniez en vie du combat qui nous attend.
Malgré les propos qui pouvaient sembler réprobateurs, le ton du vétéran se voulait doux et rassurant, son sourire affiché en permanence suffisait toujours à gagner la sympathie de son entourage. Lucius ne montrait aucune perturbation, aucun stress, une impassibilité parfaite.
- C'est sympa, je te remercie, dit Raquel.
À l'inverse, la femme des airs ne semblait pas parvenir à prendre ça au sérieux. Si Lucius avait déjà plusieurs campagnes derrière lui, elle allait venir au terme de sa première. Ses traits hors d'atteinte du manque de sommeil avaient leur façon bien à eux de gérer cette appréhension.
- On est plus nombreux non ? remarqua la jeune femme devant le branle-bas-de-combat général.
Lucius acquiesça en silence. Durant tout le petit matin, toutes les armées stationnées de part et d'autre de l'immense désert d'Irak s'étaient articulées autour de la position du treizième régiment. Toutes s'étaient regroupées pour former une force considérable qui allait partir en direction de leur destin dans quelques heures à peine.
- Ça fait une troupe imposante ça, fit une voix derrière les deux lieutenants.
Jeffrey était finalement sorti de sa couche. Vêtu d'un simple pantalon, il ébouriffa lui-même ses cheveux bruns en mauvais ordre alors qu'il émergeait de la tente kaki. Son torse musclé mais sec demeurait exempt de toute cicatrice, toute marque, toute trace des dizaines de combat que le surhumain avait disputées. Du moins, en apparence. Raquel put remarquer deux petites balafres, à peine plus épaisses qu'une feuille de papier, situées de part et d'autres des omoplates. Le lieutenant avait suffisamment écouté ce récit pour ignorer l'affrontement qui les avaient entraînées.
Blackout.
Jeffrey avait suffisamment décrit la douleur atroce que les lames de l'irakienne lui avait occasionnée. Ses couteaux noirs avaient percé le voile protecteur du Vitium comme s'il n'existait pas. Le mélange miraculeux ne semblait avoir aucune prise sur l'étreinte mortelle et froide de la surhumaine. La cicatrisation exceptionnelle dont Jeffrey Slart se vantait paraissait presque engourdie, suspendue. La jeune femme imaginait bien que les jambes du guerrier aux yeux orange portaient les mêmes stigmates de ce combat à sens unique. Abreuvé par son liquide aux couleurs étranges, confronté à la femme toute de noir vêtue, Jeffrey n'avait plus d'humain que sa faculté de souffrir.
- Et encore, vous auriez été là dès le début, nous étions trois fois plus nombreux, dit Lucius.
Toute ce qui faisait l'admiration de Jeffrey devant l'étendue de la force armée s'évanouit soudain comme un souffle dans le sable. Imaginer trois fois plus de soldats, de véhicules et de matériel lui paraissait tout bonnement insensé. Pourtant, si le briefing demeurait exact, c'est un tel nombre qui les attendait du côté irakien. Ils aillaient lutter à trois contre dix, dans les ruines d'une ville déjà investie par un ennemi qui, comme eux, avait la rage d'en finir.
- Combien d'hommes sont déjà morts ici ? questionna Jeffrey.
- Beaucoup trop. Tu ne t'es jamais intéressé à l'Irak avant d'y arriver ? dit Raquel.
Le surhumain répondit par la négative. Il n'avait jamais prêté attention aux journaux télévisés, à la radio, ni à la presse. Comme pour beaucoup d'américains bien éloignés des réalités du conflit, dont ils avaient le sentiment qu'il ne les concernait en rien, Jeffrey s'était désintéressé de cette guerre lointaine qui passait pour de simples faits divers. Jamais il n'avait vu les cercueils qui rentraient chez eux, comme personne.
- Je suppose que tu n'as pas trouvé le sommeil une fois encore, s'enquit la jeune femme.
- Détrompe-toi, j'ai très bien dormi, balaya le guerrier aux yeux orange.
