Le Voyage d'un instant
Le soleil printanier se couchait sur la petite ville, la faisant rougeoyer dans des couleurs miroitantes de rouge, d'orange et de jaune. Là, une petite bouteille de verre gisait au sol, sur le sable blanc d'une plage désertée.
D'une transparence lucide, sa paroi reflétait les paysages alentours avec un effet de loupe qui donnait l'étrange, mais magnifique impression que ce même paysage se trouvait à l'intérieur du bocal.
Peut-être était-ce vraiment le cas. Car elle avait voyagé cette bouteille, tout au long de la journée, elle avait parcouru les rues animées de la ville qu'elle reflétait, et dans son silence inerte, elle avait assisté à de nombreux évènements dont elle en avait capturé à chaque fois un petit bout. Ainsi, maintenant que le soir s'affirmait sur la journée, la bouteille d'apparence vide était emplie de bonheur.
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Une dizaine d'heures plus tôt...
Tandis que l'aube se reflétait tout juste en éclairant le début de la matinée d'un éclat pâle, le bocal avait quitté son foyer, dans le sac ouvert d'une jeune femme aux joues rosées et au sourire éclatant, et il avait par l'interstice ouvert, observé le ciel se colorer d'un teint bleuté. Mais hélas, le sac avait été refermé, et le bocal plongé dans la pénombre.
Peu après onze heures, il avait aperçu, posé sur un petit muret gris à côté de deux personnes riantes, la vie florissante de la ville. Les passants traversaient la rue, marchant sur l'asphalte usée, tantôt pressés par d'obscures raisons, tantôt égayés par une heureuse nouvelle. Puis ils disparaissaient au coin d'une rue, et d'autres apparaissaient pour répéter ce manège à la façon d'une chorégraphie de ballet. Puis le bocal avait disparu dans le fond sans couleurs du sac.
Il en fut ressorti quelques temps plus tard, et il découvrit alors un spectacle magique, plus beau que tout ce qu'il avait pu voir depuis sa confection. Il se trouvait dans une petite nacelle, au sommet d'une grande roue qui tournait lentement dans son éternel mouvement d'horloge. Et de là-haut, le petit bocal pouvait apercevoir toute la splendeur de la ville : ses jolies maisons qui se découpaient devant quelques immeubles au milles couleurs vertes, rouges, jaunes, oranges ou bleus ; ses nombreux habitants, qui se pressaient comme des fourmis autour d'un morceau de sucre en bas de la grande roue ; la mer au loin et son parfum iodé, sur laquelle glissaient gracieusement des voiliers, et juste devant, des étendues de sable blanc occupées par des touristes munis de chapeaux de paille et de lunettes de soleil. Elles laissaient l'écume lui brunir ses grains et emporter au fond de l'eau diverses coquillages...
Puis la grande roue amorça sa descente et la vision disparue.
Un nouveau spectacle fut offert à la vue du bocal lorsqu'il pu voir la mer de près.
Les petites vaguelettes portées par une légère brise venaient lécher les bancs de sable en même temps que les pieds des enfants qui riaient, et le son cristallin de ces rires se répandaient tout autour d'eux, faisant naître des sourires touchés sur le visage des parents. Quelques-uns pleuraient, effrayés par une petite chute ou découvrant la sensation de la vie dans le froid ou la douleur. D'autres criaient, émerveillés par les surfeurs qui volaient sur la crête des vagues. Deux chevaux passèrent d'un trot léger, leurs poils bruns et roux brillants au soleil, en dessous des tapis colorés et des selles de leurs cavaliers. Le son régulier de leurs sabots tapant la fine pellicule d'eau, bien qu'amorti par le sable, créait un rythme hypnotisant qui se mêlait au doux chant des vagues. Un marchand de glace circulait entre les touristes en vendant sorbets et crème glacées à des enfants ravis.
Soudain un pied surgit juste derrière le bocal, et le heurta involontairement, l'envoyant valser dans le sable, gardé hors de vue par le creux sablonneux où il se trouvait. Puis le temps passa, et le bocal se rendit compte qu'il avait été perdu et oublié. Les touristes s'en allaient, et le ciel s'assombrissait alors que le niveau de la mer montait, jusqu'à commencer à effleurer le bocal.
A présent l'astre solaire se couchait, projetant de nouvelles couleurs à travers le ciel, chassant les quelques nuages cotonneux qui s'attardaient là, et illuminant la petite ville de ses reflets d'or.
Et tandis que les premières étoiles naissaient dans le ciel, et que l'eau tiède emportait le bocal au fond de la mer, la petite bouteille se dit que malgré sa situation actuelle, elle ne pouvait renfermer plus de bonheur qu'à cet instant, car ses expériences vécues au cours de la journée éclipsaient tous les malheurs du monde.
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