M é s a n g e
Mésange: Mauvais-ange.
Lucie enjamba le petit muret du jardin, et se glissa dans le jardin. L'herbe brûlée par le soleil ploya et s'abîma sous son pied nu, et elle se faufila entre les arbres avec précaution. Les rayons de la lune traçaient des rubans blancs sur les branches entremêlées contre les murs de la maison. Atteignant le rebord de la fenêtre entrouverte de sa chambre, la jeune fille posa sa main sur le verre et le poussa délicatement. Elle se glissa dans l'ouverture et s'allongea sur son lit, les plis du drapé blanc et mince, presque translucide, répandus sur sur lit. Avec cette robe étrange, elle se sentait différente, spectrale, comme une dame blanche morte le jour de son mariage. Prise d'une angoisse sourde, elle se redressa rapidement, et ôta le vêtement. Elle s'habilla rapidement, n'ayant de toute manière pas l'intention de dormir cette nuit, et serra contre elle la robe comme un coussin.
"C'est réel", murmura-t-elle en se balançant d'avant en arrière nerveusement. "C'est réel. Tout est réel."
Lucie ramena ses cheveux sur l'arrière de son crane et les assembla en une torsade brune qu'elle enroula sur elle-même, fixant le chignon à l'aide d'un crayon gisant sur son bureau. Ça avait été son crayon préféré, avant que ses mots n'avaient disparu, avalés par la page blanche. La robe sur son épaule, elle ouvrit la porte, et se glissa dans la maison sur la pointe des pieds. Puis, à pas de loups, elle entra dans la buanderie qui communiquait avec le salon par le garage. À l'étage, si elle tendait l'oreille, elle pouvait percevoir les respirations régulières de sa mère et de Sarah qui la rassuraient.
Le vêtement tournait dans la machine à laver, dont le ronronnement apaisant berçait la jeune fille. Assise sur un panier de linge sale, au beau milieu de la buanderie, Lucie sentait ses paupières s'alourdir, elle dodelinait de sommeil. Finalement, les frissons d'angoisse qui enserraient sa poitrine s'étouffèrent, et elle plongea dans un sommeil bleu, peuplé de fantômes étranges dans de mystérieuses maisons avec du piano et du poison bleu. Elle se réveilla en sursaut à six heures le lendemain matin, la lessive achevée et son chignon défait, incapable de distinguer tout d'abord la réalité du rêve.
Elle sortit la robe de la machine, et la replia soigneusement, la porta à son visage pour en sentir le parfum. La veille, elle n'y avait, curieusement reconnu aucune odeur, mais aujourd'hui elle distinguait clairement le pamplemousse et le thim de sa lessive. Quittant le refuge de la buanderie, la jeune fille replia le vêtement, et le déposa sur son lit avec la résolution de le porter à l'inconnue dès que l'heure le lui permettrait.
"Lucie!" s'exclama une petite voix dans un murmure enthousiaste. Elle était déjà éveillée, assise sur le canapé du salon, et portait une petite robe d'un bleu très pâle.
"Sarah!" souffla-t-elle en fronçant les sourcils, caressant d'une main les cheveux blonds de sa cousine. "Comment ça va mon coeur? Pourquoi est-ce que tu es réveillée? Tu as fait un cauchemar?"
La petite fille secoua vigoureusement la tête, posant sur elle de grands yeux accusateurs.
"Non, assura-t-elle, c'est pour toi que je me suis levée. Hier soir, tu n'es pas rentrée, tata était très inquiète! Je t'ai attendue tu sais, je me suis couchée tard. Et ce matin, j'ai entendu un bruit dans la buanderie, alors je me suis dit que tu étais peut-être rentrée et je me suis levée.
"Oh mon bébé, souffla l'adolescente en serrant sa cousine dans ses bras, je suis tellement désolée. Je ne voulais pas te faire peur. Tout va bien, je suis là, d'accord? Allez viens, on va se recoucher, d'accord? Tu ne devrais pas être levée à cette heure-là."
La petite fille sourit faiblement, la fatigue brillant dans ses grands yeux bleus, et posa une petite main potelée sur le sommet de son crâne. "Lucie, souffla-t-elle en passant ses doigts dans les mèches brunes, ton chignon... il est tout abîmé."