Comme chez certains autres soldats, l'attente de Jeffrey s'était muée en hâte. Son sang chargé en Vitium bouillonnait désormais d'une frétillante impatience de se mesurer à nouveau à son adversaire, dissipant les derniers doutes qui pourraient exister dans ses pensées. Les mots résonnants de son aimée le portaient vers la bataille tant et si bien qu'il n'aurait pas besoin des ailes de Raquel pour s'y rendre. Les trois compagnons furent tirés de leurs songeries matinales par la silhouette négligée du commandant Nohold.
- Ha vous voilà tous les trois, dans ma tente et au pas de course ! cracha-t-il, le général veut vous voir.
- Le général ? fit Lucius d'un air étonné.
- Ben oui, le général Carls, pas le père Noël ! répondit sèchement Nohold. Elle a fait le déplacement durant la nuit. Alors allez-y au trot ! Moi, j'ai des troupes à organiser.
Le regard du gradé se posa sur Jeffrey, toujours fraîchement sorti du lit.
- Et bon sang de bois, enfilez quelque-chose !
Les deux lieutenants se rendirent séance tenante dans la tente de commandement, suivi de près par un Jeffrey nouvellement habillé. Ils y trouvèrent l'uniforme impeccable du général Betty Carls, mais si son visage conservait toujours farouchement un regard sévère et expérimenté, il ne pouvait plus masquer des traits tirés ni les marques d'appréhension qui n'avaient jamais scié à une femme de son rang. La générale en chef des armées déployées sur le sol irakien dispensa même ses subordonnées de toutes les salutations de rigueur.
- Mon général, finit par lâcher Lucius, est-il bien raisonnable pour vous de commander si près de la ligne de front ?
- Le général Saham sera avec ses troupes au moment où celles-ci toucheront du doigt la victoire finale. Je voudrais pouvoir en mesure d'en faire de même une fois que nous aurons tranché les dits-doigts.
La réponse, cinglante, avait fait taire d'elle-même toute velléité de contestation. Si Carls avait toujours été autoritaire dans sa manière de diriger, une telle pugnacité surfaite ne lui ressemblait pas. Même Jeffrey l'avait compris, le général avait toujours fait preuve d'une réflexion inflexible dans l'atteinte de son but, et, devant la situation qui s'enlisait, avait pris l'habitude de manier ses troupes, moins nombreuses mais plus lourdement équipées, comme une rapière plutôt que comme un marteau. Se précipiter ainsi, en personne, dans un choc frontal sans la moindre finesse ni élaboration lui était étranger, avait été balayé par des années d'expérience ; mais pourtant, en ce jour, elle faisait plonger ses hommes dans un enfer de sable qui deviendrait leur tombeau.
- Si je vous ai convoqué avant d'entrer en action, c'est parce que j'avais des informations complémentaires à vous faire parvenir, dit-elle.
À l'aide d'un pointeur laser, elle désigna le même plan de la ville de Nassiriyah que le commandant Nohold leur avait présenté lors de leur venue.
- Comme vous le savez, la ville de Nassiriyah n'est pas bâtie sur une surface plane mais sur un terrain plutôt accidenté. Une colline prend ses racines à l'ouest des ruines de la cité, alors qu'une importante dénivelée transforme le versant est en terrain sablonneux difficile. Nous arriverons par le sud, tandis que les troupes de Saham auront déjà pris pied par le nord. De part l'orientation de la topographie, passer dans l'entonnoir méridien équivaudrait à un suicide.
Le général Carls prit une profonde inspiration avant de poursuivre. Le ton de son discours n'avait plus que des bribes de son assurance passée.
- C'est pourquoi, j'ai décidé de modifier mon plan de bataille. Par là où nous arrivons, nous serons à l'abri des tirs à l'exception de ceux provenant du point surélevé que Saham aura pris soin d'investir. C'est donc celui que nous devons prendre. Si nous nous emparons de cette colline, la défense irakienne s'effondrera, du moins je l'espère...
Le doute prit soudain une place importante dans son intonation. Malgré cela, les deux lieutenants étaient convaincus que ne pas passer par l'étroit goulet d'étranglement comme le voulait le plan initial ne pouvait être qu'une bonne idée. Malgré leur supériorité technologique, les pertes auraient été trop élevées pour pouvoir vaincre les défenseurs retranchés de l'autre côté.
- Force est d'admettre que notre pays n'a jamais manqué de criminels, reprit Carls, et donc que le treizième régiment est notre force la plus populeuse à ce jour. C'est également la moins fiable, car peu sont de vrais soldats. Néanmoins, j'estime ne pas avoir le choix. Ne plus l'avoir. Ce sera donc la troupe qui prendra d'assaut la colline, et vous les accompagnerez. Leur succès est capital pour prendre position dans Nassiriyah de manière durable. Ce point sera ardemment défendu, l'élite de l'Irak, voire des androïdes Syenemers. Vous faites partis des seuls à en avoir affronté et à les avoir vaincus, et même si cela est arrivé plus tôt qu'escompté, j'ai confiance en vos capacités pour vaincre ces machines.
L'affront supplémentaire de devoir combattre auprès de rebuts de la pire espèce ressenti par Raquel Demanza s'effaça immédiatement pour laisser place à une soif de combat impétueuse. Depuis le combat d'An-Nasram, prouver sa valeur face aux créatures de métal qui avaient manqué de la tuer la dévorait de l'intérieur.
- Le commandant Nohold restera avec moi au PC, ce sera donc le sergent Kimmler qui commandera ces soldats sur le terrain. Il est respecté de ses hommes, ou du moins de ce qui se rapproche le plus du respect. Votre rôle premier sera donc de le protéger coûte que coûte. S'il ne peut donner ses ordres, ce sera toute la cohésion du treizième régiment qui s'envolera en fumée, et avec elle, toutes nos chances de prendre ce point stratégique. De remporter la plus grande bataille de notre temps.
La générale Carls atteignit le pointeur devant l'absence de réaction de ses subordonnés. Aucune peur, aucune crainte ne transparaissait sur leurs visages ; elle aurait aimé en dire autant.
- Bonne chance, et que Dieu vous garde.
Raquel et Lucius saluèrent une dernière fois leur supérieure avant de sortir de la tente revêtir leurs armures. Le départ était imminent. Au moment où Jeffrey allait à son tour tourner les talons, une intuition le retint.
- Vous n'en pensez pas mot, n'est-ce-pas ? dit-il.
Carls soupira de manière bruyante.
- Que voulez-vous dire ? lui répondit-elle.
- Vous ne pensez pas que nous pouvons gagner.
- Je vous l'ai dit, j'ai toute confiance en vos capacités, renchérit-elle.
- Vous ne répondez pas à ma question.
Alors Betty Carls envoya valser les documents par terre, elle prit la frêle table de camp et la renversa sur le tapis kaki dans un vacarme silencieux de bois et de plastique.
- Et qui êtes-vous pour me juger, monsieur Slart ?! cria-t-elle. Savez-vous ce que j'ai sacrifié durant toutes ces années pour gagner cette guerre ? Quelles sont les choses qui m'assaillent lorsque le soleil s'en va ?
Jeffrey Slart, d'abord surpris, croisa les bras en retenant son aplomb. Le propre drame de sa vie ne reflétait que trop bien les attaques que Carls lui envoyait à la figure. Malgré cela, c'est la première fois qu'il voyait le vieil officier dans cet état, il en ressentit un pincement au cœur. Celui-ci s'accentua encore quand il aperçut une larme couler sur la joue de la générale.
- Vous savez ce que j'attends de vous, n'est-il pas ? finit-elle par demander, calmée.
Sa voix était tremblante, presque suppliante.
- Vous devez tuer Blackout. Sa mort et sa carcasse envoyée aux pieds du général Saham ont une petite chance de faire battre en retraite les armées irakiennes. Peut-être, peut-être...
La femme âgée s'effondra dans ses suppositions, désespérée. Sa coiffe glissa de son crâne pour aller souiller sa belle couleur noire, ses galons perdirent leur position d'exactitude pour se retrouver de travers. Betty Carls n'avait plus rien du général Carls.
- Comprenez-moi, monsieur Slart, je vous juste que ça s'arrête, que tout s'arrête...
- Alors nous sommes deux, madame.