La jeune fille porta sa cousine, qui s'était rapidement endormie dans ses bras, jusqu'à son lit, puis avait attaché ses cheveux en un nouveau chignon, plus serré, qu'elle aspergea de laque. Puis, elle se passa de l'eau fraîche sur le visage, tentant avec un succès relatif de se sortir de sa torpeur. Elle se prépara son traditionnel café au lait avec du sirop de vanille, et se servit également un bol de céréales qu'elle mangea sur le bar, là où il était interdit de s'asseoir mais où tout le monde s'asseyait néanmoins. Enfin, elle jeta un coup d'oeil au grand soleil d'été qui cognait contre sa fenêtre, et estima qu'il était temps de partir.
C'était une matinée plutôt agréable pour un été almérien. Il faisait chaud, bien sûr, mais une brise marine rafraîchissante se promenait dans les rues, portant avec elle des effluves de sel et des glaces de la promenade. Le framboisier de la maison voisine agitait devant elle ses fruits roses et murs gorgés d'eau. Elle en cueillit une paire en passant, et sourit en sentant le jus sucré se répandre sur sa langue et son palais. Serrant contre elle la robe blanche, elle marcha à la hâte, chantonnant une petite chanson d'amour qu'elle avait apprise des années plus tôt. Finalement, elle arriva devant la porte rouge de la maison blanche. Aujourd'hui, ni piano ni violon ne faisait résonner ses notes harmonieuses par la fenêtre fermée. Un peu déçue, la jeune fille hésita un instant, puis frappa avec hésitation contre la porte de bois dur.
Quelques instants plus tard, la porte s'entrebaîlla légèrement, et une jeune fille, qui semblait légèrement plus âgée qu'elle, apparut devant ses yeux. Ses longs cheveux couleurs de blés tombaient sur le léger décolleté de sa robe mauve. Elle ressemblait à une poupée Barbie, jolie, exemplaire et, aux yeux de Lucie en tout cas, pas véritablement intéressante. En revanche, elle tenait dans sa main droite, contre sa hanche, un archer, et la jeune fille supposa qu'il s'agissait de la violonniste. Elle se demanda un instant pourquoi, si elle tenait un archer à la main, aucune mélodie ne parvenait de la maison, mais elle se souvint que la fenêtre était fermée, chose tout-à-fait curieuse par le temps qu'il faisait. Haussant les épaules, elle chassa le trouble que ce mystère lui inspirait, et offrit à l'inconnue un grand sourire ensoleillé.
"Bonjour, salua-t-elle, je m'appelle Lucie! Je suis ici pour rendre un vêtement qu'on m'a, euh, prêté...
-Oh, souffla l'autre en fronçant les sourcils, c'est la robe de Charlène... Je suis sa soeur, Éléanore. Vous vous connaissez?
-Oui, mentit-elle avec assurance, nous sommes amies. J'avais besoin de cette robe pour une fête où j'étais invitée.
-Je vois, murmura-t-elle avec un regard troublé, je ne savais pas...
-Pardon, tu disais?
-Oh rien, sourit-elle avec embarras. Je suis simplement surprise, je ne savais pas que Charlène avait des amis... ici, je veux dire. Je ne savais pas qu'elle avait des amis ici. C'est la maison de nos grands-parents; nous n'habitons pas ici le reste de l'année.
-Je vois. Au fait, c'est toi la violonniste qui joue de la musique minimaliste? C'est très joli.
-Oui, c'est moi, merci beaucoup! Ça me fait très plaisir.
-C'est sincère. Et donc, c'est Charlène, la pianiste, qui jouait aussi, avant? Je veux dire, elle ne m'en a jamais parlé...
-Une pianiste?" Cette fois, Éléanore la dévisageait avec une surprise réelle. "Il n'y a pas de pianiste ici, il n'y en a jamais eu. Nous n'avons même pas de piano. Je ne vois pas de quoi tu parles.
-Euh, d'accord. Je peux entrer? Je vais rendre sa robe à Charlène, si tu veux bien.
-Comment? Entrer? Charlène? Ah non, désolée, s'écria soudain l'autre, écarquillant les yeux de panique. Je, euh, je suis désolée, elle est un peu occupée pour l'instant. Tu n'as qu'à me donner la robe, je lui rendrait plus tard, d'accord? Merci, c'est gentil d'être passée, au revoir! Je lui dirai que tu es venue!"
Sur ces mots, la jeune fille lui prit la robe des mains, et lui referma la porte au nez. Lucie battit des paupières, ébahie, puis s'en alla. Il y avait quelque chose d'étrange avec cette maison, c'était certain. Mais pour l'instant, elle allait être en retard à la supérette.
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