- J'aurais tant aimé que vous soyez un héros, monsieur Slart. Au lieu de ça, vous n'êtes qu'un autre homme, avec vos cicatrices, vos peines, vos doutes, et vos ambitions. La seule différence entre vous et moi, c'est que vous pouvez soulever un char d'assaut, mais quelle importance ? Dans le fond, vous êtes aussi vulnérable que n'importe qui. Vous essayez seulement de vous en cacher derrière une substance qui vous donne l'illusion de ne plus ressentir la douleur, mais ce n'est que mascarade.
Jeffrey serra les dents derrière ses lèvres. Le Vitium dans ses veines tambourinait à ses oreilles pour répondre à ces accusations. Qu'avait-il ressenti la première fois qu'il s'était injecté du Vitium ? Son corps ne s'était encore habitué comme maintenant, il ne s'en souvenait plus, cela devait être intense, foudroyant, mais éphémère. Depuis il avait lui aussi perdu tellement de choses.
- Je la vaincrai, mon général, déclara Jeffrey. Quel qu'en soit le prix.
- Alors prenez ceci, je me suis permise de les emprunter sur la dotation de notre ami commun.
Carls sortit de son bagage deux stylos-injecteurs qu'elle tendit au guerrier de Lakeland City. La couleur orangée ne laissait aucun doute quant à leur contenu.
- C'est une mauvaise idée, souligna Jeffrey, vous savez ce qu'il se passe quand j'en prend trop ?
- Arrangez-vous pour qu'il n'y ait personne aux alentours dans ce cas, trancha Carls.
- Encore une fois, vous ne répondez pas à ma question !
- Vous avez dit « quelqu'en soit le prix » monsieur Slart ! coupa-t-elle.
Jeffrey n'eut d'autres choix que d'accepter, et par la même, de reconnaître que Carls avait raison. Il prit les injecteurs et les fourra maladroitement dans sa poche sans prononcer un mot de plus, avant de laisser la veille femme à bout de force seule. Il retraversa seul la gigantesque armada aux allures de fourmilière humaine comme si elle n'était pas de ce monde. Les vrombissements des moteurs ne lui firent même pas détourner le regard. Résolu, il parvint finalement à coté de leurs quartiers où Raquel Demanza et Lucius Gartner achevait d'harnacher leurs lourdes protections d'acier.
- Rien de grave j'espère, fit ce dernier.
Le jeune homme secoua la tête de manière négative alors qu'il entra dans sa tente pour s'équiper.
- Allez les gars, on se remue ! On a une colline à prendre ! rugit la voix grave du sergent Kimmler.
Le vétéran s'avança ensuite vers les deux lieutenants en armure, suivi de quelques hommes.
- Alors, il paraît que vous allez me coller au train aujourd'hui ? dit-il avec le sourire. J'ai hâte de commencer !
Lui non plus, ne semblait pas intimidé le moins du monde.
- Facile à dire pour toi, fit un de ses soldats, présenté par le commandant comme Stephen. Si tu finis cette campagne, tu es libre, monsieur le galonné. Moi j'ai une triple perpet' à tirer.
- Si tu pouvais la tirer en silence ce serait pas mal d'ailleurs, rétorqua Kimmler. Et pensez à vous équiper lourd les enfants, on aura de l'androïde à déglinguer.
Une vague d'indignations mêlées à quelques jurons surgit au sein du petit groupe.
- J'en étais sûr... Toujours nous qu'on envoie au casse-pipe... maugréa Clinton.
- Nos vies valent moins que celles des autres, faut croire, renchérit Terence.
Aussitôt, Kimmler le saisit par le col et approcha ses oreilles de sa bouche.
- Ça, fallait y penser avant de violer une fillette, pauvre abruti ! Mais ne t'y trompe pas, on a le rôle le plus important de cette opération, alors si tu veux crever avec un peu d'héroïsme, ne te prive surtout pas !
Le sergent renvoya rageusement l'ancien détenu dans les rangs.
- Le commandant Nohold vous a expliqué le plan donc ? questionna Raquel.
Le gradé répondit par l'affirmative.
- Moi et mes gars sommes prêts, on va prendre ce point et pas en bouger. On attaquera par le flanc gauche de l'armée, à l'Ouest de la ville.
- On va encaisser une sacré puissance de feu, surtout si y a des Syenemers, mais si vous nous couvrez ça va le faire, dit Joël.
Pour beaucoup de ces condamnés, cette bataille était l'opération de la dernière chance. Ceux qui avaient écopé de peines légères seraient certainement remis en liberté à la fin d'années de campagne.
- Le lieutenant Demanza s'occupera de désorganiser leurs équipes d'armes lourdes et nous assurera la maîtrise des cieux, dit Lucius. Quant à moi, je vais tellement vous servir d'ombrelle que vous ne verrez même pas le soleil sergent Kimmler !
Le colosse de Harlem éclata d'un rire sonore, aussitôt repris par la majorité de l'escouade. Même Raquel, d'ordinaire si fermée à ces soldats-détenus se surprit à sourire. L'appréhension bien retombée, le sergent Kimmler et ses hommes s'en retournèrent à leurs derniers préparatifs. Un dernier gémissement de douleur indiqua à Lucius que Jeffrey avait achevé de mettre en place son exo-squelette Apogée. Le guerrier sortit enfin de la tente, lunettes tactiques sur le nez. Ces verres teintés, pour se protéger du soleil ardent ainsi que des éclats et du sable, dissimulaient également son regard flamboyant aux yeux de la plupart de ses compagnons d'armes comme de ses adversaires. Gants aux poignets, bardé d'autant d'armes parfois ésotériques qu'il pouvait en porter, Jeffrey n'avait rien laissé au hasard. La veste d'alliage mystérieux, désormais blanche, légèrement grisée, n'avait plus rien en commun avec la silhouette sinistre qu'il avait l'habitude de traîner dans son sillage. Le système de double-pompe faisait déjà son office, et portait le jeune homme du Wisconsin de ses effluves envoûtantes. Son cœur battait en harmonie avec les flux et reflux de Vitium. Il était devenu plus fort, il le savait, mais cela allait-il suffire à envoyer Blackout au tapis ? La moindre poussière d'hésitation finissait balayée par le mélange corticostéroïde qui enveloppait son corps.
- Puisse Dieu vous préserver mes amis, déclara Lucius.
- Te mets pas en danger le bon samaritain, rétorqua Raquel, tu as une famille à retrouver après cette bataille, quelle qu'en soit l'issue.
- Vous savez, le premier jour où on s'est rencontré, je vous ai dit que j'allais regretter le jour de votre mort. Je ne l'ai jamais pensé autant qu'aujourd'hui. Vous méritez tout deux de vous en aller d'ici vivants.
Plus que moi en tout cas.
- Regardez, fit Raquel en désignant un soldat muni d'un appareil photo, un journaliste de guerre. On prendrait pas une photo pour immortaliser ça ?
- Elle n'aura pas le droit de sortir d'ici Raquel, tu le sais ça ? On a pour ainsi dire des secrets-défenses sur le dos.
- Soit pas rabat-joie !
- Mouais, pourquoi pas, concéda Jeffrey.
Le jeune journaliste eut d'abord la surprise de se voir demander un cliché par une femme vêtue d'une armure ailée, mais que ne fut pas son étonnement de voir qu'en plus, deux autres chevaliers l'attendaient. Lucius prit une pose neutre tout en arborant son sourire communicatif par opposition à l'espiègle Raquel mima le signe de la victoire de sa main avec une allure décontractée. Jeffrey ne sourit pas, il était déjà parti pour Nassiriyah, concentré sur le combat qui l'attendait. Même lorsque le flash jaillit de l'appareil, il ne réagit pas. Toute sa compassion était repartie dans les tréfonds de son âme alors que le Vitium reprenait le dessus pour la curée. Quand enfin le clairon retentit, et que la gigantesque armée se mit en route pour la plus grande opération militaire de ce siècle, parmi les jeeps, les blindés, les hélicoptères, son esprit demeurait silencieux, habité seulement par les images de sa bien-aimée disparue qui se mouvait, forme étrange de liquide orange.
Aussi silencieux que la mort elle-même, qui l'attendait vêtue de haillons noirs, au bout du chemin, vers son destin.
Nassiriyah et Blackout l'attendaient.
La plus grand bataille de notre temps.
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